Pourquoi la tempête boursière est une menace pour l’Europe, et ce n’est pas uniquement à cause de la Chine<!-- --> | Atlantico.fr
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La tempête boursière est une menace pour l’Europe.
La tempête boursière est une menace pour l’Europe.
©Reuters

Aucune initiative

Si les soubresauts de l'économie chinoise ont un impact direct sur les places boursières du monde, le manque de réponse en termes de politique monétaire joue un rôle indéniable pour les financiers. Contrairement à la Chine elle-même, ou aux Etats-Unis, la BCE ne semble pas réagir à la séquence économique actuelle.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Depuis plusieurs mois maintenant, les matières premières et les marchés émergents, Chine en tête, subissent de lourdes pertes (-37% pour le marché chinois depuis juin). Cette situation fait elle peser un risque particulier sur l'économie européenne ? Les prévisions de croissance, aussi bien pour l'Europe que pour la France, sont-elles compromises ? Existe-t-il un risque de contagion ?

Nicolas Goetzmann : Il est nécessaire de distinguer deux situations concernant cette crise. D’une part, la réalité du ralentissement chinois, des matières premières, et des autres marchés émergents, et d’autre part, la réaction que peut avoir l’Europe, ou d’autres zones économiques, pour contrer cette situation. La lourde chute des bourses européennes, ce lundi 24 août, est bien la conséquence de ce qui se passe en Chine, mais elle est également la traduction d’une absence de réponse de la part des Européens. C’est cette absence de réaction qui est perçue comme étant anxiogène par les marchés financiers, comme si l’Europe ne cherchait même pas à se protéger. L’équilibre est ainsi modifié. Si les marchés financiers s’écroulent selon les conditions économiques actuelles, cela signifie que ces conditions sont trop restrictives. Il appartient dès lors aux autorités de s’adapter à cette nouvelle donne. L’inaction se transforme ainsi en une action punitive. Et donc, un risque de contagion existe. Il suffit de constater la forte appréciation de l’euro par rapport au dollar au cours de ces dernières séances, avec un passage de l’euro de 1.10 USD à 1.16 USD en l’espace de quelques jours, pour s’en rendre compte. L’immobilisme de la Banque centrale européenne est en train d’agir négativement sur l’économie de la zone euro.

De plus, l’Europe s’est bâti un modèle à vocation exportatrice, ce qui rend le continent dépendant de l’activité économique hors de ses propres frontières. On peut penser à l’Allemagne, qui exporte 50% de son PIB, et qui se trouve donc en première ligne par rapport à un contexte de ralentissement chinois. Cela se traduit par une chute de 20% de la bourse allemande depuis le mois de juin. Les prévisions de croissance, aussi bien pour l’Europe que pour la France sont ainsi susceptibles d’être révisées à la baisse (dans des proportions qui restent pour le moment raisonnables) parce que certains signes récents sont éloquents, comme par exemple la chute de 3.8% de la production d’acier mondiale, ce qui n’est pas un bon signal pour l’activité manufacturière.

Il est également intéressant de suivre la réaction des Etats Unis, qui pourraient être amenés à revoir leur politique de hausse de taux, pourtant annoncée depuis plusieurs mois. La chute des marchés américains, au cours de cette même séance, pourrait être interprétée comme un signal de retournement par la FED.

Philippe Waechter : Il y a confusion entre la dynamique des économies et la volatilité extrême des marchés boursiers et des marchés de matières premières. On observe d'une manière générale que l'économie globale progresse à un rythme réduit, qu'il n'y a pas actuellement de moteur fort susceptible de tirer la croissance mondiale à la hausse. Ceci était déjà constaté il y a plusieurs semaines. Ce n'est pas un phénomène nouveau. Par le passé, les Etats-Unis et plus récemment la Chine ont eu ce rôle. Elles n'ont pas la capacité de l'avoir dans le cycle actuel.

La Chine a envoyé un signal de fragilité il y a quelques jours en modifiant la parité de sa monnaie. Les autorités chinoises sont plus inquiètes qu'il ne semblait de l'évolution de l'activité dans leur pays. Ce signal est celui d'une croissance globale qui sera plus réduite dans la durée et l'incapacité des autorités chinoises à soutenir le rythme de l'activité.

Il y a ensuite les ajustements très violents sur le marché boursier chinois. La bulle de ce marché a éclaté le 12 juin dernier lorsque les autorités ont modifié le mode d'accès au marché. Le repli a été très brutal au départ mais les autorités ont cherché à en limiter l'ampleur. D'où une série de mesures (interdiction de vendre sous certaines conditions, achats forcés pour les brokers) qui tiennent les cours chinois à un niveau artificiellement élevé. Cela n'empêche pas des mouvements parfois très brutaux qui eux se propagent comme un faisceau d'incertitude.

Cette instabilité sur le marché boursier chinois engendre des comportements de repli avec dans le même temps la nécessité pour les investisseurs de recaler leurs anticipations car la croissance globale sera plus réduite. La composée des deux engendre un marché boursier global très volatil comme cela a pu être constaté lundi.

Pour autant l'impact sur la croissance européenne n'est pas forcément aussi marqué que l'on pourrait le croire. Cet épisode de croissance lente se traduit par une baisse spectaculaire du prix du pétrole. Cela alimentera le pouvoir d'achat des ménages et améliorera les marges des entreprises. L'impact sur la croissance peut être positif. Le consommateur français est plus sensible à son pouvoir d'achat qu'aux fluctuations des marchés boursiers.

Cependant, si la chute des marchés était beaucoup plus longue que quelques jours cela pourrait affecter le moral des ménages et créer des comportements d'épargne de précaution. C'est à cela qu'il faudra être attentif pour imaginer un éventuel effet négatif des troubles des marchés boursiers.

Car l'impact direct ne sera pas spectaculaire. La croissance chinoise était déjà selon les instituts économiques attendue en repli par rapport à 2014. Une grande partie de ce phénomène était déjà pris en compte dans les prévisions faites pour l'Europe et pour la France.

Suite à la crise de 2008, la zone euro est-elle aujourd’hui plus à même de répondre à une crise internationale, d’un point de vue institutionnel ?

Nicolas Goetzmann : Lors de la crise de 2008, les autorités européennes avaient contribué à aggraver la crise en rehaussant les taux d’intérêts alors même que l’activité économique mondiale avait déjà amorcé une contraction. Piégé par un faux signal inflationniste, la Banque centrale européenne, dirigée alors par Jean Claude Trichet, avait fait l’inverse de ce qui était nécessaire. D’un point de vue institutionnel, rien n’a été modifié, et une telle erreur est toujours possible. Mais le contexte est opposé.

En 2008, les pays émergents soutenaient la hausse des prix des matières premières, c’est ce qui a provoqué l’erreur de la BCE. En 2015, l’inflation est encore proche de 0%, et l’actuel patron de la BCE, Mario Draghi semble moins dogmatique que son prédécesseur. Cependant, l’absence totale de réaction, pour le moment, de la BCE, contribue à alerter les investisseurs. Pour le moment, l’Europe avance sans filet de sécurité alors que le contexte mériterait au moins une prise de parole, indiquant que tout ralentissement de l’économie mondiale amènerait à une réponse des autorités. Pour le moment, ce n’est pas le cas. La plus grande difficulté ici, est qu’un assouplissement des conditions monétaires ne peut passer par une baisse de taux, car ils sont déjà au plus bas, mais uniquement par un nouveau plan d’assouplissement quantitatif. Ce qui est bien plus lourd à mettre en place qu’une simple baisse de taux, surtout au regard des réticences des pays du nord. Mais encore une fois, l’immobilisme n’est pas neutre au regard des derniers événements, parce que le résultat est une contraction.

Philippe Waechter : La différence majeure avec 2008 est qu'aujourd'hui la Banque Centrale Européenne a une capacité à agir qu'elle n'avait alors pas. Il faut avoir des instruments qui peuvent permettre de parer au plus pressé dans ces cas de crise. La BCE peut y pourvoir rapidement et efficacement.

Au regard de la faible conjoncture économique qui caractérise l'Europe de ces dernières années, le continent est-il en capacité d'endurer une nouvelle crise ? Quels sont les risques associés à une rechute ? Quels sont les points de fragilité actuels de l'économie européenne ? 

Nicolas Goetzmann : Puisque l’Europe est en convalescence, une nouvelle crise serait encore plus difficile à traiter. Le continent n’est toujours pas parvenu à se remettre de la crise de 2008, et le temps joue ici un rôle crucial, notamment en ce qui concerne la situation des chômeurs. Une nouvelle crise aurait pour effet de réduire encore un peu plus le potentiel de croissance de la zone euro, en fermant de nouvelles unités de production, ou en éloignant toujours un peu plus les chômeurs d’un retour à l’emploi. La capacité de production se trouve réduite, et seule une période longue de croissance, avec des prévisions positives pourraient permettre une réelle inversion de tendance. Sans cela, les investisseurs se détourneront un peu plus d’un continent qui se trouve être incapable de faire face aux défis de l’économie mondiale. Ce qui est le plus grave ici, c’est que l’Europe n’est pas condamnée par nature à la stagnation, c’est la réponse des autorités qui n’est pas à la hauteur des enjeux.  

Philippe Waechter : Dans le cadre macroéconomique que j'ai décrit plus haut, le commerce mondial évolue très lentement. Cela veut dire qu'il ne faudra pas attendre que les impulsions de croissance viennent du reste du monde. Si la croissance doit s'accélérer en zone Euro cela traduira avant tout la capacité de la BCE et des gouvernements à soutenir la demande interne. La baisse du prix de l'énergie aidera.

La question est donc de savoir si les Européens sont prêts à décider de leur propre croissance et s'il existe cette volonté commune. Cela passera d'abord par le maintien d'une politique monétaire très accommodante de la BCE puis par des politiques budgétaires plus souples afin de ne pas pénaliser le consommateur et l'entreprise.

Si les Européens sont capables de cette dynamique coopérative et coordonnée alors la croissance prolongera et accentuera l'impact lié à la baisse du prix de l'énergie. C'est un élément majeur qui dans le passé a toujours eu une incidence forte sur le profil de la croissance et de l'activité. C'est pour cela qu'il ne faut pas le négliger.

Quelles sont les réformes ou les actions à mettre en œuvre afin de donner au continent un cadre permettant de faire face de la manière la plus efficace aux soubresauts de l'économie mondiale ?

Nicolas Goetzmann : Il s’agirait de rééquilibrer le modèle de croissance européen, en comptant un peu plus sur la demande intérieure et un peu moins sur les exportations. Il s’agit d’ailleurs de la problématique actuelle chinoise. Le pays est enfermé dans un modèle d’exportations massives, mais il existe une limite à un tel modèle, c’est ce que tentent de réaliser les autorités chinoises en faisant basculer le modèle local vers un soutien plus important de sa consommation. Le contexte actuel dépend d’ailleurs essentiellement de la capacité de la Chine à réaliser un tel changement. Pour que l’Europe puisse progresser dans ce domaine, il serait nécessaire de venir attaquer le cadre européen lui-même, et principalement le cadre "ordolibéral" qu’elle s’est construite : une stricte stabilité des prix comme dogme absolu, c’est-à-dire une "non-intervention" monétaire qui fait office de religion. Ce cadre a été légèrement endommagé dans la pratique par Mario Draghi, mais l’essentiel reste à faire. Le plein emploi comme objectif principal européen, sur le modèle américain, serait la première et la principale pierre à poser à un tel édifice, et permettrait de mettre l’Europe sur les rails d’un modèle axé sur sa propre demande, et non celle des autres. Ce serait un bouleversement majeur au sein de la zone euro, ce qui nécessite une forte volonté politique, à laquelle l’Allemagne s’opposera. Elle est donc improbable, mais cela n’est pas une raison pour renoncer à priori.

Philippe Waechter : C'est essentiellement cette coordination et cette coopération des politiques économiques pour que la zone Euro soit à même d'alimenter sa propre demande interne. Dans ces conditions l'Europe serait capable de davantage d'autonomie dans son mode de fonctionnement. La cohérence qui en résulterait serait salvatrice.

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