La déclaration qui pourrait tout changer au Moyen-Orient : le roi Salman d’Arabie Saoudite déclare soutenir l’accord sur le nucléaire iranien<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Salman d'Arabie saoudite était ce vendredi en visite à la Maison-Blanche.
Le roi Salman d'Arabie saoudite était ce vendredi en visite à la Maison-Blanche.
©Reuters

L'union fait la force

L'Arabie saoudite est satisfaite des assurances du président Barack Obama à propos de l'accord conclu en juillet sur le programme nucléaire de Téhéran, a déclaré vendredi le ministre saoudien des Affaires étrangères.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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Atlantico : En visite à la maison blanche, le roi Salman d'Arabie saoudite a soutenu l'accord iranien sur le nucléaire fraîchement conclu avec les Etats-Unis, et qui doit être approuvé prochainement par le Congrès. Comment expliquer un tel changement de position, alors que l'Arabie saoudite s'était fermement opposée à un tel accord ? En quoi l'Arabie saoudite y gagne-t-elle ?

Thierry Coville : Je pense que les saoudiens sont tout à fait conscients qu'Obama est en passe de réussir à faire voter cet accord au Congrès. Ils doivent donc se résoudre à gérer le réel et cela passe par le fait d'accepter la situation. Mais surtout, les Saoudiens ne veulent pas paraître pour le pays qui refuse un dialogue avec des iraniens qui disent vouloir le rétablir, dans les circonstances politiques de la région que l'on connait.

Etat islamique, conflits au Yemen... Les tensions au Moyen-Orient ont atteint des proportions limites. On peut dire que sans nul doute, un ton plus modéré entre l'Iran et l'Arabie saoudite, les deux grandes puissances de la région, constitue une clée pour débloquer le conflit avec l'Etat islamique.

Une des causes des tensions dans la région est que l’Arabie saoudite se sentait en perte d'influence derrière l’Iran. Au Yémen, il y a aussi cette peur irrationnelle, celle de l'ennemi iranien qui tenterait de conquérir du terrain. Si la solution contre l'Etat islamique est en partie militaire, elle ne pourra pas se faire décemment sans solution politique. Depuis les accords avec les Etats-Unis, les gouvernants iraniens et en premier lieu Hassan Rohani peuvent bénéficier d'un capital politique certain pour négocier avec l'Arabie saoudite. D'autant que les tensions entre chiites et sunnites n'existent pas par essence. On pourrait donc penser que le contexte politique est favorable à une prise de conscience entre les deux pays quant au risque grave de débordement du terrorisme vers d'autres pays que l'Irak ou la Syrie.

Roland Lombardi :Comme Israël, l’Arabie saoudite avait été très déçue par l’accord sur le nucléaire iranien signé entre Téhéran et les grandes puissances à Vienne le 14 juillet dernier. Signe des réticences des Saoudiens concernant cet accord : avant même sa signature, le roi Salman ne s'était pas rendu à un sommet, organisé en mai dernier à Camp David par le Président américain, et qui avait pour but de rassurer les pays du Golfe, inquiets des pourparlers entre Téhéran et Washington mais aussi de l'influence croissante de l'Iran dans la région. Même si officiellement, Riyad avait adressé ses félicitations concernant l’issue des négociations, il n’en restait pas moins que le mécontentement demeurait vivace. D’ailleurs, l'ancien ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, Bandar Bin Sultan, s'était montré, lui, bien moins diplomatique, qualifiant l’accord de juillet, pire que celui conclu en 1994 avec la Corée du Nord, d’ailleurs violé à plusieurs reprises depuis.

Néanmoins, les Saoudiens comme les Israéliens sont des réalistes et des pragmatiques : ils savent pertinemment que Barack Obama, sauf surprise, est assuré d'une prochaine victoire au Congrès américain sur l'accord puisqu’il a rallié suffisamment de promesses de votes. Les dirigeants israéliens, de par leur position intransigeante sur celui-ci et leurs déclarations virulentes, ont su en quelque sorte « mettre la pression » sur les Américains afin d’avoir en retour, et en coulisses, des garanties avantageuses de la part de Washington (réévaluation à la hausse de la protection et de l’aide financière et militaire américaine). Ainsi, comme me l’ont dit discrètement certains officiers israéliens et comme surtout l’ont officiellement déclaré une dizaine de généraux importants de l’Etat hébreu à la retraite, cet accord doit être considéré dorénavant comme un « fait accompli ». Pour eux, il faut voir le retour en force de l’Iran sur la scène régionale avec d’autres yeux. De fait, je suis persuadé, à l’inverse de certains de mes confrères, que ce retour de l’Iran ne gêne pas plus que ça Israël… Quant aux Saoudiens, afin d’apaiser leurs craintes, ils ont dû eux aussi recevoir des garanties américaines d’ordre diplomatiques et surtout sécuritaires. D’ailleurs, à Washington, on évoque déjà un contrat d'armement d'environ 900 millions d'euros avec l'Arabie. N’oublions pas aussi que depuis 1945 et le pacte du Quincy, les Etats-Unis sont les grands protecteurs de la pétromonarchie saoudienne. Aujourd’hui, comme encore une fois les Israéliens (même si ces derniers se sont discrètement, mais sûrement, rapprochés de la Russie), les Saoudiens ne peuvent se payer le luxe de tourner le dos à la protection de la seule grande puissance mondiale actuelle. D’autant plus que, comme celle du Qatar d’ailleurs, la stratégie du royaume, depuis le « printemps arabe », a abouti à un véritable fiasco dans la région. En Occident, mais aussi dans le monde arabe, les critiques grandissent : dans les Chancelleries et les médias, on évoque de plus en 

plus son double jeu dans les crises de la région et on commence à lui reprocher ses soutiens directs ou indirects aux salafistes mais aussi à certains groupes armés islamistes en Syrie et en Irak. Un vent de colère traverse même les populations musulmanes concernant le refus de l’Arabie saoudite quant à accueillir des réfugiés syriens ou irakiens… 

Ainsi, la première visite aux Etats-Unis, depuis son accession au trône, et son revirement de position sur l’accord du nucléaire iranien, permet au roi Salman de se « réconcilier » avec son protecteur américain. Ce qui n’est pas négligeable lorsque l’on sait que le roi doit faire face aux menaces de l’Etat islamique, à un éventuel isolement diplomatique et aux pressions internationales concernant les Droits de l’Homme mais aussi, on en parle moins, à de fortes tensions internes avec certains princes puissants du royaume…

Le porte parole du monarque a déclaré que cet accord "contribuera à la sécurité et à la stabilité dans la région". Qu'est-ce que cette nouvelle position peut signifier pour les tensions avec l'Iran ? Quid du Yémen ?

Roland Lombardi : Comme je l’avais déjà écrit en mars dernier lorsque l’Arabie saoudite intervenait au Yémen , l’accord sur le nucléaire iranien pourrait aider à régler les crises dans la région en faisant revenir les Etats-Unis à la Realpolitik…et dans la danse.

En ce qui concerne le conflit en Syrie, la Maison Blanche commence à admettre qu’une solution passe inévitablement par l’Iran et la Russie. Et si Washington et Riyad ont un intérêt commun à mettre fin à la guerre civile brutale en Syrie, la chute d’Assad semble n’être plus à l’ordre du jour. Mais le soutien de l'Arabie saoudite apporté à des groupes de l'opposition comme Jaysh al-Islam, un groupe armé rebelle qui comprend des islamistes salafistes radicaux, inquiète la Maison Blanche. Riyad considérait jusqu’à présent que les combattants sunnites étaient un contrepoids aux milices chiites soutenues par l'Iran dans la volonté iranienne d'apporter son soutien à Assad. Mais en Irak, l’Arabie saoudite a besoin secrètement de l’Iran pour contenir l’EI qui a menacé le royaume… Ainsi, sous la pression des Américains, Riyad pourrait évoluer dans ses positions et aider les Etats-Unis à isoler certains éléments extrémistes de l'opposition syrienne.

Au sujet du Yémen, que l'Arabie saoudite a commencé à bombarder peu après l'arrivée au pouvoir du roi Salmane et de son fils, le prince héritier Mohammed, également ministre de la Défense, les États-Unis ont « autorisé » les frappes contre les rebelles soutenus par l'Iran, mais ont mis en garde Riyad à plusieurs reprises contre l'impact des combats sur les civils. Craignant un enlisement, les Saoudiens pourraient accepter finalement une solution négociée et proposée par Washington qui en aurait établi, préalablement et en secret, les modalités avec Téhéran. 

Et pour la guerre des prix du pétrole ? En quoi ce réchauffement des relations peut être bénéfique à l'administration américaine, à la fois sur le plan de la politique intérieure, mais aussi au Moyen-Orient ?

Roland Lombardi : L’Arabie Saoudite est le premier exportateur mondial de pétrole. Elle produit dix millions de barils de pétrole et un million et demi de mètres cubes chaque jour. Ce volume est impressionnant et explique en grande partie la chute des cours en 2014. Ainsi, le prix est passé de 115 dollars le baril à une quarantaine de dollars en six mois.

Par conséquent, tous les pays producteurs souffrent et voient leurs revenus fondre. Pour le royaume saoudien, le pétrole représente 90% des revenus publics. Paradoxalement, l’Arabie Saoudite est largement tenue pour responsable par les observateurs de cette baisse des prix. En effet, cette stratégie servirait ses intérêts géostratégiques : ses voisins en subissent les conséquences, et en particulier l’Iran, dont le retour en grâce, et le soutien à Damas, ne convient pas à Riyad. Au-delà, c’est même la Russie qui serait visée pour l’aide apportée au régime de Bachar al-Assad en Syrie. Mais en quatre mois, le royaume a déjà enregistré un manque à gagner de 49 milliards de dollars ! S’ajoutent à cela, les dépenses militaires du royaume qui participe à la coalition en Irak contre l’EI mais aussi et surtout, qui intervient depuis mars 2015 au Yémen. Les guerres coûtent toujours très chères. Celle du pétrole aussi. Et même pour la riche Arabie saoudite, le petit jeu, qui consiste à étrangler financièrement ses adversaires, ne peut pas durer trop longtemps…

our l'administration de Barack Obama, dont le mandat expire en 2016, c’est le moyen de prouver aux Américains que sa politique extérieure est une réussite et qu'elle a su conserver ses alliés stratégiques et défendre ses intérêts au Proche-Orient. Par ailleurs, si la normalisation des relations Etats-Unis-Iran-Arabie se poursuit et surtout qu’elle entraîne une reprise de la hausse du prix du pétrole, l’extraction et l’exploitation de l’huile de schiste (garante de la future indépendance énergétique américaine), durement mises à mal et fragilisées jusqu’ici, pourront reprendre de plus belle.

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