Niches sociales : comment le gouvernement va discrètement enterrer ses promesses de baisses d’impôts<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement va discrètement enterrer ses promesses de baisses d’impôts.
Le gouvernement va discrètement enterrer ses promesses de baisses d’impôts.
©Reuters

Ci-gisent

Le rapport IGAS-IGF remis à Bercy s'attaque à 92 niches sectorielles, jugées diverses et coûteuses. Lors de l'interview présidentielle de novembre 2014, François Hollande assurait que "à partir de l'année prochaine, il n'y aura pas d'impôt supplémentaire sur qui que ce soit". Pourtant, en rabotant les niches fiscales, le gouvernement procède subtilement à une hausse d'impôt.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Suite au dernier rapport IGAS-IGF, Bercy entend raboter certaines niches sociales. Les 92 niches sectorielles visées représentent plusieurs milliards d’euros au total (13.5 pour les 20 dispositifs les plus couteux). En cherchant à frapper ces niches, le gouvernement n’enterre-t-il pas définitivement sa promesse de baisse d'impôts ? Pourquoi le fait-il ? Les baisses promises permettront-elles de compenser les hausses potentielles ?

Philippe Crevel : La chasse à la niche fiscale est un sport que l’on pratique l’été au mois d’aout, soit au moment des bouclages budgétaires. Il est de bon ton d’agiter le drapeau des niches fiscales. Premièrement pour essayer de trouver quelques milliards, ou à défaut, quelques centaines de millions d’euros. Cela fait partie d’un jeu budgétaire classique et amplifié cette année en raison de la contrainte budgétaire européenne. La France a bénéficié d’un délai de la part de la commission de Bruxelles, néanmoins il faut rentrer dans les rangs du programme pluriannuel de finances public. De ce fait, il est plus compliqué de trouver de l’argent, surtout à la veille de l’élaboration du projet de la Loi de Finance.

Est-ce que cela remet en cause l’engagement du Président de la République de ne pas augmenter les impôts cette année ? Il demeure important d’analyser les différentes compensations et les allègements qui seront décidés. Etrangement, dès lors que l’on parle de niches fiscales, on en recréé d’autre. Le sport national c’est tenter de supprimer ces fameuses niches pour en recréer de nouvelles. La dernière date d’ailleurs de Juillet dernier, en faveur de l’investissement dans la presse. 

Il est évident qu’il faudra faire le décompte entre la suppression de niches et les allègements pour constater ou non l’équilibre. Il s’agit d’un jeu de bonneteau fiscal et il est particulièrement difficile de s’y retrouver. Le gouvernement communiquera sur le fait qu’il a "maintenu la pression fiscale à l’identique" mais que le contribuable "risque de voir quelques alourdissement" de "bonne guerre". 

L’objectif, c’est la réduction du déficit public. Par conséquent, ce bonneteau fiscal correspondra vraisemblablement à une hausse de l’impôt en trompe l’œil. La pression fiscale ne baissera pas, c’est certain, et il est fort probable que pour certains contribuables on assiste même une hausse non négligeable de cette pression fiscale. Cela revient, fondamentalement, à monter les impôts pour une partie de la population. L’argument principal du gouvernement portera sur la justice fiscale : il est vrai que, souvent, les niches fiscales profitent avant tout à des contribuables élevés qui les utilisent pour s’affranchir partiellement de la pression fiscale qui leur incombe. C’est là la compensation d’un taux marginal d’imposition élevé. Diminuer celui-ci permettrait la suppression des niches fiscales. Ce faisant… le gouvernement retournerait au contribuable sa liberté de dépense. Les niches fiscales ne correspondent pas à la logique économique qui voudrait que l’on diminue les taux marginaux et que l’on supprime les niches, sans orienter les dépenses du contribuable en les attirant à coup de rabais fiscaux.

Thomas Carbonnier : Après les oies plumées de Colbert, la fuite des pigeons de Chamboredon, les moutons tondus et les vaches à lait de Fillon-Ducret… c’est au tour des chiens de se faire chasser de leur niche.

Le mouvement est clair : la hausse des impôts. Le gouvernement n’entend clairement pas reculer sur ce sujet. L’Etat a besoin de ressources et la solution de facilité est préconisée. Beaucoup d’élus prennent les contribuables pour des imbéciles. Aussi, plutôt que de chercher de solutions efficaces à de vrais problèmes, nos élus préfèrent opter pour une solution peu efficace à long terme mais populaire auprès de la majorité des contribuables.

En bref, plutôt que de s’employer à créer de l’emploi, à favoriser le développement d’entreprises en France pour favoriser une hausse des recettes de l’Impôt, le gouvernement préfère ponctionner encore un peu plus ceux qui se défoncent au quotidien pour créer de la croissance.

Le gouvernement n’étant pas constitué d’imbéciles, il y a lieu de croire que ces suppressions partielles ou totales de "niches fiscales" seront compensées par la création d’avantages fiscaux nouveaux de moindre importance. L’objectif est naturellement d’amortir le choc pour ne pas détruire l’économie française. 

A titre d’exemple, la souscription au capital des sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (SOFICA) est considérée comme une niche fiscale. Toutefois, elle incite le contribuable à investir son épargne dans l’industrie cinématographique pour favoriser le rayonnement de la culture française. Sans cette aide financière, une partie de l’industrie cinématographique française n’existerait pas.

Quels sont les principaux contribuables visés par de telles mesures ? Qui en paiera le prix ?

Philippe Crevel : Il existe un très grand nombre de niches fiscales. Ce rapport en a dénombré 92, mais l’annexe de la Loi de Finance fait état de centaines de niches. Par conséquent, cela bénéficie à un grand nombre de contribuables. Plus précisément, cela concerne les contribuables qui emploient des gens  à domicile (familles, seniors, retraités, etc), ainsi que les individus disposant des revenus de cadres moyens ou de cadres moyens supérieurs, susceptible de recourir aux niches fiscales. Beaucoup de ces niches concernent également l’épargne. En France, la population qui épargne le plus est composée de cadres, d’indépendants et de plus de 50 ans. Ce sont ces contribuables-ci (qui payent déjà beaucoup d’impôts) qui seront le plus touchés par une éventuelle remise en cause des niches fiscales. Concrètement, cela représente plusieurs millions de personnes.

Thomas Carbonnier : Le gouvernement va certainement s’attaquer à la déductibilité des primes de contrats d’assurance santé et prévoyance complémentaires pour les sociétés soumises à l’IS. 

Après avoir tout mis en œuvre pour rendre obligatoire ces mutuelles pour les salariés, il s’agit désormais d’en supprimer la déductibilité. Au-delà d’un message qui pourrait se révéler particulièrement contradictoire, cela conduirait à augmenter la pression fiscale sur les entreprises. Le gouvernement n’entendant pas se contenter d’essorer le haut de la classe moyenne (les vrais riches ayant le plus souvent désertés nos belles terres…).

La fiscalité confiscatoire actuellement déployée n’est que le prolongement d’une idéologie forte. Les Français privés de repères économiques sont convaincus que le propriétaire d’une chambre de bonne à Paris est riche… Beaucoup préférant penser qu’il s’agit d’un homme oisif qui gagne de l’argent en dormant et qui ne procure aucun emploi. La réalité est naturellement plus complexe puisqu’un bien immobilier nécessite des réparations régulières d’entretien et un suivi juridique régulier. Ceci procure nécessairement de l’emploi (plombier, électricien, peintre, maçon, menuisier, architecte, agent immobilier, notaires, etc). 

Le modèle de bail d’habitation élaboré par l’Union Nationale de la Propriété Immobilière tient désormais en 50 pages ! Comme un bail d’habitation est nécessairement conclu en deux exemplaires, il faudra désormais compter 100 pages ! C’est la souffrance à infliger à Dame Nature pour assurer la conformité du bail avec la loi ALUR portée par une ministre issue d’un mouvement écologiste…

En définitive, ceux sont les classes moyennes qui paieront l’addition. Les chefs d’entreprises qui ne peuvent pas se délocaliser devront redoubler d’imagination avec l’aide d’un avocat fiscaliste pour retrouver quelques plumes.

En attendant, ces contribuables subissent une double peine : gel des salaires, hausse de la pression fiscale, risque accru de chômage, la course aux diplômes pour leurs enfants, etc.

Comment expliquer que, tous les étés, les niches fiscales constituent une cible du gouvernement, notamment en les dénonçant comme une source d'injustice fiscale. S'agit-il d'un pur argument sémantique ou est-ce que ces niches sont réellement nuisibles d'un point de vue fiscal ?

Philippe Crevel : Fondamentalement, une niche c’est une dépense, un manque à gagner. Evidemment, pour un Etat en recherche d’argent, c’est préjudiciable. Toutefois, toute niche fiscale n’est pas nuisible pour autant : il est important de prendre en compte l’effet économique que celle-ci peut avoir. Elle peut favoriser l’activité économique, la création d’emploi… Elle réduit l’assiette, certes, mais pour satisfaire des intérêts, des catégories sectorielles (comme l’immobilier, le financement des retraites, etc),  et bénéficie à l’économie d’un Etat. Ce gouvernement n’est d’ailleurs pas le plus économe en la matière, comme en témoigne la niche créée en Juillet dernier, en faveur de l’investissement dans le domaine de la presse.

Une fois la niche créée, elle est particulièrement difficile à déstructurer, en raison des avantages catégoriels et économiques. Revenir sur l’aide à l’emploi à domicile, par exemple, c’est soit entraîner plus de chômage encore, soit encourager le travail noir. On comprend qu’il soit délicat de revenir dessus. Le démontage d’une niche fiscale est extrêmement compliqué. C’est pourquoi on agite le chiffon rouge souvent, avant de le rentrer assez rapidement dès lors que l’on s’attèle aux choses sérieuses. D’année en année on constate donc une hausse du nombre de niches.

Enfin, en dehors des niches sectorielles, quelles sont les poches financières que le gouvernement pourrait ponctionner pour remplir les caisses de l’Etat, en vue du prochain projet de la Loi de Finance ?

Philippe Crevel : Il existe plusieurs solutions. Le tout, c’est de prendre une décision, de s’y tenir, d’appliquer les mesures nécessaires. Faut-il véritablement maintenir l’abattement de 10% dont bénéficient les retraités pour frais professionnels ? La question a le mérite d’être posée régulièrement mais la réponse a toujours été différée jusqu’à présent. Concernant l’impôt sur le revenu, faut-il favoriser certains produits d’épargne à court terme ? Fut un temps, on évoquait la possibilité de fiscaliser le Livret A au-dessus d’un certain montant, dès lors où cela ne correspond plus à de l’épargne populaire. Seulement, on touche là à quelque chose de sacré, qu’il vaut mieux oublier. On pourrait revenir aussi sur les avantages fiscaux à investir dans le cinéma, souvent dénoncés. Intérêt économique modéré (voire nul dans les DOM-TOM) mais intérêt catégoriel particulièrement fort, qui nous ramène donc au même problème. 

Il existe pleins d’idées, cependant le passage à la pratique est toujours compliqué. En l’occurrence, il est difficile de jeter la pierre au gouvernement, tant tous les autres ont échoué avant celui-ci. On fait face au problème du "premier jour". Supprimer une niche fiscale peut présenter des avantages à moyen-terme. Tout se banalise, tout se normalise. Sur le court terme, en revanche, c’est loin d’être le cas et il faut s’attendre à la soupe à la grimace. Certaines entreprises, qui ne bénéficient plus des réductions d’impôts, vont souffrir comme cela a été le cas dans le secteur du bâtiment. C’est quelque chose de douloureux au début et par conséquent la remise en cause en devient d’autant plus complexe. Quand bien même on reconnait les avantages que cela pourrait avoir sur le long  terme. De nombreux rapports ont été réalisés concernant les déductions d’impôts dans le logement, éclairant leur caractère improductif. Cela conduit même à augmenter le tarif de l’immobilier en France. La suppression des réductions d’impôts serait souhaitable, représenterait un gain pour l’Etat et pour les ménages. Mais la transition serait douloureuse pour les industries du bâtiment. En période de crise, en dépit du consensus, c’est quelque chose qu’on cherche à éviter.

Thomas Carbonnier : Le gouvernement pourrait taxer l’épargne des français détenue au travers de livrets bancaires, épargne déjà taxée à l’IR voire à l’ISF pour certains. L’idée n’est pas nouvelle, elle a d’ailleurs été développée par Madame Lagarde, en sa qualité de Directrice Générale du FMI. Pour mémoire, à Chypre, les dépôts supérieurs à 100 000 euros ont été  taxés jusqu’à 60 % ! Du côté grec, une mesure est étudiée pour taxer à hauteur de 30% les comptes d’épargne dès 8 000 euros !

Au nom de la justice sociale, le gouvernement français pourrait être tenté d’imiter Chypre et la Grèce. Quel serait alors l’intérêt des français à se défoncer au travail pour créer de la richesse française, pour remplir les caisses de l’Etat, pour créer de l’emploi et pour améliorer le sort de vos enfants ?

Les Français pourraient alors se mettre à investir dans des objets de luxe (montres, bijoux, meubles d’antiquaires) pour placer leur épargne et éviter la confiscation de leur épargne. le gouvernement pourrait constater que beaucoup de Français de moins de 50 ans auraient une Rolex au poignet…

Demain, le gouvernement pourrait expliquer que la croissance du secteur du luxe était due à son action bénéfique : la baisse massive des impôts (les Français ne cessent-ils pas de s’en plaindre ?), l’inversion de la courbe du chômage et un enrichissement massif de tous les français malgré une réalité bien différente !

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