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Quelques solutions concrètes pour réindustrialiser la France
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Petit manuel de réindustrialisation

Selon l'économiste Patrick Artus, la France perd ses usines en ne produisant que des produits "moyen de gamme", que les pays émergents font aussi bien et moins chers. Il est urgent de faire pousser les PME innovantes en préservant leur indépendance des grands groupes afin qu'elles réindustrialisent la France et exportent.

Patrick Artus

Patrick Artus

Patrick Artus est économiste.

Il est spécialisé en économie internationale et en politique monétaire.

Il est directeur de la Recherche et des Études de Natixis

Patrick Artus est le co-auteur, avec Isabelle Gravet, de La crise de l'euro: Comprendre les causes - En sortir par de nouvelles institutions (Armand Colin, 2012)

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Atlantico : Dans votre ouvrage La France sans ses usines (1), vous pointez la coïncidence entre l’arrivée de l’euro et la perte de compétitivité de l’industrie française. Êtes-vous de ceux qui préconisent un retour au franc ou une dévaluation ?

Patrick Artus : Ni l’un ni l’autre ! La création de l’euro n’a pas eu d’influence en soi. Sans euro, certes, la France dévaluerait aujourd'hui pour redonner des marges à ses entreprises. J’explique dans mon livre qu’au moment où nous sommes entrés dans l’euro, nous avons juste perdu la capacité, comme ont pu le faire les Italiens ou les Espagnols encore jusqu’en 1993, de dévaluer…

Mais les difficultés de la France ont surtout été provoquées par l’arrivée des pays émergents qui se sont mis à exporter en raison de la libéralisation économique en Chine, des grosses dévaluations en Asie, au Brésil et du redémarrage de l’industrie en Europe centrale. En 1998, la Chine représentait encore moins de 2% du commerce mondial. Aujourd’hui, c’est 13%. L’arrivée des émergents fût le choc mortel de l’industrie française.


Les coûts salariaux expliquent-ils la mauvaise compétitivité de la France ?

Le problème essentiel de la France n’est pas la compétitivité-coût. Je ne suis pas d’accord avec la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui le prétend. Bien sûr, si les coûts salariaux baissaient, nous obtiendrions un peu de compétitivité. Mais cela ne changerait pas grand-chose.

La France doit surtout se différencier des pays émergents en ne fabriquant pas les mêmes produits qu’eux. La différence essentielle entre la France et l’Allemagne n’est pas dans les coûts de production (qui sont à peu près les mêmes dans l’industrie) mais dans la différence de gamme de leurs productions. En produisant du "milieu de gamme", nous  sommes en concurrence avec les pays émergents. Tandis que les Allemands produisent du "haut de gamme" que les pays émergents ne peuvent pas faire. Ainsi l’Allemagne fixe ses prix, là où la France est contrainte.

Prenons l’exemple de l’automobile. En 1990, on les produisait en France. Aujourd’hui, elles sont majoritairement fabriquées à l’étranger parce que ce sont des automobiles de milieu de gamme. Il n’y a plus aucune raison qu’on les fabrique en France… Pour fabriquer des Porsche, la délocalisation va moins de soi !


Vous dîtes, justement, depuis des années, que l’Allemagne pourrait être un modèle pour la France ?

Oui, mais pas pour tout. Mais nous devrions comme elle fabriquer du haut de gamme et encourager les grosses PME industrielles qui embauchent et exportent. Les créateurs d’entreprises innovantes en France vendent très tôt leur entreprise à de grosses entreprises. Ainsi, les jeunes entreprises n’atteignent jamais le seuil critique de taille.

En Allemagne, 250 000 entreprises exportent. Idem en Italie. En France, elles ne sont que 80 000, et on en perd 5 000 par an. Le sujet ne relève pas de la macro-économie. Mais dans la manière d’encourager les patrons de PME avec de bons produits, de faire grandir leur boite, de s’implanter à l’étranger, d’exporter. Plutôt que d’essayer de vendre pour être débarrassés des ennuis, les entrepreneurs innovants ont l’impression d’être persécutés par l’administration, les banques, les syndicats, les grands groupes…  On doit maintenant encourager la coopération entre l’Etat, les banques, les universités, les grands groupes et les PME comme ce qu’on observe dans l’Italie du nord, des Pays-Bas ou de la Bavière.

Manquerions-nous d’entrepreneurs ?

Non, on en a plus en proportion qu’aux Etats-Unis ! Mais ensuite les entreprises meurent. Pas en raison des faillites, mais parce que les entrepreneurs vendent leur affaire. Tous les ans en France, 17% des entreprises de 250 à 500 salariés sont vendues à un grand groupe. Le tissu des entreprises en croissance disparait avant de devenir gros et dense.

Peut-on enlever les obstacles qui incitent nos dirigeants à vendre leurs entreprises ?

Oui. Parmi les obstacles, il y a le financement. Mais ce n’est pas le facteur le plus important.

Le plus important est la relation entre les grands groupes et leurs sous-traitants. Les relations entre eux sont horribles. Les grands groupes sont obsédés par la baisse des prix et ne s’intéressent absolument pas à ce que leurs sous-traitants grossissent. Les grands groupes allemands, eux, font grossir leurs sous-traitants. On doit donc améliorer les relations de sous-traitance en appliquant la loi. Les grands groupes ne la respectent pas. Je note, que certains d’entre eux changent les prix de manière unilatérale et rompent des contrats. D’autres pratiquent le pillage de la propriété intellectuelle. Quand un sous-traitant a un brevet, le grand groupe se l’approprie. Les grands groupes pratiquent le pillage des cerveaux…On doit expliquer aux grands groupes qu’il est de leur intérêt d’avoir des sous-traitants en bonne santé.

On doit s’occuper des entreprises. Nos PME n’ont pas accès au marché public et il n’existe pas en France d’administration qui s’occupe spécifiquement des PME comme le Small Business Administration aux Etats-Unis. Il y a pourtant eu des débuts comme Oséo ou le Grand emprunt… Mais cela reste marginal.

Il faut changer la mentalité de l’administration. La France vit dans un milieu conflictuel. On doit passer de la suspicion à la coopération comme dans les pays qui marchent. C’est plus un problème de comportement que de macro-économie !  Dernièrement, par exemple, l’administration a inventé une nouvelle taxe pour les PME et les TPE. Ainsi, si l’entrepreneur travaille à son domicile, il est soumis deux fois : une fois au titre de résident et une autre fois à titre d’entreprise. Voici le genre de mesure peu amicale qui décourage les gens… Autre exemple, dans une enquête récente de Ernst & Young, 70% des patrons de PME en Allemagne disent que leur environnement administratif est bon sur leur entreprise, 98% en Inde... en France c’est seulement 25% !

(1) La France sans ses usines, avec Marie-Paul Vérard (Fayard - 2011)

Pour aller plus loin : posez des questions à Patrick Artus via le webcast de sa présentation au Centre d'analyse Stratégique, en cliquant ici 

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