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Le dernier film d'Andrew Niccol dépeint une société où la richesse se compte en temps.
Le dernier film d'Andrew Niccol dépeint une société où la richesse se compte en temps.
©Reuters

Time Out

Ce mercredi sort le film "Time Out" qui décrit une société futuriste où le temps a remplacé l’argent. De la science-fiction ? Pas si sûr : nos choix pourraient désormais être guidés avant tout par leur caractère chronophage...

Pierre-Henri Tavoillot

Pierre-Henri Tavoillot

Pierre-Henri Tavoillot est philosophe, spécialiste de l'histoire de la philosophie politique.

Il codirige la collection "Le Nouveau collège de philosophie" (Grasset).

Il a notamment publié Tous paranos ? Pourquoi nous aimons tant les complots …  en collaboration avec Laurent Bazin (Editions de l’Aube, 2012) et vient de faire paraître Faire, ne pas faire son âge aux Editions de L'Aube.

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Atlantico : Ce mercredi sort le film "Time Out" qui décrit une société futuriste où le temps a remplacé l’argent. Il s’agit bien-sûr de science-fiction, mais le propos ne raconte-t-il pas aussi notre époque ? Nos choix ne procèdent-ils pas désormais davantage d’un arbitrage lié à l’interrogation « combien cela va-t-il me prendre de temps ? » plutôt que « combien ça coûte ? »

Pierre-Henri Tavoillot : Ce thème correspond à une problématique sans doute encore sous-évaluée : le conflit qui peut exister aujourd’hui entre temps professionnel, temps familial et loisirs. A cela s’ajoute le sentiment que tout prend plus de temps. Les gestes les plus quotidiens demandent davantage de réflexions.

Par exemple, désormais, lorsqu’on achète un simple produit dans un magasin, on est amené à se poser la question de son prix mais aussi de savoir si l’on peut sauver la planète en l’achetant ! Jadis, cette question ne se posait même pas. Le processus est semblable pour l'éducation des enfants : avant de leur dire s’ils vont pouvoir sortir ou non faire la fête, il y aura une discussion au sein du couple, les parents demanderont éventuellement conseil à une tierce personne… le moindre choix prend désormais beaucoup de temps !

Pour résumer, on pourrait dire que les sociétés traditionnelles avaient toutes les réponses mais aucune question, alors que les sociétés modernes ont toutes les questions mais aucune réponse.

Votre interrogation évoque également un sujet sur lequel peu d'enquêtes ont été réalisées : la question de l’emploi du temps, c’est-à-dire « à quoi occupe-t-on son temps dans une journée ? ». L’INSEE publie régulièrement un indicateur. Si l’on s’y fie, on s’aperçoit de plusieurs choses : que le temps de lecture des Français a augmenté considérablement ces dernières années, mais qu’on ne lit plus de livre ; ou que le temps passé à travailler augmente lui-aussi en dépit de la réduction du temps de travail. Pourquoi ? Parce que les employés travaillent plus à la maison qu’auparavant. La façon dont les Français gèrent leur temps a donc évolué. Cela mériterait d’être étudié d'une façon plus approfondie.

On pourrait imaginer que le développement de la technique et des nouvelles technologies nous fasse gagner du temps…

Cela nous fait gagner du temps… mais nous en fait perdre également ! Prenons la rédaction d’une thèse : vous disposez désormais de toute l’information chez vous sur votre ordinateur, il n’est donc presque plus besoin de se rendre dans une bibliothèque, vous disposez d’une vérification des sources presque immédiate, le traitement de texte vous permet de ne pas devoir recommencer toute votre page si vous faites une faute à la dernière ligne, etc. Les thèses devraient par conséquent être d’une qualité bien supérieure à celles du passé. Or, ce n’est évidemment pas le cas. En réalité, alors qu’on devrait gagner du temps, on en perd à trier les informations : le vrai défi ne consiste donc plus à s’informer, mais à savoir quand arrêter de s’informer. Parce que cela n’a pas de fin.

Si le temps remplaçait l’argent, que signifierait alors « être riche » ?

Si l’on prend les thèses du philosophe et économiste indien Amartya Sen sur la pauvreté : est pauvre celui qui n’a pas le choix. Ce prix Nobel d'économie appelle cela la "capabilité", c’est-à-dire la capacité d’avoir un destin le plus ouvert possible. Selon lui, le développement humain d’une société passe par sa capacité à fournir à ses citoyens le plus "d’ouverture de destin".

Dès lors, les frontières évoluent : le cadre submergé de travail n’est pas maître de son temps, alors que l’ouvrier qui a un temps de travail extrêmement bien déterminé mais qui est libre en dehors de ces horaires devient riche. Les plus pauvres sont peut-être finalement les philosophes comme moi, qui passent leur temps à réfléchir : il n’existe en la matière pas de frontière entre le travail et la vie privée.

Cela fait maintenant quinze minutes que nous discutons… avec tout ce temps passé à répondre à ces questions, je vous ai fait perdre combien d’argent ?

(rires) Cette conversation me fait réfléchir. Elle ne constitue pas une perte, il s’agit plutôt d’un bien !

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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