Manifestations contre l’austérité au Brésil : pourquoi les autorités sont seules responsables de la récession et ce que cela nous apprend sur l’Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Dilma Rousseff.
Dilma Rousseff.
©Reuters

Mauvais exemple

Vivement critiquée pour l'austérité qu'elle a mise en place, la présidente brésilienne Dilma Rousseff fait face à une crise politique sans précédent. Accusée de corruption, elle peine à remettre son pays sur pied en raison de politiques mal avisées.

Marcus Nunes

Marcus Nunes

Marcus Nunes est consultant économique et conférencier au Brésil. Avec d'autres partenaires "market monetarists" basés aux Etats Unis et au Royaume Uni, il créé actuellement un site de conseil économique. Marcus Nunes est l'auteur du blog Historinhas http://thefaintofheart.wordpress.com

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Présenté comme la 7ème économie mondiale, première du continent sud-Américain, le Brésil fait pourtant face à une crise économique sévère. Où sont passés les chiffres indécents des années passées, passant de 7.6% en 2010 à 0.1% en 2014 ? Comment expliquer un tel retournement de situation ?

Mathieu Mucherie : Dans les faits, le constat est pire encore : cette année, le Brésil passera à -2%. En outre, le 7.6% réalisé en 2010 représente un pic. Il s’agit d’une année particulière, même s’il est vrai qu’il y a eu un véritable retournement de tendance à partir des années 2011-2012. Cela fait maintenant trois ans, environ, que le Brésil tourne aux alentours de 0% quand pendant plusieurs années de suite il bénéficiait d’une croissance de 5%.

A partir de 2011-2012, le prix des matières  premières a commencé à chuter. D’abord les matières premières agricoles, puis ensuite les métaux et enfin les hydrocarbures depuis un an. L’économie brésilienne semble être indexée aux prix des matières premières, ce qui n’est pas pour étonner. La Russie également pèse 3% du PIB mondial et est elle aussi très exportatrice de matières premières diverses et variées. Il s’agit d’économies reposant essentiellement sur ces produits et qui, par conséquent, se portent bien (voire très bien) quand les prix des matières premières montent. L’inverse est également vrai. Or, puisqu’il n’y a pas eu de réformes structurelles pour s’en décorréler et améliorer les autres fondamentaux, l’économie brésilienne chute avec le cours des matières premières. Il est possible d’établir une corrélation quasiment parfaite entre le BOVESPA (indice action brésilien) et le prix des matières premières. Cela se vaut également pour le prix des matières premières au niveau mondial. C’est synchrone. Malheureusement, comme pour la Russie, l’économie Brésilienne est très liée aux matières premières. Avec un facteur aggravant, cela étant : les très bonnes années qu’a connu le Brésil ont poussé le réal vers une sur-appréciation. Tous les produits brésiliens sont devenus très chers. Il restait possible d’exporter des matières premières, mais pas d’autres produits comme des automobiles, par exemple, ou même un travailleur. Le travailleur brésilien était particulièrement cher, sans compter que son travail était monnayé dans une monnaie chère. Dans les faits, l’ensemble des actifs brésiliens étaient particulièrement chers. Par conséquent, le retour de bâton a été d’autant plus violent. Quand on est en journaliste, on parle d’un problème de compétitivité. Quand on est économiste, on parle d’un problème de mésalignement des taux de changes. Fondamentalement, l’équation entre les prix des matières premières élevés, la monnaie trop élevée, c’est le mal hollandais : une appréciation excessive des taux de changes liée à des entrées de capitaux et des prix de matières premières très élevés, qui finit par déprimer l’ensemble de l’économie. Puis par créer des distensions énormes. Il n’y avait plus qu’une seule chose de rentable au Brésil : les matières premières. Forcément, l’économie est devenue très dépendante de la rente.

Marcus Nunes : En 2010, la croissance était de 7.6% parce qu’il est aisé d’obtenir une forte croissance après une récession aussi forte que celle de 2008 et 2009. De plus, le gouvernement a massivement soutenu la dépense publique en 2010. Mais, cela n’a été qu’un rebond. Puis, le gouvernement a continué de dépenser de plus en plus mais le problème majeur concernant l’économie brésilienne est la politique de l’offre, ce qui se traduit par une faible productivité. Le résultat a été une faible croissance ou une absence de croissance et une augmentation progressive de l’inflation. Ce qui démontre qu’une expansion du budget peut avoir un effet récessif. Pour l’année 2015, les dernières anticipations font état d’une récession de -2% de l’économie du pays.

Sans croissance et avec un taux d'inflation proche de 10%, En quoi la situation actuelle au Brésil peut rappeler celle des pays développés dans le courant des années 70 ?

Mathieu Mucherie : En un mot ? Il s’agit du concept de stagflation. Fondamentalement, si on ne parvient pas à créer de croissance, il y a de l’inflation. Le vrai problème vient du fait qu’on savait, il y a déjà quatre ou cinq ans, que le Brésil allait se retrouver dans une situation comparable. Compte-tenu de ce qui a été exposé précédemment au sujet du prix des matières premières et de cette dépendance de l’économie brésilienne, c’était inévitable. Plus d’une fois, la sonnette d’alarme a été tirée, mais le Brésil et ses dirigeants n’ont pas traité le problème. Au contraire, quand tout allait bien, ils ont même jeté de l’huile sur le feu. La position budgétaire, tant au niveau central que local était laxiste. La BNDES (organisme parapublic qui fait office de caisse des dépôts) a prêté sans faire attention, offrant des crédits à des gens qui portaient parfois des projets hasardeux. D’un point de vue monétaire aussi, on a soufflé sur les braises : les taux d’intérêts étaient tous en baisse. De fait, cela a engendré et alimenté des processus de bulles (immobilières, notamment). Quand, finalement, la situation économique a changé, le Brésil a du se serrer d’autant plus la ceinture qu’il devait regagner en crédibilité et récupérer la confiance des investisseurs étrangers. C’est pour cela qu’aujourd’hui le Brésil doit appliquer une politique d’auto-restriction budgétaire et de hausse des taux d’intérêts. Or, ces restrictions arrivent au pire moment : aujourd’hui il faudrait être plus généreux budgétairement et monétairement, mais le Brésil ne peut plus se le permettre, en raison de son taux d’inflation.

Le Brésil encoure une double peine : celle du cycle local et l’obligation de mener une politique de restriction budgétaire et monétaire. Il n’a pas le choix, sans quoi les investisseurs étrangers seraient plus craintifs encore et déserteraient le pays. Le réal chuterait encore plus que ce n’est le cas aujourd’hui, alimentant encore l’inflation. Celle-ci passerait de loin la barre des 10% et le pays perdrait toute crédibilité, ce qui serait sans appel. Par conséquent, le Brésil est contraint à la rigueur budgétaire et monétaire, ce qu’il tente de faire depuis 9 mois, désormais. Mais c’est il y a 5 ans qu’il aurait fallu s’attaquer à ce problème, quand le Brésil disposait de surplus de matières premières et pouvait anticiper le danger. La leçon est à tirer chez MacArthur : « Toute guerre perdue peut se résumer en deux mots : trop tard ».

Marcus Nunes : Les années 70 sont connues comme étant la décennie de la stagflation. La ressemblance a été la forte augmentation des prix du pétrole en 1973, 1974 et 1979. Mais un tel choc de l’offre a pour conséquence d’augmenter les chiffres de l’inflation et de réduire la croissance réelle. Dans de nombreux pays développés, l’inflation augmentait de façon significative parce que les banques centrales ont essayé de contrer les effets de ce choc sur la croissance et l’emploi, c’est-à-dire en augmentant les dépenses nominales. Le Brésil actuel souffre d’une trop forte intervention de l’Etat dans l’économie, intervention qui, de plus, est mal avisée, ce qui étouffe la concurrence et maintien la productivité à un niveau faible. En insistant sur une politique budgétaire expansionniste, les subventions, les abattements fiscaux, le résultat a été une augmentation de l’inflation.

Pour lutter contre la crise que traverse le pays, une politique d’austérité - vivement critiquée, au point de rassembler quelques 900 000 à 2 millions de manifestants dans les rues - est menée par le parti au pouvoir. L’austérité à laquelle fait face le peuple Brésilien est-elle comparable à celle imposée à l’Europe par Bruxelles ?

Mathieu Mucherie : Pas le moins du monde. Le Brésil est mis face à ses responsabilités, commence à appuyer sur la pédale de frein, concernant les dépenses et remonte les taux d’intérêts. Le tout dans l’idée d’éviter une chute trop importante du réal (qui a déjà perdu 30% contre le dollar). On ne peut pas encore parler d’austérité, loin de là. Par ailleurs, le Ministre des Finances a reconnu que la programmation budgétaire originelle était trop optimiste.

Aujourd’hui, il est primordial pour le Brésil de mettre un stop au flux d’inepties et de mauvaises réactions. Or, au vu du niveau de fédéralisme qu’est celui du Brésil, c’est une tâche très difficile : il y a toujours des collectivités locales qui ne savent pas comment s’y prendre, se fourvoient ou souhaitent tout simplement continuer comme durant les années Lula, à dépenser sans compter. Instaurer une discipline de ce genre est loin d’être évident et ne se fera pas en 20 jours. D’autant plus qu’au début du processus, en 2012, une bonne partie des Brésiliens se sont persuadés qu’il n’y aurait pas tant d’efforts à mettre en œuvre. Ils ont parié sur un retour du prix des matières premières rapide. C’est seulement maintenant qu’ils réalisent qu’ils ne peuvent pas tabler là-dessus. Ni sur un retour de la croissance mondiale, ni sur une hausse du prix des matières premières. Il va falloir se serrer la ceinture, certes, mais ça n’est que le début du processus. Compte tenu des erreurs qu’il y a pu avoir au cours des années précédentes en termes d’envol du crédit (privé comme public), de déséquilibre des coûts salariaux… Il y en a pour des années. Avant que le travailleur brésilien ne redevienne compétitif, il faudra un long moment.

A l’inverse de la situation européenne, ça n’est que le début de l’austérité au Brésil. Or, dès le début des restrictions en 2012 et plus encore maintenant, on a constaté l’absence de patience du peuple. Le chômage commence juste à remonter, bien qu’il reste assez bas, d’un point de vue historique, mais il est inacceptable pour eux d’avoir 20% de chômeurs, une baisse de 15% des salaires nominaux ainsi que des années et des années d’austérité. Il y aura une révolte avant. Et ça conduit vers l’instabilité politique qu’on a vu récemment, lors des manifestations.

Marcus Nunes : En réalité, il s’agit du cas opposé. La crise au Brésil est totalement due à une débauche excessive de dépenses du gouvernement après 2008, alors que la crise de la zone euro a été la conséquence d’un resserrement monétaire en 2008, mais aussi en 2011. Lors des 18 derniers mois, la dette du gouvernement est passée de 53% du PIB à 63%. Il ne faut pas s’étonner de voir les agences de notation dégrader le profil de risque du pays, qui se situe aujourd’hui juste un cran au-dessus du niveau de « l’obligation pourrie ». Ces derniers mois, le Brésil a enregistré un déficit primaire. Dans un tel cas, il est difficile de qualifier la politique d’« austère ». Le Brésil est également en proie à des troubles politiques, ce qui rend les réformes nécessaires bien plus difficiles à mettre en œuvre. En Europe, les politiques monétaires et fiscales sont aussi strictes l’une que l’autre. Le résultat obtenu est peu ou pas de croissance, et dans certains cas, une déflation. Au Brésil, spécifiquement au cours des quatre dernières années, la politique monétaire et la politique budgétaire ont été toutes deux expansionnistes. Néanmoins, la croissance a été réprimée par la politique de l’offre, ce qui a abouti à la seule progression de l’inflation.

Le 24 juillet dernier, les Echos parlaient des "premiers ratés" de la politique d’austérité brésilienne. Aujourd’hui, cette tendance se confirme-t-elle ou alors la politique menée par Dilma Rousseff et Joaquim Levy porte-t-elle ses fruits ? Quels sont les risques politiques auxquels le Brésil est aujourd’hui confronté? Que peut-on anticiper pour le futur du pays ?

Mathieu Mucherie : Cela rejoint partiellement ce que j’ai pu dire auparavant. Cependant, quand Dilma Rousseff, les économistes s’attendaient à pire encore. Madame Rousseff ne privilégiant pas les réformes, bon nombre d’entre nous s’attendaient à la fuite des investisseurs étrangers et à un tableau très noir. Pour autant, depuis 9 mois, tout n’est pas si catastrophique que ça, grâce à Joaquim Levy. Grâce, également, au fait que les Brésiliens ne tiennent pas à se retrouver dans une situation d’inflation à deux chiffres. Au contraire, ils tâchent de revenir progressivement vers un taux d’inflation de 6 à 7%.

Depuis quelques mois, la politique menée par le Brésil est moins catastrophique que celle à laquelle les économistes s’attendaient il y a presque un an. Le Brésil ne s’est pas engagé dans une politique de despérado, pro-inflation. Le gouvernement a remonté les taux (quand bien même ça n’est pas une bonne chose, c’était nécessaire) et tâche de faire des efforts d’un point de vue budgétaire. Ca n’est pas encore assez, mais pour l’heure la situation tient à peu près : le Brésil a évité la chute libre, pour l’heure. Tout l’enjeu est de parvenir à maintenir cette thérapie suffisamment longtemps, or le gouvernement n’est pas assez solide sur ses bases pour y parvenir 4 années durant.

Il faudrait de vraies restrictions budgétaires, des taux plus élevés encore, ainsi qu’une vraie crédibilité dans les réformes structurelles. Or, ceci ne peut pas être fait parce que c’est compatible avec une absence de croissance économique pendant deux ou trois ans. Ce que le peuple Brésilien ne saurait accepter. Fondamentalement, il faudrait que Levy reste (ce qui n’est pas forcément à son avantage, dans la mesure où il jouit aujourd’hui d’une réelle crédibilité et qu’être pris dans la spirale Dilma Rousseff pourrait lui nuire à ce niveau). Au sein du parti des travailleurs, plus d’un aimeraient le voir s’en aller et il existe plusieurs offres dans le privé potentiellement intéressante. Finalement, il n’est pas tenu par grand-chose. S’il part, en raison d’un remaniement, de ré-élections ou qu’importe, il faudra prendre des mesures drastiques pour rassurer les investisseurs, comme remonter les taux. Ce qui mènerait le PIB vers une chute, sans réduire l’inflation, mais en rendant les dettes de moins en moins soutenables. Les ménages brésiliens contractent des prêts à taux forts à très court terme. Si le chômage augmente, si la situation se renverse, cela posera de sévères problèmes. Aux yeux du marché, Joaquim Levy est sur un siège éjectable. Or, s’il s’en va, la transition s’avèrera complexe, puis on assistera à la création de gouvernements de coalitions, sans voire de véritables réformes dans la mesure ou le peuple ne l’accepterait que très moyennement. 

Marcus Nunes : Comme je l’ai indiqué précédemment, la situation politique au Brésil n’est pas favorable à la prise de conscience nécessaire pour mettre en œuvre des changements structurels. Le Brésil approche rapidement du bord de la falaise. Si cette impasse politique ne se débloque pas, les conséquences seront dures. Ce qui reste, pourtant, c’est l’espoir que le bord du gouffre va produire une rationalité qui pourrait aider à éclaircir le brouillard qui enveloppe aujourd’hui le pays. Malheureusement, les chances que cela se produise ne sont pas très élevées. 

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