Iran/Israël : sur le nucléaire c'est "Je te tiens, tu me tiens par la barbichette"<!-- --> | Atlantico.fr
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Nouvelle gamme de missiles tirée à partir de navires militaires sur la mer d'Oman, en Iran.
Nouvelle gamme de missiles tirée à partir de navires militaires sur la mer d'Oman, en Iran.
©Reuters

Jeu de dupes

La tension monte entre l'Iran et les États-Unis après que Téhéran a annoncé ce dimanche avoir testé pour la première fois des barres de combustible nucléaire. Mais le programme nucléaire iranien n'inquiète pas seulement les Américains, leurs alliés israéliens sont eux-aussi en première ligne...

Joseph Henrotin

Joseph Henrotin

Joseph Henrotin est rédacteur en chef de Défense & Sécurité Internationale.

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A suivre le récent rapport présenté par l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique, Téhéran a effectivement atteint une capacité à fabriquer de une à deux armes nucléaires en quelques mois. Au surplus, l'Iran aurait été aidé par des scientifiques étrangers. Un centre d'essais souterrain serait ainsi en construction à Parchin. Si la Russie et la Chine ont fait pression sur l'organisation - veillant notamment à ce que certaines preuves (comme celle portant sur l'installation d'ogives nucléaires sur les Shahab-3) soient renvoyées en annexe et non dans le texte principal - l'AIEA, jusque-là très prudente, a pris officiellement position sur la question du nucléaire iranien, que Téhéran n'a jamais cessé de qualifier de "civil". Peu avant l'annonce de la parution du rapport, Israël menaçait de mener une frappe sur les installations iraniennes tandis que le ministre français des affaires étrangère jugeait cette dernière option comme "totalement déstabilisatrice". Voilà pour les faits.

Israël menace de frapper... Mais l'Iran pourrait répliquer via le Hezbollah

D'un point de vue analytique, plusieurs remarques sont à faire. Premièrement, ce n'est pas la première fois qu'Israël menace de mener des frappes sur l'Iran, cette hypothèse revenant fréquemment dès qu'il est question d'accroître les sanctions à l'égard de Téhéran. Reste que l'option de frappe se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par celles touchant à la planification : autant ces frappes étaient techniquement faisables il y a quelques années, autant elles semblent aujourd'hui aléatoires. L'U235 enrichi servant aux capacités iraniennes comme les résultats de recherche sur les divers systèmes nécessaires à la construction d'une bombe ne sont certainement pas restés à Natanz ; le nombre des installations s'est accru ; leurs défenses ont été étoffées ; la force aérienne israélienne ne peut à elle seule tout frapper (et personne ne semble vouloir l'aider) ; et last but not least, Téhéran dispose de moyens de représailles aptes à dissuader Israël sur une diversité de lignes d'opérations (instrumentalisation du Hezbollah et du Hamas, menaces directes sur le blocus du détroit d'Ormuz après la mise en place de sanctions par les Etats-Unis, etc.). Le Premier ministre israélien se positionne donc dans le déclaratoire.

Deuxièmement, la question de l'efficacité des sanctions reste posée. Pas plus l'Iran que la Corée du Nord n'ont été dissuadées de poursuivre leur programme du fait de pressions/sanctions extérieures, ce qui confirment les travaux faits en science politique ayant conclu à la faible efficacité des sanctions économiques. Embargos et autres pressions diverses ne marchent pas face à un État faisant autant de sacrifices pour atteindre des capacités qu'il estime centrales pour sa survie. Au demeurant, on peut même gager que ces sanctions sont contre-productives : à suivre les rhétoriques actuelles, elles seraient le reflet des "options politiques" à opposer aux "options militaires", les premières précédant dans leur déploiement les deuxième de façon séquentielle. C'est, bien évidemment, laisser tout le temps nécessaire à l'État-cible de développer son programme, ses vecteurs et les infrastructures devant les défendre. Or, on ne peut attaquer un État du fait de simples présomptions de velléités de développement d'une dissuasion nucléaire (ce qui serait à la fois contraire au droit international et qui ne permettrait pas de dégager aux yeux des opinions publiques une légitimité suffisante). Au surplus, pressions économiques et politiques nourrissent les positionnements victimaires des Etats qui en sont la cible - positionnements auxquels sont réceptifs des franges de population naturellement promptes à adhérer aux théories du complot.

Le contre-exemple de la Libye...

On pourrait certes arguer d'un succès de ces techniques en Libye. Toutefois, tout semble indiquer que Kadhafi lui-même ne voulait pas disposer de la bombe mais la concevait comme une monnaie d'échange. Isolé sur la scène internationale après les attentats sur le DC-10 d'UTA et sur Lockerbie et placé sous embargo, développer un "programme" lui permettait de faire lever les sanctions. Le cas est donc aussi particulier que celui de l'Afrique du Sud, qui a désarmé sur base d'une volonté politique intérieure. Il s'ensuit que la seule option ayant jusqu'ici permis de "casser" la conduite d'un programme nucléaire militaire a consisté en des raids sur les principales installations nucléaires d'un État se lançant à peine dans un programme - comme en Irak en 1981 et en Syrie en 2007. Non seulement des preuves peuvent être avancées par l'attaquant mais le programme est aussi suffisamment avancé que pour offrir une cible dont la destruction permettra de le ralentir considérablement. Dans les deux cas irakien et syrien, les États s'étaient orientés vers la disposition de réacteurs, naturellement plutinogènes, plutôt, comme l'Iran, que de développer des capacités d'enrichissement certes visibles mais permettant aussi d'affirmer qu'elles sont destinées à un programme civil. Or, l'Iran a également compris que l'on ne développe pas pareil programme sans chercher par ailleurs à le protéger : c'est tout l'enjeu de sa montée en puissance dans le domaine naval, dans celui des missiles balistiques ou encore dans son jeu d'alliance/vassalité avec le Hezbollah - autant d'éléments de représailles dont ne disposaient ni les Irakiens en 1981 ni les Syriens en 2007.

Troisièmement, si l'Iran a particulièrement bien joué, sans doute faut-il aussi remettre en perspective sa volonté d'acquérir l'arme nucléaire. Déjà présente à l'époque du Shah, cette volonté est ravivée au lendemain de la deuxième guerre du Golfe, en 1991, lorsque chercheurs et états-majors militaires comme politique concluent que la puissance occidentale ne peut être affrontée frontalement. Le nucléaire devient dès lors une solution permettant de sanctuariser l’État dans une optique d'ordre dissuasive. Au passage, la vision de l'Iran comme d'un État stratégiquement immature, prêt au martyr nucléaire parce qu'il voudrait en finir définitivement avec Israël, est aussi simpliste qu'erronée. Les vagues humaines de la première guerre du Golfe (1980-1988), qui justifient le positionnement de certains analystes en faveur de l'hypothèse du "martyr nucléaire", sont autant le résultat d'un choix militaire que d'une volonté d'imposition de terreur politique au plan interne visant à soumettre la population à la révolution islamique. Par ailleurs, cette hypothèse du martyr nucléaire revient à nier l'existence de travaux, bien réels, sur la nature de la dissuasion iranienne, travaux menés par les chercheurs et les militaires locaux et que résume François Géré dans les travaux qu'il a mené sur la question. Dans tous les cas de figure, il est bien question de préserver la révolution islamique et non de la sacrifier. Avec le temps, cette révolution islamique est aussi devenue nettement plus réaliste qu'à ses débuts…

Dotés tous deux de la bombe, Israël et Iran se battront... sans la bombe

Quatrièmement, le fait qu'une dissuasion iranienne soit appelée à émerger pose une série de questions. Si l'Iran disposera d'une capacité dite de dissuasion post-existentielle où il ne disposerait pas formellement d'armes mais serait capable d'en produire "à la demande", il disposera bel et bien de l'arme nucléaire. Or, Israël a toujours indiqué qu'il ne serait pas le premier pays à introduire des armes nucléaires au Moyen Orient. La question d'une officialisation de l'existence de l'arsenal israélien (au demeurant, plus personne ne croit qu'Israël n'est pas une puissance nucléaire) se pose donc. Avec, à la clé, la possibilité d'une dyade, situation ou deux États entrent dans une situation d'équilibre en se dissuadant mutuellement. 

Cette dyade, toutefois, ne manque pas d'être problématique : la marche forcée d'Israël vers des armes antimissiles pose la classique question de la disposition du bouclier et de l'épée, plaçant a priori systématiquement Téhéran en position de difficulté. Or, le génie stratégique de Téhéran est, là aussi, de ne pas se contenter du seul choix du nucléaire en pouvant activer le "levier Hezbollah", juste aux frontières israéliennes. Et l'on n'imagine pas Tel Aviv détruire Téhéran parce que quelques miliciens du Hezbollah auraient mené des incursions sur le sol israélien ou que quelques roquettes se seraient abattues sur des bases israéliennes… Enfermé dans ses frontières par une ligne Maginot technologique, Israël se prive d'une liberté de manœuvre là où l'Iran déploie une véritable "stratégie de l'avant" maximisant cette liberté, tout en se sanctuarisant.

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