Crise des migrants : ces millions de réfugiés syriens répartis à travers le Moyen-Orient que l’Europe peine à distinguer derrière l’image de ceux qui traversent la Méditerranée<!-- --> | Atlantico.fr
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Un camp de réfugiés Yazidis au Moyen-Orient.
Un camp de réfugiés Yazidis au Moyen-Orient.
©REUTERS/Youssef Boudla

Turquie, Jordanie, Liban

Alors que la prévision de l’arrivée de 800 000 migrants en Europe pour l’année 2015 crée des réactions violentes et presque paniquées de la part de nos dirigeants, ce chiffre semble dérisoire quant aux 4 millions de réfugiés Syriens répartis au Moyen-Orient.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico: Depuis le début du conflit syrien, quels sont les réfugiés qui sont sortis du territoire syrien et comment se répartissent-ils géographiquement ?

Fabrice Balanche:Depuis 2011, plus de 5 millions de personnes ont quitté la Syrie sur un total de 23 millions d’habitants. Le HCR a enregistré 4 millions de réfugiés, mais une enquête de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth estime que 20% des réfugiés syriens ne sont pas enregistrés. Nous pouvons donc considérer qu’un million de Syriens supplémentaires ont quitté leur pays. En outre la Syrie compte près de 8 millions de déplacés internes, qui sont dans leur grande majorité des candidats à l’émigration.

Officiellement le Liban compte 1,2 millions de réfugiés enregistrés, mais nous pouvons estimer leur nombre réel à 1,5 millions. Ils sont près d’un million en Jordanie, deux millions en Turquie et 300 000 en Irak, principalement dans la zone kurde. 

Quelles sont les structures d’accueil mises en place par la Turquie et le Liban et qu’est-ce que cela dit  de leur vision du problème syrien et de sa pérennisation ?

Le Liban fait la politique de l’autruche. Il a refusé de construire des camps de réfugiés car il craint le syndrome palestinien : l’installation durable d’une population étrangère qui déstabilise le pays. Les réfugiés vivent pour la plupart dans des conditions misérables : plusieurs familles s’entassent dans des appartements sordides ou des garages pour des loyers exorbitants. Un quart des réfugiés vivent dans des camps de fortunes dans la périphérie des villes ou aux milieux des champs. Au début de la crise, la Turquie a installé des camps pour accueillir les « invités » syriens, car elle refuse de les considérer officiellement comme des « réfugiés ». Le HCR n’est donc pas présent en Turquie, c’est une association turque, IFAD, qui gère les réfugiés et délivrent les accréditations pour les ONG. Les camps sont prévus pour accueillir 250 000 réfugiés : le nombre est dépassé depuis longtemps. Elle refuse d’augmenter sensiblement la capacité d’accueil pour éviter un appel d’air. La Turquie d’Erdogan pensait que Bachar el Assad allait tomber rapidement, par conséquent elle n’a pas mis en place les structures d’accueil adaptées, en outre elle a refusé l’installation de nombreuses ONG sur son territoire, considérant que les institutions turques étaient capables de faire face, ce qui s’est révélé totalement erroné dans les deux cas. La Jordanie et le Gouvernement Régional du Kurdistan d’Irak ont davantage pris la mesure du problème avec l’installation de camps et l’appel aux ONG internationales. Ces deux pays ont davantage d’expérience avec les réfugiés.

Les structures d’aide internationale sont-elles efficaces dans le soutien qu’elles apportent, à la fois aux réfugiés, mais également auprès des structures locales qui les accueillent ?

Le HCR et les autres organisations onusiennes sont très présentes, mais désormais elles manquent de moyens financiers. En décembre 2014 le Programme Alimentaire Mondial a annoncé qu’il ne pouvait plus financer l’aide alimentaire aux réfugiés syriens. Une aide exceptionnelle de l’Union Européenne lui a permis de passer l’hiver avant qu’une nouvelle conférence des donateurs ne lui apporte des moyens pour 2015. Chaque année les donateurs sont moins généreux car la crise syrienne lasse la communauté internationale et d’autres crises dans le monde demandent également des moyens. Or, les réfugiés syriens coûtent relativement cher : vingt fois plus qu’un réfugié du Congo. Lorsqu’il faut faire des arbitrages, c’est donc au détriment des Syriens.

Les structures locales sont débordées par l’afflux de réfugiés. A titre d’exemple, il faudrait doubler la capacité des écoles publiques libanaises pour accueillir l’ensemble des enfants syriens. Actuellement, moins de 20% sont scolarisés. Les cours ont lieu l’après-midi avec des enseignants syriens ou libanais payés par des ONG. Les services de santé sont également débordés et les ONG ne peuvent que répondre aux soins de première nécessité. Les traumatismes psychologiques liés à la guerre, en particulier chez les enfants, ne sont pratiquement pas traités. 

Dans quelles conditions ces réfugiés vivent-ils et comment leurs conditions de vie ont évolué depuis le début du conflit ?

La situation des millions de réfugiés syriens et des déplacés internes en Syrie, car il ne faut pas les oublier, est devenue catastrophique. Le HCR n’est pratiquement plus capable que de distribuer des rations alimentaires. Faute de moyens, le nombre d’ayants-droit se réduit aux femmes et aux enfants, et les montants se sont réduits de 30$ par personne et par mois en 2015 à 19$ aujourd’hui. Or, cela ne permet que d’acheter du pain et du riz. Les autorités libanaises exigent une carte de séjour pour les réfugiés de plus de 14 ans qui s’élève désormais à 360$ par an (contre 200$ en 2014). L’essentiel des réfugiés sont donc illégaux et susceptibles d’être incarcérés (40 jours de prison). Des réfugiés interrogés à Tripoli du Liban me disaient leur désarroi et leur colère lors d’une enquête en septembre 2014. Ils ont tout perdu en Syrie, ils se considèrent comme trahis par l’Occident et les pays du Golfe qui les auraient poussés à la révolte, et désormais privés de toute dignité. Certains m’ont fait part de leur intention de rejoindre des groupes jihadistes tels que Daesh, seuls susceptibles selon eux de leur faire retrouver leur dignité. Il ne faut pas oublier que se sont dans les camps de réfugiés afghans au Pakistan que sont nés les Talibans.

Quelles sont leur perspective d’avenir, et peuvent-ils encore envisager un retour dans leur foyer ?

Les perspectives d’avenir sont aussi sombres que celles de la Syrie si la communauté internationale ne décide d’arrêter le conflit, et ensuite décide d’un plan Marshall pour reconstruire le pays. Or la diplomatie est dans l’impasse, malgré les déclarations unanimes sur « une transition politique en Syrie », comme ce fut le cas au Conseil de Sécurité de l’ONU en août dernier. Les combats se poursuivent sans que l’un ou l’autre camp ne puisse l’emporter, tandis que Daesh s’installe durablement.

La moitié de la population syrienne a dû quitter son foyer, elle n’a guère espoir d’un retour rapide, par conséquent elle cherche refuge dans des zones sûres où ils pourront assurer un avenir à leurs enfants. Les pays arabes du Golfe n’accueillent que les riches, c’est donc vers l’Union Européenne que va se diriger le flux migratoire. Les réfugiés syriens présents en Turquie sont las d’attendre que la guerre cesse dans leur pays et gagnent désormais l’Europe. Même les réfugiés qui se trouvent au Liban peuvent se rendre en Europe, via des réseaux de passeurs turcs qui les mettent sur des bateaux à Beyrouth ou Tripoli vers les ports turcs, puis les font passer en Grèce ou en Bulgarie. Les familles vendent tout ce qu’elles possèdent en Syrie, les femmes vendent leur or et tous se cotisent pour envoyer un des leurs en Europe, pas forcément un jeune homme célibataire comme dans le fameux film d’Elia Kazan, America America, mais un père de famille. Une fois enregistré en Allemagne, au Danemark ou en Suède, il demandera le regroupement familial et deviendra ainsi la tête de pont d’un réseau migratoire pour une famille élargie.

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