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Dans le fleuve Columbia aux États-Unis, près de 50% de la population totale des saumons est décédée suite aux vagues de fortes chaleurs.
Dans le fleuve Columbia aux États-Unis, près de 50% de la population totale des saumons est décédée suite aux vagues de fortes chaleurs.
©Reuters

Coup de chaud

Dans le fleuve Columbia aux États-Unis, près de 50% de la population totale des saumons est décédée suite aux vagues de fortes chaleurs, signe que le dérèglement climatique pourrait bientôt bouleverser nos habitudes alimentaires.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Aux Etats-Unis, la population totale des saumons du fleuve Columbia a été divisée par deux à cause de la trop forte chaleur qui réchauffe les eaux de fleuve. Ce phénomène est-il plus étendu ? Faut-il s'attendre à voir des espèces disparaître de notre chaîne alimentaire ? 

Bruno Parmentier : Il convient de rester très prudent sur l'interprétation d'un phénomène nouveau dont les causes sont certainement multiples. Certes, les animaux à sang froid sont particulièrement sensibles aux modifications de la température puisqu'ils sont incapables de la réguler eux-mêmes ; tous leurs processus fondamentaux tels que la reproduction, la croissance, la maturation et la migration sont fortement dépendants de cette température. En particulier, l'augmentation de la température de l'eau se traduit par une diminution de la quantité d'oxygène qu'elle contient, or cet oxygène conditionne purement et simplement la survie des poissons, ce qui semble bien être le cas cette année dans le fleuve Columbia. Ces phénomènes sont toujours amplifiés par d'autres changements, tous directement imputables à l'homme : surpêche, aménagements des cours d’eau, pollutions, dégradation de l’habitat, introductions d’espèces, fragmentation liée aux barrages, etc.

Il faut bien prendre conscience que dorénavant la plupart des espèces de poissons migrateurs effectuant leur cycle de vie entre la mer et la rivière sont en danger. Songeons qu'il n'y a pas si longtemps les rivières de Bretagne regorgeaient de saumons elles-aussi, à tel point le que l'on précisait dans certains règlements d'entreprise que le patron ne pouvait servir plus de trois fois par semaine du saumon à la cantine ! Les suisses, par exemple, s’inquiètent sérieusement du devenir de leurs truites.

Pour le poisson de mer, sans parler de la surpêche, on observe un triple phénomène du aux conditions atmosphériques : migration, réduction de la taille et augmentation de la toxicité ! Le tout risque fort de faire disparaître purement et simplement la majorité de la ressource. Il ne nous reste plus que l'élevage de poissons…

Malgré le fait que les eaux de surface des océans se réchauffent trois fois moins vite que les milieux terrestres, les mouvements y sont très rapides, en moyenne de 75 Km par décennie, car il y est plus facile pour les organismes vivants de retrouver des eaux plus fraîches. Ceci n’est qu’une moyenne : le phytoplancton migre actuellement à la vitesse incroyable de plus de 400 km par décennie, certains poissons osseux comme la morue ou le zooplancton invertébré de plus de de 200 km. Même les crustacés, les mollusques et les algues vivant au fond de la mer franchissent quand même plusieurs dizaines de kilomètres par décennie (alors que les animaux terrestres migrent en moyenne de 6 km). Il est bien évident que cette fuite en avant aura une fin : on ne pourra pas stocker tous les poissons de l'océan près des pôles ! De plus les coraux des mers tropicales ne peuvent pas bouger, eux, et ne pourront donc plus servir de nourricerie pour les poissons brouteurs ; il faut donc s’attendre à de graves difficultés pour la pêche tropicale qui est une source essentielle de nourriture pour les pays du sud. Aujourd’hui capteurs nets de carbone atmosphérique, les récifs coralliens pourraient d’ailleurs devenir émetteurs dès 2030.

Le manque d'oxygène devrait également diminuer la taille des poissons dans une fourchette comprise entre 14 et 24 % d'ici 2050.

Changements attendus pour les poissons vivant au sein d'une région définie (encadré rouge) dans le futur, en fonction de la latitude et de la profondeur. À la suite de la réduction de la concentration en oxygène dissout dans l’eau causée par le réchauffement climatique, les poissons pourraient devenir plus petits et migrer vers les pôles. Quentin Mauguit, Futura-Sciences © adapté de Cheung et al. 2012, Nature Climate Change

Mais ce n'est pas tout : malheureusement les poissons absorbent davantage les polluants, et en particulier le mercure, lorsque les eaux se réchauffent. C'est ainsi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) met en garde contre une consommation excessive de poissons, plus particulièrement ceux qui se nourrissent d’autres poissons, accumulant alors les produits toxiques ingérés par leurs proies. L’espadon, le marlin, le siki, le requin et la lamproie sont maintenant fortement déconseillés à la consommation.

Quelles sont les formes de notre alimentation qui risquent de disparaître ou d'être modifiées ? La sécheresse semble faire peser une menace sur les cultures et l'élevage par exemple...

Pour l'humanité, la menace la plus importante concerne probablement le riz, nourriture de base d'une bonne partie de nos contemporains. Il est actuellement cultivé sur 142 millions d'hectares en Asie, et les chercheurs estiment que 16 millions d’hectares sont menacés par la salinité, 22 millions par les inondations et 23 millions par la sécheresse ! Or la productivité de cette céréale dépend énormément de ces facteurs. Sans eau, ou avec de l'eau salée, plus de riz !

On voit bien également dans nos contrées que la culture intensive du maïs irrigué sera menacée à terme. D'ici quelques décennies, quand il n'y aura plus d’eau dans la Garonne l'été, à l'image des rivières du Sud-Est, une bonne partie de l'agriculture du Sud-ouest devra se transformer. Peut-être au profit de plantes originaires du tropique aride et donc moins dépendante de l'apport en eau pendant l’été, comme le sorgo…

La première canicule française de l'année 2015 est arrivée avant la récolte de blé, une occasion de prendre conscience que même cette culture emblématique de la civilisation française peut être menacée.

Plus anecdotiquement, notre tasse de café n'est pas non plus garantie pour l'éternité ! Les graines d’arabica (qui fournit 60 % de la production mondiale de café, autour de 5 millions de tonnes) poussent dans une fourchette de températures restreinte : de 19 °C à 25 °C. Quand le thermomètre grimpe, la photosynthèse s'en voit affectée et, dans certains cas, les arbres s'assèchent. Les caféiers pâtissent en outre de la multiplication des périodes de fortes précipitations et de sécheresses prolongées. Pour le moment, les caféiers remontent les pentes des montagnes, mais ceci aura une fin et au total, on estime que les rendements pourraient baisser de 38 à 90 % d’ici la fin du siècle !

On voit également depuis deux ans que la production européenne d’huile d'olive (qui représente 73 % de la production mondiale), est extrêmement menacée par des attaques bactériennes et d’insectes parasités favorisées par une succession d'été chauds et humides (voir l’Article Paru sur le site Atlantico le 24 novembre 2014). D’une manière générale, on va assister à un développement important des maladies cryptogamiques ou fongiques (causées par des champignons parasites) rouille, oïdium, tavelure, mildiou, gravelle, fusariose... sans savoir si nous trouverons rapidement les parades.

L'élevage français souffrira aussi énormément, de la chaleur bien sûr, de la raréfaction du fourrage, mais aussi de maladies : bien entendu, s'il fait chaud, on aura droit à toutes les maladies des pays chauds, en plus des nôtres, comme la fièvre catarrhale ovine, la peste équine, la fièvre de la vallée du Rift, la fièvre du Nil occidental, la leishmaniose, la leptospirose, etc. !

Et ne parlons pas de risques de voir les invasions de criquets se répandre au nord de la Méditerranée, avec les désastres écologiques que provoquent ces nuages de dizaines de millions d’insectes qui peuvent parcourir 200 Km en une journée, dévastant la flore naturelle et les champs cultivés !

Quels types de nourriture risquent d'être les plus utilisés à l'avenir ? Qu'est-ce qui résistera le mieux au changement climatique ? 

Bruno Parmentier : Bien évidemment, l'homme n'a pas dit son dernier mot, et on trouvera certainement des variétés génétiques de certaines plantes qui résisteront davantage aux nouvelles conditions atmosphériques (chaleur, sécheresse, humidité). Mais on pourra également changer nos pratiques culturales : arrosage au goutte-à-goutte, couverture permanente des sols, agro foresterie, etc. De même pour les animaux : par exemple les troupeaux laitiers issus du croisement de vaches hollandaises Prim’holstein et de zébus Gir indiens (race Girolanda) se révèlent à la fois productifs et résistants au Brésil.

Il faut aussi espérer que nous changions notre type de consommation alimentaire, en choisissant une nourriture plus conforme aux défis de la planète. Par exemple moins de viande et de laitages, car les produits animaux sont beaucoup plus consommateurs de ressources de la planète que les simples produits végétaux. De même, d’après l’association de restaurateurs Bon pour le climat, la production d’un légume de saison frais cultivé localement génère 20 fois moins de gaz à effet de serre que celle d'un légume frais hors saison importé, 7 fois moins qu'un légume surgelé, et, en moyenne, 10 fois moins que la viande. Concrètement, pour une bavette et légumes de saison, si on passe la portion de boeuf de 200 g à 100 g et qu’on passe la portion de légumes de 100 g à 200 g, cela réduit les gaz à effet de près de 50 %. Il est alors parfaitement légitime de parler de (délicieux) "légumes de saison et bavette".

Mais ce n'est pas nous qui devrions nous inquiéter ! Même si en France, la canicule de 2003 a provoqué entre 20 % et 30 % de baisse de la production agricole et qu’on estime qu’entre 30 et 70 % de la stagnation des rendements du blé en Europe sont attribuables aux vagues de chaleur qui nuisent au bon développement du grain. Sauf années exceptionnelles, dans les pays tempérés, les conséquences de réchauffement climatique resteront… tempérées. Il n'en est pas de même en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient, ou en Asie, qui vont subir de plein fouet les conséquences de nos inconséquences : cyclones, canicules, avancée des déserts, inondation des deltas fertiles, baisse des rendements, augmentation du risque sanitaire etc. Cela va rendre beaucoup plus difficile à atteindre l’objectif de tripler la production agricole en Afrique et de la doubler en Asie d'ici le milieu du siècle… Notre mode de vie, avec ses biftecks, ses 4/4 et son air conditionné, risque bien, au sens strict, de faire avancer la faim dans le monde, ou tout du moins d'empêcher de la diminuer.

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