Pardon de l’avortement : comment le "François style" parvient à faire passer pour novateur un discours qui demeure conservateur<!-- --> | Atlantico.fr
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Un avortement est puni d’une excommunication latea sententiae, c’est-à-dire qu’elle est automatique : en commettant l’acte, la personne s’exclue elle-même de la communion de l’Eglise.
Un avortement est puni d’une excommunication latea sententiae, c’est-à-dire qu’elle est automatique : en commettant l’acte, la personne s’exclue elle-même de la communion de l’Eglise.
©Reuters

Bonne com'

A travers ses récentes déclarations, le Pape François met en pratique ses leçons de communication dans le but de rassembler les chrétiens. Il a notamment déclaré que tous les prêtres pourront absoudre le péché de l'avortement par le sacrement de réconciliation.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Dans une lettre à propos de l’année jubilaire sur la Miséricorde (qui commencera le 8 décembre prochain), le Pape François lance un nouvel appel au rassemblement dans l'Eglise et au pardon. Il revient, entre autres, sur le péché de l'avortement, en écrivant que tous les prêtres pourront absoudre ce péché par le sacrement de réconciliation. Les déclarations du Pape sont-elles réellement innovantes ? La position de l'Eglise a t-elle changé ? 

Christophe Dickès : Pas vraiment. Avec le pape François, nous pensons que tout est nouveau alors que beaucoup de ses déclarations reprennent un enseignement du passé. Par exemple, sur le site Internet du Vatican, vous trouverez facilement un vade mecum du confesseur datant de 1997 et expliquant que : "Pour ce qui concerne l'absolution du péché d'avortement, […] Si le repentir est sincère, et s'il est difficile de s'adresser à l'autorité compétente à qui est réservée la remise de la censure, tout confesseur peut absoudre" le pêcheur. Ce document a été signé par le cardinal Lopez Trujillo qui était à l’époque à la tête du Conseil pontifical pour la Famille. 

En fait, un avortement est puni d’une excommunication latea sententiae c’est-à-dire qu’elle est automatique : en commettant l’acte, la personne s’exclue elle-même de la communion de l’Eglise. Or, pendant longtemps, la levée d’une excommunication était réservée au pape. Depuis bien des années maintenant, les évêques et les prêtres ont ce pouvoir. 

Dernièrement, le cardinal africain Philippe Ouedraogo rappelait que les évêques "peuvent déléguer ce pouvoir ordinaire d'absoudre du péché mortel d'avortement aux curés-doyens, ou à tous les Curés […] ou encore l'ensemble des prêtres, moyennant certaines dispositions"

A travers cette déclaration, cherche t-il a reconquérir les Chrétiens plus "progressistes" qui trouvaient l'église jusque-là trop radicale ?

Sur cette question, je ne pense pas que cela soit son intention. Mais on sait que François cultive cette idée de miséricorde qui est un des piliers de son pontificat. Or, on oppose à tort la miséricorde et le pardon d’un côté, le dogme de l’autre. Mais, dans la théologie catholique, l’un ne va pas sans l’autre. Dans l’évangile, le Christ pardonne à la femme adultère et lui demande ensuite de ne plus pécher. L’absolution, dans le sacrement de pénitence, est donnée par le prêtre aux fidèles qui regrettent sincèrement leur péché et veulent changer de vie. 

En mettant en avant la miséricorde, le pape argentin appelle donc indirectement au renouveau de la pratique de la confession ou de la pénitence. Cette pratique avait été longtemps délaissée. Elle est réapparue depuis le jubilé de l’an 2000, à la fin du pontificat de Jean-Paul II et s’est développée sous Benoît XVI. Sur cet aspect, le pape François est donc très traditonnaliste : le péché, les fautes personnelles sont des réalités pour lui et il est nécessaire de les corriger par ce sacrement.

On a l'impression que - peut-être plus que ses prédécesseurs-, le pape arrive à faire passer des positions anciennes de l'Eglise comme nouvelles, et à faire penser aux médias et à certains Chrétiens à un "nouveau souffle de l'Eglise". Quelle analyse pouvons-nous faire de la communication du pape François ? Est-il un bon communiquant ?

Vous avez tout à fait raison. Comme je vous le disais, avec ce pape, nous pensons que tout est nouveau. Ce qui change en fait est sa façon de dire les choses et, surtout, sa proximité avec les gens à qui il s’adresse. En conséquence, ce pape possède une popularité incontestée et incontestable. Il apparaît davantage comme un pasteur, le "curé du monde". Après, il est beaucoup trop tôt pour dire si cela se traduit dans la pratique religieuse des fidèles ou si l’Eglise voit le nombre de baptisés augmenter.  

Début septembre, le pape a également rendu officiellement valide le sacrement de pénitence des prêtres de la fraternité Saint Pie X. Une première depuis 1988, puisque Mgr Lefebvre, le fondateur de la fraternité qui ne reconnait pas le concile Vatican II, avait été excommunié pour avoir sacré quatre évêques sans l'avis du pape. Qu'est-ce que cela signifie ? Quel message veut-il faire passer ? 

Il y avait deux moyens de négocier avec la Fraternité Saint-Pie X. Le premier était de placer le débat avec cette communauté sur un plan dogmatique. C’était le souhait de la Fraternité envers qui Benoît XVI a fait de larges gestes : il a levé les excommunications des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre, il a libéralisé le rite en latin dit de saint Pie V, il a enfin ouvert des discussions sur le plan doctrinal. Mais c’est précisément sur ce dernier point que la machine s’est grippée en quelque sorte. 

François utilise une autre méthode, plus concrète et pratique : il rétablit des droits au compte-goutte, mais il le fait progressivement. Il l’a fait en Argentine par une reconnaissance de la Fraternité dans ce pays, il le fait aujourd’hui pour l’année de la miséricorde. Il tend très clairement la main à la Fraternité. Une nouvelle étape s’ouvre donc, qui apaise les rapports entre les deux parties. Il s’agit d’une politique des petits pas mais qui engage aussi la Fraternité : en effet, Rome attend de la part de la Fraternité Saint Pie X des gestes à son égard.  

Finalement, cherche t-il à ouvrir les portes de l'Eglise et à rassembler de manière la plus large possible à une époque où il sent que l'Eglise a plus que jamais besoin d'unité ?

Tout à fait, c’est sa conception très "large" de l’Eglise. Pour lui, chaque communauté a sa place. C’est ce qu’il a développé dans les premiers mois de son pontificat dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium : l’unité, pour lui, est supérieure au conflit. Sa conception du "peuple de Dieu" respecte les différences et même les conflits, ce qu’a expliqué dernièrement son ancien professeur de Buenos Aires, Juan Carlos Scannone, dans un livre d’entretiens.

Propos recueillis par Cécile Picco

Christophe Dickès vient de publier Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde aux éditions Tallandier -

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