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"Jamais soumise" : le combat d’une jeune femme de la Courneuve pour échapper à sa famille qui voulait la soustraire à l’influence occidentale
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Bataille pour la dignité

Auteur de l'ouvrage, Zohra K décrit comment au début des années 70, sa famille l'a envoyée en Algérie pour la soustraire des influences jugées néfastes.

Fabrice Le Quintrec

Fabrice Le Quintrec

Fabrice le Quintrec est rédacteur en chef adjoint à Radio France, spécialiste des revues de presse.

Ancien attaché culturel en poste à l'Ambassade de France au Japon, il est aussi auditeur de l'IHEDN (Institut des Hautes études de la Défense Nationale).

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La fin cruelle de la jeune otage américaine Kayla Mueller, devenue pendant de longs mois, à l’âge de 26 ans, la propriété personnelle, la "chose" du chef de l’Etat Islamique Abou Bakr Al-Baghdadi, l’a illustré : le viol et l’esclavage sexuel sont des instruments de soumission et de torture utilisés par les djihadistes. Il existe même – une récente enquête du New York Times s’en est fait l’écho – une véritable théologie du viol. Il est pratiqué systématiquement sur les captives, précédé et suivi des prières appropriées. Peu importe l’âge des victimes, mais les plus jeunes ont une valeur marchande supérieure. Il est ainsi possible, paraît-il, grâce à ces viols, de se rapprocher de Dieu ; c’est aussi un moyen d’attirer, de motiver et de récompenser les nouvelles recrues de Daech.

Hors d’un contexte de guerre mais toutefois au nom de ces mêmes "valeurs" rétrogrades et barbares, une française d’origine algérienne a subi cette douloureuse expérience de l’oppression sexuelle pendant plusieurs décennies et son récit autobiographique publié par les éditions Ring fait froid dans le dos. Il s’agissait de la mettre au pas, comme on dit d’une jument rétive, et de lui faire, par la violence, accepter l’ordre établi et imposé par une société patriarcale qui se retranche derrière des alibis religieux.

Titre de cet ouvrage de Zohra K (rédigé avec la complicité de son co-auteur Jule Mathias) : "Jamais soumise".

C’est l’histoire d’un combat, celui d’une femme pour ses droits et, en même temps, d’une mère pour ses filles. Les faits, bien réels et sans doute aussi, hélas… assez banals, se déroulent de la fin des années 1970 au début des années 2000. Il y aurait actuellement de par le monde, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et même en Europe, environ 700 millions de femmes mariées de force alors qu’elles étaient encore mineures.

Jeune fille élevée à La Courneuve, Zohra, au début du récit, est une ado turbulente, un peu rebelle que sa famille kabyle traditionnaliste, non assimilée, juge préférable de soustraire à des influences jugées néfastes. On va donc la renvoyer en Algérie pour la "marier" de force à un lointain cousin de huit ans son aîné.

Abusée, humiliée, frappée, réduite en esclavage par son époux et sa belle-famille, Zohra n’abdiquera jamais. Car l’histoire de ce combat est aussi celle d’une espérance, petite flamme qui ne veut pas s’éteindre, même au cœur de la nuit et de l’adversité.

Ce petit bout de femme à l’énergie farouche et indomptable ne peut guère compter que sur elle-même (sa propre famille l’a trahie) ; cela prendra du temps, cela demandera beaucoup de patience et de détermination mais Zohra va échafauder et mener à bien un scénario très élaboré pour échapper à ses bourreaux, pour fuir et, ensuite, pour, en quelque sorte, kidnapper ses filles retenues en otages par leur géniteur.

Il y a dans cette histoire une dimension de témoignage social sur l’obscurantisme qui broie les êtres et sévit sur tous les continents : certes il peut exister bien des forces ineptes qui asservissent et terrorisent mais, en l’occurrence, celle avec laquelle Zohra est aux prises porte un nom ; lorsque le monde stupéfait assiste au spectacle bouleversant des tours jumelles frappées de plein fouet, Zohra, instantanément, sait à quoi s’en tenir, et, elle le raconte elle-même : elle pense aussitôt à l’Islam.

En lisant "Jamais soumise", on mesure la place dévolue aux femmes dans les sociétés musulmanes les plus conservatrices ; on voit également à l’œuvre des mécaniques administratives insensibles aux souffrances humaines et aux cas particuliers ; on plonge en outre, vers la fin du livre, dans une sorte de polar haletant, lorsque les trois filles conçues et élevées en captivité retrouvent leur mère venue les récupérer et parviennent à fuir à leur tour en France. Ce sauvetage in-extremis a une dimension cinématographique et pourrait être porté à l’écran, il rappelle en tout cas l’exfiltration des diplomates américains dans le film "Argo" de Ben Affleck.

Il n’y a dans ce livre ni amertume, ni volonté de vengeance. Le pardon règne de manière souveraine ainsi que le goût, la passion de la liberté et une volonté d’épanouissement individuel, de reconstruction, de redémarrage que seules permettent les sociétés démocratiques évoluées. Boussad, taxi bénévole intervenant de manière providentielle en faveur de Zohra, lors de son ultime séjour à Alger, le lui dit sans ambages : "profite de la liberté que tu as arrachée à cette société débile. Si nous avions plus de femmes comme toi, l’Algérie n’en serait pas là aujourd’hui."

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