Tel-Aviv sur Seine ou les dangers du communautarisme électoral<!-- --> | Atlantico.fr
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L'événement "Tel-Aviv sur plage" a été lourdement sécurisé.
L'événement "Tel-Aviv sur plage" a été lourdement sécurisé.
©Reuters

Qui s'y frotte s'y pique

Les partis politiques français, de gauche comme de droite, se sont lancés dans une course à la séduction auprès des différents groupes religieux et/ou ethniques du pays. Socle de la nation, le processus d'assimilation est ainsi mis à mal.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : L'Histoire de la République française repose sur un processus d'assimilation culturelle qui est en opposition avec le multicultaralisme anglo-saxon. Pourtant, ces dernières années, les partis français de gauche comme de droite semblent s'être lancés dans une course à la séduction auprès des différents groupes religieux et/ou ethniques notamment. Dans quelle mesure cette stratégie va à l'encontre de l'esprit français ? Est-ce réellement un phénomène nouveau et comment l'expliquer ?

Vincent Tournier : Il faut distinguer deux choses : les institutions et les pratiques électorales. Au niveau des institutions, le modèle républicain à la française s’oppose effectivement au modèle multiculturaliste, mais il faut tout de même faire des nuances. Par exemple, l’Alsace-Moselle bénéficie d’un régime dérogatoire, de même que de nombreuses collectivités d’outre-mer. De plus, si la charte des langues régionales vient à être adoptée, comme semble le souhaiter François Hollande, la France fera un pas supplémentaire vers le modèle multiculturaliste.

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Le second niveau concerne les pratiques électorales, c’est-à-dire l’attitude des élus ou des candidats. Là-dessus, il ne faut pas être naïf : il est clair que, dans toutes les démocraties, y compris en France, il y a toujours eu la volontéd’attirer des électeurs sur une base ethnique ou culturelle, au moins au niveau local. Le cas de Perpignan, où cohabitent notamment des gitans sédentarisés et des Maghrébins, a été très bien analysé par la revue Hérodote. Dans d’autre communes, il existe des communautés issues de l’immigration, par exemple des communautés italiennes, ce qui oblige les candidats à en tenir compte, y compris dans la composition des listes.

Cela dit, il est évident que le phénomène s’est amplifié au cours des dernières décennies, notamment depuis que les descendants de migrants ont eu accès à la majorité électorale. C’est un sujet qui reste peu étudié parce que les sociologues français ne sont pas très à l’aise avec l’ethnicité. Mais il suffit de lire la presse et de suivre les campagnes électorales pour voir que, localement, les enjeux ethniques et religieux peuvent devenir partie intégrante des stratégies électorales. A Bobigny, par exemple, lors des dernières élections municipales, la liste UDI  a réussi à prendre la place des communistes en jouant à fond la carte religieuse, notamment en mettant en avant une candidate voilée sur les photos de campagne.

Cette tactique électorale fonctionne-telle auprès de l'électorat chassé, pour ne pas dire dragué ? Doit-on s'attendre à assister à un nombre croissants de positions communautaires de la part des élus de la République, et, en retour, à des réactions parfois excessives ? (cf. suppression des menus de substitution à Chalon etc.)

Il est dans la nature de la démocratie de s’adapter aux demandes sociales. Tout candidat à une élection cherche à l’emporter sur ses rivaux, ce qui le poussemécaniquement à séduire le maximum d’électeurs. Dès lors que les électeurs mettent en avant leur identité, les candidats n’ont pas le choix : ils doivent proposer un discours qui réponde à leurs attentes, qu’ils soient de gauche ou de droite. C’est pourquoi toutes les mairies, de gauche commede droite, ont tendance à avoir les mêmes stratégies. Par exemple, lorsqu’il y a une communauté musulmane conséquente, toutes les mairiescherchent à faire construire des mosquées,et toutes utilisent les mêmes subterfuges pour s’affranchir de la loi de 1905.

La diversification ethnique et religieuse engendre donc inéluctablement une dynamique communautariste. Cela dit, le problème vient moins de cette diversification que de la manière dont les individus envisagent leur identité. Si les électeurs accordent peu d’importance à leur identité ethnique ou religieuse, ils ne vont pas avoir de demandes fortes. En revanche, si la religion ou l’ethnie sont vues comme des éléments importants de leur identité, alors il faut effectivement s’attendre à ce que les demandes dans ce sens se renforcent. En retour, cela peut produire des effets de mimétisme chez les autres groupes sociaux, lesquels vont se dire : pourquoi pas nous ? La question des crèches de Noël peut être vue comme un retour de balancier. Les gens se demandent : pourquoi fait-on tout une histoire sur ces crèches, alors que personne ne dit rien sur les mosquées qui sont financées sur fonds publics ? Pourquoi devient-il si difficile de maintenir des pratiques anciennes alors que les pratiques des nouveaux arrivants sont encensées ? Les demandes pour avoir une crèche dans sa commune vont peut-être se généraliser.

Par ailleurs, les dynamiques identitaires peuvent amplifier les processusde fragmentation territoriale. Elles encouragent les logiques de fuite ou d’évitement. Les individus sont incités à se regrouper entre eux. C’est comme ça que j’interprète la décision du maire de Chalon-sur-Saône : il envoie un message pour rassurer ses électeurs mais aussi pour dissuader certaines populations de venir dans sa commune. Dans ce dossier, la décision que va rendreprochainement la justice sera intéressante car elle aura certainement des conséquences dans les autres mairies. En toute logique, le tribunal ne devrait pas condamner le maire puisque rien n’oblige une mairie à fournir des menus de substitution dès lors qu’il s’agit d’un service public facultatif. Mais si le tribunal en décide autrement, ce qui n’est pas exclu, les mairies réfléchiront à deux fois avant de mettre en place un tel service car elles ne pourront plus revenir en arrière. Et si le tribunal donne raison au maire, alors il est possible que d’autres mairies remettront aussi en cause les menus de substitution car ceux-ci vont devenir un symbole.

Pour la gauche de la gauche, et même au sein du PS, les réactions à l'annonce de la journée Tel-Aviv-sur-Seine dans le cadre de Paris Plage ont fusé, l'indignation étant partagée par le PCF, EELV en passant par le Front de Gauche et certains élus socialistes. Après l'ouvrier, celle du sans-papier, et aujourd'hui du Palestinien sont les nouvelles figures de la gauche. En quoi cette colère commune est le reflet d'un changement de paradigme au sein de la gauche etplus particulièrement de l’extrême gauche ?

L’affaire de Tel-Aviv-sur-Seine offre une belle illustration du fonctionnement des idéologies. Le propre d’une idéologie, c’est de désigner des victimes et des bourreaux, c’est de dire qui sont les bons et qui sont les méchants, quitte à céder à ce fameux « amalgame » qui est pourtant dénoncé depuis les attentats de Paris. La cause palestinienne est devenue tellement passionnelle qu’elle fait perdre tout sens de la mesure, par exemple lorsque Danielle Simonnet parle d’un « massacre » à propos de l’offensive israélienne de l’été 2014 à Gaza, ou lorsque le député socialisteAlexis Bachelaycompare Israël au régime de l’apartheid en Afrique du sud, oubliant au passage que 20% des citoyens israéliens sont arabes, ce qui est loin d’être le cas dans l’autre sens.De tels propos sont problématiques dans le contexte actuel,  lorsqu’on connaît le niveau d’antisémitisme qui existe dans certains milieux. Espérons qu’il ne se passera rien, mais cela pourrait presque être considéré comme une incitation à la haine raciale.

Quoiqu’il en soit, cette polémique va dans le sens de ce que j’indiquais précédemment. Paris est une capitale multiethnique et multireligieuse. La mairie doit donc envoyer des signaux à la fois à la population juive et à la population musulmane. L’opération Tel-Aviv-plage vient en somme compenser les mesures prises en faveur des musulmans, telles queles cérémonies du ramadan ou le financement de l’Institut des cultures d’islam, bâtiment situé au cœur du quartier de la Goutte d’or (notons au passage que seul le Parti de gauche a dénoncé le financement public de cet institut, financement qui est problématiquepuisque le bâtiment comprend un lieu de culte).

En même temps, cette coopération avec la ville de Tel-Aviv est assez logique et s’inscrit dans la dynamique de la mondialisation. Toutes les grandes métropoles concentrentdésormais des populations semblables : les cadres, les jeunes, les diplômés,bref une population cosmopolite et cultivée, ouverte au libéralisme des mœurs. On a affaire à une sorte de« ville-monde », ce que Anne Hidalgo reconnaît dans sa tribune au journal Le Monde en parlant de Tel-Aviv comme d’une ville « ouverte à toutes les minorités, y compris sexuelles, créative, inclusive, en un mot une ville progressiste ».

Pourquoi cette focalisation sur un conflit que certains s'entêtent à vouloir importer ? Et pourquoi cette polémique se produit-elle maintenant ? Y a-t-il des stratégies cachées ?

Personne ne s’est effectivement demandé pourquoi Danielle Simonnet a lancé cette polémique, et pourquoi elle le fait maintenant. La question n’est pas sans intérêt puisque madame Simonnet siège au conseil de Paris, et qu’elle aurait donc pu manifester plus tôt son opposition.

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un simple « coup de chaud », d’une réaction impulsive. Il y a une part de calcul, qui s’explique parla conjoncture politique. Il faut d’abord rappeler que le Parti de gauche (PG) traverse une passe difficile puisqu’il des adhérents : il annonce 10.000 adhérents (contre 12.000 en 2012) mais seulement 1.700 ont pris part au vote, ce qui indique soit que les chiffres sont gonflés, soit que les militants sont fortement démobilisés.

Surtout, le parti est confronté à deux défis importants. Le premier concerne sa gouvernance intérieure. Jean-Luc Mélenchon s’est mis en retrait récemment en démissionnant de la présidence. Son poulain, François Delapierre, qui devait assurer sa succession, est décédé  brutalement en juin, ce qui a mis par terre toute la stratégie pour gérer le parti jusqu’en 2017. Du coup, il y a unevacance du leadership. C’est pourquoi,lors de sondernier congrès,début juillet, le parti a été contraint de mettre en placeune direction collégiale de 24 secrétaires nationaux, avec deux coordinateurs et porte-parole : EricCoquerel et Danielle Simonnet. Il est clair qu’un tel mode de direction n’est pas tenable, surtout pour un parti qui était jusque-là très centralisé. On ne donc peut exclure que, dans ce contexte de flottement,certaines personnalités comme Danielle Simonnettentent de prendre les devants en essayant de tenter leur chance.

Le second défi est encore plus décisif : c’est celui de la stratégie pour les prochaines échéances électorales, notamment pour les régionales. Faut-il chercher unealliance avec le PS ? Faut-il surtout maintenir la logique du Front de gauche, c’est-à-dire l’alliance avec le Parti communiste ? Une majorité du PG semble avoir envie de tourner la page du Front de gauche et de tenter une autre stratégie : créer un grand rassemblement des associations, des « comités citoyens », des divers groupuscules qui animent la gauche radicale, éventuellement avec les Verts. Le PCF lui-même semble avoir pris acte de cette rupture puisque Pierre Laurent, son secrétaire général a finalement annoncé qu’il serait tête de liste en Ile-de-France, autrement ditque le PCF se présenterait sans le Parti de gauche. Il n’est donc pas impossible que Danielle Simonnet ait commencé à mettre en œuvre la stratégie de rassemblement de la gauche radicale. Sa critique de Tel-Aviv-plage est bien commode puisqu’elle lui permet à la fois de faire vibrer la cause palestinienne, très populaire et consensuelle à gauche, et d’attaquer le Parti socialiste, accessoirement de se faire connaître.

Propos recueillis par Rachel Binhas

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