François Hollande parle de la preuve que "c’est depuis la Syrie que sont organisées des attaques contre la France" : ce qu’on sait des preuves en question <!-- --> | Atlantico.fr
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Photo prise lors de l'attentat déjoué du Thalys.
Photo prise lors de l'attentat déjoué du Thalys.
©Reuters

Preuve à l'appui

Lundi 7 septembre en conférence de presse, François Hollande a déclaré : " (...) c’est depuis la Syrie, nous en avons la preuve, que sont organisées des attaques contre plusieurs pays, et notamment le nôtre." Retour sur lesdites preuves.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Lors de sa 6e conférence de presse lundi 7 septembre, François Hollande a déclaré : "La France face au terrorisme a toujours pris ses responsabilités, Et c’est depuis la Syrie, nous en avons la preuve, que sont organisées des attaques contre plusieurs pays, et notamment le nôtre." Qu’en est-il, quels sont ces types de preuves ?

Alain Rodier : Le berceau de Daesh se trouve situé à cheval sur la Syrie et l’Irak. La « capitale » de l’Etat Islamique (EI) est la ville syrienne de Raqqa, Mossoul en Irak étant plutôt considérée comme le « poumon économique » de l’EI. La grande majorité des volontaires étrangers rejoint l’EI en Syrie car cela est plus facile à atteindre que l’Irak. Pour cela, il suffit de regarder une carte. La Turquie est une porte d’entrée naturelle en Syrie (en Irak, c’est plus compliqué car il convient d’abord de traverser le Kurdistan). Si quelques djihadistes étrangers sont affectés en Irak, la plupart servent en Syrie.

Ces djihadistes communiquent avec leurs familles et leurs amis restés au pays par internet ou téléphones mobiles (surveillés par leurs mentors arabes). Plusieurs affaires de terrorisme découvertes en Europe ont permis de constater que les suspects avaient des contacts avec des personnes installées en Syrie. Certains ont même reçu des instructions comme lors de la tentative d’attentat contre une église de Villejuif par Sid Ahmed Ghlam le 19 avril 2015. A savoir qu’il aurait été téléguidé par Fabien Clain, un activiste français bien connu des services de renseignement vivant actuellement en Syrie. Clain aurait aussi connu Abdelkader et Mohamed Merah.

Plus visible encore, la propagande faite depuis la Syrie avec des appels au meurtre lancés dans des vidéos par des djihadistes français, britanniques ou allemands sans compter la revue Dabiq. « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen – en particulier les méchants et sales Français (…) alors comptez sur Allah et tuez les de n’importe quelle manière … » est la déclaration très claire faite par le porte-parole de Daesh, Abou Mohammad Al-Adnani en septembre 2014. En mars 2015, il faisait connaître son souhait de faire « sauter la Maison Blanche, Big Ben et la Tour Eiffel ». En dehors du côté rodomontade de cette déclaration, il est tout de même inquiétant de voir que des photos prises de nuit par des activistes islamiques s’approchant de la Maison Blanche ont été diffusées par le passé.

Dans quelle mesure ces preuves proviennent-elles de Syrie ? Comment l’expliquer ?

Comme je le disais plus avant, les Européens sont majoritairement cantonnés en Syrie. En Irak, ils servent surtout de kamikazes pour participer à des actions suicides médiatisées au titre de la propagande. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. David Cameron a déclaré le 7 septembre que la Royal Air Force (RAF) avait « neutralisé » le 21 août à l’aide d’un drone armé MQ-9, les deux djihadistes britanniques Reyaad Khan et Rahul Amin dans la région de Raqqa. Ils auraient été mêlés à une préparation (avortée) d’attentat lors des commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale le 15 août 2015.

Concernant les vidéos envoyées par l’EI de Syrie, inspirent-elles les terroristes dans les attentats ? L’EI a-t-il une  véritable stratégie de financement, d’encadrement et de développement en matière de terrorisme ?

La propagande menée par Daesh joue un rôle extrêmement important dans le domaine du recrutement mais son premier but est de faire rejoindre le berceau syro-irakien par des volontaires étrangers pour augmenter la population de l’« Etat » Islamique. Il compterait aujourd’hui quelques huit millions de personnes. C’est pour cette raison que les familles et les femmes seules sont très appréciées des recruteurs. Daesh inscrit son combat dans une durée qui se compte en générations.

L’EI a conscience ne pas pouvoir, pour l’instant, envoyer des « commandos » effectuer des opérations en Occident. Il est en effet accaparé par la guerre sur le front syro-irakien et sur ses extensions libyenne, égyptienne et plus récemment yéménite et peut-être demain nigérianes. Selon sa doctrine, il s’occupe des fronts « proches » avant de se retourner contre les « lointains ». Toutefois, il s’est rendu compte qu’il pouvait utiliser des apprentis djihadistes qui n’ont pas les moyens de le rejoindre pour mener des actions terroristes à l’étranger.

Sa stratégie est inspirée par les écrits d’Abou Bakr Naji, un idéologue d’Al-Qaida qui a publié en 2004 un traité titré « le Management de la sauvagerie ». L’Europe n’est qu’au début du processus qui doit l’amener à terme sous le joug du califat. La première phase consiste à démoraliser et épuiser ses cibles. Le terrorisme participe à cette manœuvre. Je ne crois pas à l’option qui consiste à envoyer des activistes entraînés mélangés à la vague migratoire qui déferle aujourd’hui sur les côtes européennes. Il est plus facile et plus sûr pour Daesh de leur payer un billet d’avion en 1è classe pour qu’ils rejoignent l’Europe par des chemins détournés. Un activiste entraîné est un investissement que l’EI ne va pas risquer de noyer en tentant de lui faire rejoindre l’Europe.

Par contre, pousser les migrants à rejoindre l’Europe est un moyen de participer à l’épuisement des pays concernés (sans compter qu’il sera temps de constituer après coup des réseaux au sein de ces populations). En février 2015, la franchise libyenne de l’EI avait clairement menacé l’Europe d’envoyer 500 000 migrants vers ses côtes.

Y a-t-il des différences sur ces derniers points abordés entre l’EI et l’Al-Qaïda ?

Al-Qaida « canal historique » a déjà étendu ses tentacules sur l’ensemble de la planète mais n’a pas fondé un « Etat » car, pour ses responsables, c’est trop dangereux car cela fournit des cibles clairement identifiées à ses adversaires. Les Américains considèrent que le Front Al-Nosra actif en Syrie a, en son sein, une branche opérationnelle chargée des actions à l’étranger baptisée « Khorasan » (dans laquelle servirait au moins un Français). Mais jusqu’à maintenant, les opérations terroristes étaient majoritairement organisées depuis le Yémen (comme celles de janvier 2015 par les frères Kouachi).

Pour contrer la stratégie de Daesh que tous les analystes connaissent parfaitement puisqu’il n’en fait pas mystère, il convient donc de le prendre au plus court près de son berceau syro-irakien tout en tentant de maîtriser ses métastases, particulièrement au Sahel en ce qui concerne la France. Les Occidentaux doivent aider à la gestion des millions de réfugiés actuellement accueillis par les pays voisins (Turquie, Jordanie, Liban). Les Etats arabes apportent déjà une contribution financière importante mais certainement insuffisante dans la mesure où, pour des raisons de sécurité intérieure, il refusent d’en accueillir chez eux.

Maintenant, pour la guerre sur le front syro-irakien, je reste très pessimiste. Elle sera longue car elle s’apparente désormais à une guerre d’usure. Seul (très) mince espoir, Daesh a bien fonctionné jusqu’à maintenant car il était dans une logique de conquêtes. La « guerre de positions » risque de ne pas lui être favorable.

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