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Désormais, près d’une tuerie de masse par jour aux Etats-Unis : aux racines du problème d’armes à feu made in America
©Reuters

Bang Bang

Publiée en 1999, une étude réalisée par deux chercheurs américains Franklin Zimring et Gordon Hawkins reste toujours d'actualité après la tuerie en Virginie qui a eu lieu en direct à la télévision américaine. Entre les Etats-Unis et les autres pays occidentaux, la criminalité serait à peu près équivalente, mais les risques de mourir par arme à feu outre-Atlantique seraient décuplés.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Si le taux d'homicide pour 1 million d'habitants est de 1,4 en Australie, 3,3 aux Pays-Bas et de 7,7 en Suisse, il passe aussitôt à 29,7 aux Etats-Unis. Pourtant, ce pays de 320 millions d'habitants est dans la moyenne au niveau criminalité, révèle une étude qui compare une vingtaine de pays développés et pointe le rôle non-négligeable joué par les armes à feu.

Atlantico : Republiée après la tuerie qui a eu lieu récemment en Virginie, une étude de 1999 de Franklin Zimring et Gordon Hawkins, toujours d'actualité, révèle que le taux de criminalité aux Etats-Unis est assez comparable à celui des autres pays occidentaux. Mais les crimes ont plus de chance d'être mortels, à cause du grand nombre d'armes en circulation. Ce constat est-il exact ?

Xavier Raufer : Les armes ne sont pas le problème, elles ne sont qu’un symptôme. Une arme en elle-même est incapable de tuer qui que ce soit. Ce sont des êtres humains qui tuent. S’agissant des Etats-Unis, il y a entre 350 et 380 millions d’armes à feu  en circulation dans le pays. Pourquoi interdire ? Il y a déjà ce qu’il faut, dans le marché de la revente, pour assassiner la moitié des Etats-Unis. Les armes aux Etats-Unis sont en quantité telle que si leur vente était interdite, cela ne changerait rien au nombre de personnes assassinées, en tout cas pour les vingt ans à venir. Il y a des pays, comme le Brésil ou le Mexique, où on compte dix fois plus d’armes en circulation et où il n’y a jamais de tueries de masse. C’est bien la preuve que le problème ne vient pas des armes. Sinon le calcul serait simple : plus on a d’armes en circulation, et plus il y a de meurtres par armes à feu. L’année dernière, la police et l’armée dans le monde ont récupéré beaucoup d’armes illicites. Le Mexique, pays voisin des Etats-Unis, est celui qui en a le plus récupéré, en l’occurrence trois fois plus qu’en Irak, qui est pourtant un pays en guerre. Soit 15000 pour l’Irak et 45000 pour le Mexique. Il y aurait deux fois moins d’armes aux Etats-Unis que maintenant, cela ne changerait rien.
Les Etats-Unis ont abrité entre les trois quart et les quatre cinquièmes des tueries de masse des trois dernières décennies. Il y a finalement peu de victimes, pas plus de 500 à 600 personnes au cours de la dernière décennie, ce qui est peu. Cela fait même moins de victimes que la foudre. Les tueries de masse affectent en général la population blanche, des Blancs tués par d’autres Blancs, comme lors de la tuerie de Columbine. Ces homicides de type tueries de masse n’arrivent que dans des Etats à majorité protestante. On en trouve pas au Mexique, pays catholique voisin, où les tueries concernent les guerres entre les cartels pour le contrôle d’un territoire. Cela s’explique par la pression énorme de la bienséance et du politiquement correct aux Etats-Unis. Dans ce pays, dans les beaux quartiers où habite la bourgeoisie, dans les lycées ou les universités où se produisent les tueries de masse, il est interdit de tout faire, de cracher par terre, de fumer, de dire des gros mots. Cela devient un enfer de conformité. C’est un système à fabriquer des bombes humaines. Tout est euphémisé. C’est quelque chose qui n’existe pas dans la culture catholique, parce que la confession se fait en privé. Dans la culture protestante, la confession se fait en public, sous le regard de la communauté. Tout doit donc être beau, lisse. C’est un totalitarisme mou. Ce qui transforme des gens en bombe humaine. 

L'étude laisse aussi entendre qu'il n'y a pas de lien entre le taux d'homicide et le niveau général de criminalité en Occident. Un pays comme les Pays-Bas peut par exemple avoir un taux de criminalité élevée tout en ayant un taux d'homicide très bas.  Etes-vous d'accord ? Comment ce schéma s'applique-t-il aux Etats-Unis, à la France et aux différents pays occidentaux ?

On ne peut pas comparer des systèmes judiciaires et policiers aussi différents que les Etats-Unis et les pays européens. Le Brésil est le pays numéro un pour les homicides par armes à feu au monde. Il me paraîtrait plus logique de comparer les Etats-Unis avec le Brésil qu’avec les pays européens. On ne peut pas comparer des pays qui ont le même niveau de vie, sauf à considérer - et c’est une idiotie - que la misère engendre le crime. Il vaut mieux comparer des Etats qui ont la même structure. Le Brésil compte 200 millions d’habitants, les Etats-Unis en comptent 320 millions. Ce sont deux Etats fédéraux à la population mélangée et aux origines ethniques diverses. Il me paraît plus logique de comparer les Etats-Unis et le Brésil que les Etats-Unis avec le Liechtenstein ou la Suisse. Aux Etats-Unis, il y a suffisamment d’armes à feu capables de tuer - de chasse ou de guerre- que même si on les interdisait demain, cela ne changerait rien. Les Mexicains envoient une partie des armes qu’ils saisissent aux Etats-Unis pour les faire expertiser parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Or, plus de la moitié des armes qui servent aux tueries effroyables des cartels proviennent des Etats-Unis. Elles proviennent donc du marché noir. Des armes issues du marché noir américain tuent donc énormément aux abords des Etats-Unis, pays qui ne manque pas d’armes lui-même pourtant. Les Etats-Unis sont capables d’utiliser une part importante des armes dont on avait perdu la trace. Il y a déjà un stock d’armes illégales telles que si l’idée est d’assécher le marché et de récupérer les armes, c’est impossible. Pour récupérer les quelque 50 millions d’armes clandestines qui circulent aux Etats-Unis, il faudrait plusieurs siècles. 

D'après d'autres experts américains qui se réclament de Zimring et Hawkins, il n'y a pas de lien entre les politiques sociales et le taux de criminalité. Le problème vient spécifiquement des armes. Un certain nombre de pays européens sont par exemple confrontés au trafic de drogue et le Canada à un taux élevé de vols de voitures. Peut-on dire que chaque pays a sa criminalité ?

On ne peut comparer le vol au meurtre. On peut en revanche comparer les taux d’homicides d’un pays à l’autre, en France et au Brésil, en Allemagne et au Japon avec le Salvador et le Venezuela. Soit 100 pour 100 000 au Venezuela tandis qu’il serait de 0,5 pour 100 000 au Japon. Mais cela ne rime à rien de comparer les voleurs à l’étalage avec les meurtriers. Courteline faisait dire à un de ses personnages dans une pièce de théâtre : « Je ne vois pas pourquoi je devrais payer un parapluie 6 francs alors qu’un bock de bière coûte 25 centimes ». On fait la même chose avec ce genre d’études, on compare les parapluies et les bocks de bière, les meurtres et les vols. Que prouver-ton avec ce genre de comparaison ? Je ne vois pas quel enseignement on peut en tirer. 

Le niveau de vie en Afrique est trois fois moins élevé qu’en Amérique latine et il y a aussi trois fois moins d’homicides. Le Venezuela croule sous l’argent du pétrole, et cumule le record d’homicides en Amérique latine. Le deuxième continent le plus développé au monde en terme de nouvelles technologies, c’est l’Amérique latine, qui représente 10% de la population mondiale et 25% des homicides. En Afrique, quoique la misère y soit infiniment plus forte qu’en Amérique latine, le taux d’homicide y est infiniment plus bas. Quand on est pas aveuglés par l’idéologie hugolienne qui consiste à voir des misérables partout, ce qui est quand même une tradition française assez forte, on s’aperçoit qu’aux Etats-Unis, la criminalité a explosé pendant une période assez longue où le chômage s’est effondré, dans les années 1970, après le boom économique fourni par la Guerre du Vietnam. Le taux de chômage a été divisé par deux en quelques années, après avoir été à 10% pendant quelques années. Cela a fait explosé la criminalité et notamment la criminalité d’acquisition, c’est-à-dire les vols. Pour une raison bien simple : avec l’embellie économique, il y a tout simplement plus de choses à voler. De plus, il y a une raison technologique : les objets se miniaturisent et sont donc plus faciles à voler. Voilà des raisons objectives mesurables qui montrent que la criminalité augmente quand un pays s’enrichit. Pendant la Grande Crise des années 1930 aux Etats-Unis, quand la population crevait littéralement de faim, la criminalité n’a pas explosé. Dans la décennies précédente, au cours des « roaring twenties », caractérisées par un enrichissement factice, la criminalité avait connu un nouvel essor  - tout le monde connaît l’histoire d’Al Capone - et quand le pays s’est appauvri, le taux de criminalité s’est effondré.

Comme les médias américains le soulignent, il ya désormais pratiquement une tuerie de masse par jour aux Etats-Unis (247 en 238 jours depuis le début de l'année). Comment expliquer cette escalade ?

Non, le taux est à peu près stable depuis des années. La première grande tuerie de masse reconnue comme telle aux Etats-Unis remonte à la fin des années 1960, au Texas. Depuis, on en compte entre sept et 10 par an. Dans une étude que j’ai réalisée sur ce sujet, j’en tire cette conclusion, en m’arrêtant en 2013, pour des rasons techniques. Les statistiques de 2015 stabilisées ne seront connues qu’en 2018. Le FBI ne peut traiter à lui seul les données de 320 millions d’habitants. Même s’il y a une augmentation, l’évolution du nombre de tueries de masse suit une évolution en forme de serpent : légèrement plus ou moins élevée certaines années sans explosion spectaculaire. Il faut aussi revenir sur l’histoire américaine. Dans les premiers temps, entre 1770 et 1860, il y avait peu d’armes en circulation, à part sur la frontière, pour combattre les bêtes sauvages. La Guerre de Sécession a entraîné une explosion du nombre d’armes en circulation. Les Américains ont pris alors l’habitude de conserver des armes chez eux. Cette guerre civile est très différente de la vision qu’en donne les livres d’image aux Etats-Unis. S’il y a eu quelques grandes batailles, une bonne partie des tueries a consisté en règlement de comptes entre voisins et en massacres dans les villages. Cette partie-là de la guerre de Sécession est occultée au profit des grandes batailles, qui ne représentent que 10% des dégâts. Après cet épisode, tous les hommes ont conservé l’habitude d’avoir des armes chez eux. Et la guerre de Sécession ne s’est pas arrêtée avec la capitulation du général Lee en 1865. En 1882, Jesse James attaquait encore des trains au Missouri et au Kansas au nom de la « Lost Cause », la cause sudiste. Une fois battus, les soldats sudistes sont devenus les premiers braqueurs de banques. Les vengeances personnelles ont duré pendant encore plusieurs décennies après la fin de la guerre. De là vient l’habitude d’avoir des armes chez soi aux Etats-Unis.

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