L’immigration mexicaine au coeur des primaires américaines : ce que les politiques ne voient pas du bouleversement des flux migratoires américains<!-- --> | Atlantico.fr
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Une immigrée mexicaine.
Une immigrée mexicaine.
©Reuters

Changement de migration

Si les discours des politiques américains en matière d'immigration n'ont pas beaucoup changé, les flux migratoires, eux, se sont radicalement transformés en l'espace de quelques années. Le grand boom d'immigration latino américaine arrive à sa fin et laisse place à une nouvelle immigration asiatique.

Atlantico : Alors que le sujet de l'immigration mexicaine surgit dans le débat politique américain, notamment au travers des déclarations de Donald Trump, la réalité des flux migratoires a profondément évolué au cours des dernières années dans le pays. Ainsi, si les Etats-Unis comptabilisaient plus de 400 000 migrants mexicains en 2000, aujourd'hui cette immigration a chuté de près de 75%. A l'inverse, le principal flux migratoire concerne aujourd’hui les pays asiatiques, Chine en tête. Comment expliquer un tel revirement de tendance ? Quelles sont les causes de cette inversion ?

Laurent Chalard : La principale nouveauté des tendances récentes de l’immigration aux Etats-Unis est la très forte réduction de l’immigration mexicaine, qui, rappelons-le, a constitué le principal flux d’immigration Outre-Atlantique depuis les années 1960. Le solde migratoire des Etats-Unis avec le Mexique est d’ailleurs considéré comme nul depuis 2008, voire négatif certaines années, selon les démographes américains. Ce brusque retournement de situation, que personne n’avait prévu, s’explique par la conjonction de quatre facteurs :

Le premier est la crise économique qu’ont connu les Etats-Unis suite à la crise des subprimes déclenchée à l’été 2007, qui a entraîné la destruction de nombreux emplois peu qualifiés, emplois qui étaient largement occupés par les immigrés mexicains. En conséquence, dorénavant, l’assurance pour les Mexicains de l’obtention d’un emploi lors de leur venue aux Etats-Unis n’existe plus, ce qui rend l’immigration beaucoup moins attractive dans un pays où il n’existe pas de filets de protection sociale comme en Europe occidentale

Le deuxième facteur est le durcissement de la politique migratoire des Etats-Unis, qui a conduit à une quasi militarisation de la frontière avec le Mexique, avec, entre autres, la construction d’un mur sur une partie de la frontière, la rendant quasiment infranchissable. Il est donc beaucoup plus difficile pour les potentiels candidats à l’immigration clandestine de passer la frontière que par le passé.

Le troisième élément est la détérioration de la sécurité dans les états frontaliers du nord du Mexique, du fait de la main-mise des gangs de la drogue, ce qui rend le passage obligatoire par ces régions avant de franchir la frontière particulièrement dangereux pour les candidats à l’immigration, qui risquent d’y laisser leur vie, la guerre de la drogue ayant fait plusieurs dizaines de milliers de victimes depuis 2006. Une ville comme Ciudad Juarez, traditionnel point de passage vers les Etats-Unis, a été très éprouvée.

Le quatrième élément est une économie mexicaine, dont les performances sont honorables depuis 2009. En conséquence, une partie de la population juge que, pour l’instant, ses perspectives locales sont meilleures que de partir vers l’incertain au péril de sa vie.

Quelles sont les conséquences, notamment en termes d'intégration et d'insertion économique des populations concernées, provoquées par un tel revirement ? 

Les nouveaux arrivants d’Asie méridionale et orientale se caractérisent par un niveau de diplôme sensiblement plus élevé que les immigrants mexicains, répondant à un besoin de main d’œuvre très qualifiée dans les industries de haute-technologie, dont l’informatique et les industries des télécommunications, qui continuent à avoir des performances plus qu’honorables, malgré la crise économique qu’a connue le pays. En effet, les Etats-Unis ont besoin d’effectuer un brain drain pour rester le pays le plus innovant de la planète, le niveau d’éducation de la population résidente ne répondant pas complètement aux besoins. Il s’est produit d’une certaine manière un ajustement mécanique du marché de l’immigration face aux caractéristiques du marché du travail américain, qui demande de plus en plus de la main d’œuvre qualifiée.

S’il est trop tôt pour juger de l’intégration des nouveaux arrivants dans la société américaine, il n’en demeure pas moins que par leurs caractéristiques, ces populations s’intègrent, en règle générale, mieux et plus rapidement, étant donné leur niveau de diplômes, d’autant plus que pour les personnes originaires du sous-continent indien, la maîtrise de la langue anglaise facilite l’arrivée dans la société américaine. En outre, ces nouveaux arrivants qualifiés sont beaucoup mieux perçus que les immigrants pauvres du Mexique, qui effectuent les taches que les américains de longue date ne souhaitent plus faire.

Dans une logique de plus long terme, quelles sont les conséquences de ces évolutions démographiques sur la société américaine ? 

Première conséquence, le risque d’une Mexamerica, crainte première des néoconservateurs américains, à commencer par le premier d’entre eux, Huntington, s’éloigne. Finalement, sauf regain de l’immigration mexicaine, le sud-est des Etats-Unis ne devrait pas basculer démographiquement dans son ensemble comme majoritairement mexicain, avec le risque géopolitique que cela aurait pu entraîner à long terme, étant donné que les Etats en question avaient appartenu au Mexique jusqu’au XIX° siècle et qu’ils en sont frontaliers.

Par contre, deuxième conséquence logique, la forte réduction de l’immigration mexicaine conduira à une moins forte augmentation que prévue de la population des Etats-Unis dans les prochaines décennies, du fait d’un croît migratoire moindre mais aussi d’une contribution moins élevée des mexicains à la natalité américaine, les immigrants étant essentiellement des jeunes en âge d’avoir des enfants, sauf si un autre flux massif provenant d’un pays à fécondité relativement élevé venait remplacer les mexicains.

Troisième conséquence, l’Amérique devient de plus en plus un Etat-monde, pour reprendre l’expression du démographe Gérard-François Dumont, c’est-à-dire que sa population représente de plus en plus l’ensemble de la planète, ce qui est assez cohérent avec le fait que ce pays soit le promoteur de la mondialisation. Contrairement à certains pays, où dominent deux ou trois ethnies, aux Etats-Unis, la population est de plus en plus originaire de tous les continents, ce qui aura des conséquences sur le plan culturel, l’Amérique étant de moins en moins européenne.

Quatrième conséquence, qui relève plus du risque, les Etats-Unis voient leur développement économique reposer de plus en plus sur l’apport d’immigrés qualifiés non européens, ce qui sous-entend que la société américaine va devoir réussir à les assimiler, si elle ne souhaite pas encourir un autre risque géopolitique, qui serait qu’elle ne maîtrise plus l’innovation, la rendant dépendante de populations issues de pays ennemis comme la Chine, éventuellement manipulables et manipulées. Il ne serait donc pas surprenant de voir les néoconservateurs agiter de nouveau le chiffon rouge du péril jaune à la place du péril mexicain.

La réalité migratoire américaine semble ainsi déconnectée du discours politique actuel. Quelles sont les inquiétudes spécifiques concernant l'immigration mexicaine ?

Au premier abord, la nouvelle réalité migratoire américaine apparaît déconnectée de la crainte que pose l’immigration mexicaine auprès de la population et des élus la représentant. Cependant, dans les faits, la persistance de cette crainte est tout à fait compréhensible. En effet, si l’immigration mexicaine s’est fortement réduite ces dernières années, il n’en demeure pas moins qu’elle a été massive pendant quarante ans et qu’elle a donc eu des conséquences démographiques considérables sur les territoires les plus concernés, certaines villes du Texas, par exemple, étant aujourd’hui à dominante mexicaine.

Il est donc logique que l’inquiétude persiste au sein de la population, qui ne voit pas encore les conséquences de cette inversion de tendance, puisque du fait de sa jeunesse et d’une fécondité qui demeure encore légèrement supérieure aux blancs et aux noirs non-hispaniques (elle s’est fortement réduite cependant ces dernières années), la population d’origine mexicaine continue de croître en volume aux Etats-Unis par excédent naturel (c’est-à-dire sensiblement plus de naissances que de décès). Il faut garder en tête que l’immigration a des effets démographiques à long terme, la fin d’un flux ne signifiant pas mécaniquement que les immigrés ont disparu s’ils ne se sont pas assimilés dans la société d’accueil, ce qui est le cas d’une partie de la population d’origine mexicaine.

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