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Zone euro : la France, futur vassal de l' Allemagne ?
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Crise

La politique économique allemande a conduit à de profonds déséquilibres entre pays européens. L'issue tient peut-être à une zone euro resserrée. Mais les obstacles sont nombreux : le couple franco-allemand pourrait ne pas s'en remettre...

Serge  Federbusch

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président du Parti des Libertés, élu conseiller du 10 ème arrondissement de Paris en 2008 et fondateur de Delanopolis, premier site indépendant d'informations en ligne sur l'actualité politique parisienne.

Il est l'auteur du livre L'Enfumeur, (Ixelles Editions, 2013) et de Français, prêts pour votre prochaine révolution ?, (Ixelles Editions, 2014).

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Avant toute analyse de la situation économique en Europe, une statistique doit retenir notre attention. Depuis 2008, le taux moyen de croissance du PIB aux Etats-Unis d’Amérique est de 1 % par an. C’est peu mais c’est quand même de la croissance. En Euroland, le résultat est bien pire : moins 0, 7 % par an !

Du reste, à de rares exceptions près, depuis 10 ans, l’activité économique des pays qui utilisent l’euro est moins dynamique que celle des pays de l’Union européenne qui n’ont pas adopté la monnaie commune.  Alors que la crise de l’Euroland s’intensifie et menace de démembrement cette zone monétaire mal conçue, on entend de plus en plus murmurer LA solution définitive : que les PIIGS ( acronyme de Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne -Spain- qui désigne les pays de la zone euro en difficulté financière ndlr ) débarrassent le plancher et que les pays vertueux, autour de l’Allemagne, recréent un espace économique commun fondé sur une monnaie et des finances publiques saines. Si elle est sage, la France ferait partie des heureux élus.

Déréglementation du marché du travail allemand

La situation de l’Allemagne n’est pourtant pas flamboyante : sa dette publique est légèrement plus élevée que celle de la France et son taux de croissance, ces dix dernières années, légèrement inférieur au nôtre. Les lois « Hartz », destinées à déréglementer le marché du travail, inciter les chômeurs à prendre des emplois moins payés et lutter contre l’assistanat, ont certes eu pour effet de réduire le nombre des sans-emplois et le poids des charges sociales, mais elles ont surtout concerné le secteur des services peu qualifiés, alors que le seul domaine où l’Allemagne fait vraiment mieux que les autres pays de l’Euroland est celui du commerce extérieur, grâce à ses industries exportatrices hautement qualifiées.

Sur ce terrain, le succès allemand est sans appel : mois après mois, l’Allemagne engrange peu ou prou 15 milliards d’euros d’excédents commerciaux quand la France connaît un déficit de 6 milliards, l’Angleterre ne faisant guère mieux et l’Italie, malgré sa tradition exportatrice, restant aussi dans le rouge. C’est donc avant tout par le commerce extérieur que l’Allemagne se distingue. C’est grâce à lui qu’elle peut rassurer les marchés : l’excédent de sa balance des paiements garantit que l’Allemagne pourra honorer à court, moyen et long termes le service de la dette qu’elle contracte auprès des non-résidents. Du coup, elle bénéficie d’un effet « boule de neige » : empruntant à un taux moins élevé, son déficit budgétaire n’est pas exagérément alourdi par les intérêts que le Trésor allemand a à acquitter.

Mais d’où vient cette supériorité croissante du commerce extérieur germanique, qui s’est d’ailleurs accentuée ces dernières années ? Dès la mise en place de l’Euroland, la tradition exportatrice des entreprises d’outre-Rhin, leur positionnement dans les segments à forte valeur ajoutée des industries automobile, mécanique et chimique notamment, les ont placées en position de force. Les différents pays de l’Euroland ayant désormais une même monnaie et un même taux de change, il était naturel que les spécialisations s’accentuent au sein de l’espace économique commun ainsi créé. En vertu de la théorie des avantages comparatifs, tous devaient y trouver leur compte. Dans le contexte de libre-échange total de l’Euroland en effet, chaque économie nationale, si elle se spécialise dans la production pour laquelle elle dispose de la productivité la plus forte comparativement à ses partenaires, accroît sa richesse propre.

Sous-traitance dans les pays de l'Est

A ceci près, et c’est essentiel pour comprendre les problèmes actuels, qu’un « bug » a fragilisé cette belle construction intellectuelle : l’industrie allemande s’est employée, bien plus que celle des autres pays de l’Euroland, à faire fabriquer des biens intermédiaires près de chez elle, en Slovaquie, Pologne, République tchèque, Hongrie, etc. Ces pays font partie de l’Union européenne et ne supportent donc pas de droits de douane. Mais ils n’ont pas l’euro pour monnaie et sont devenus des sous-traitants particulièrement compétitifs pour les Allemands. Ces derniers ont incorporé leurs productions à leurs propres fabrications, estampillées malgré tout « made in Germany », ainsi que nous le relevions, dès le 26 avril 2006, dans un article publié dans Libération, intuition confirmée depuis par plusieurs études approfondies (notamment : « le modèle allemand : pourquoi l’Allemagne exporte-t-elle tant ? » d’Hans Brodersen pour le Centre d’études franco-allemand (CERFA) en novembre 2008. L’exemple de la Porsche Cayenne dont la carrosserie et les équipements sont fabriqués à Bratislava a marqué les esprits.

Les principaux partenaires de l’Allemagne au sein de l’Euroland se sont trouvés concurrencés par ces « passagers clandestins » de la zone monétaire commune, pour reprendre une expression qui remonte à la République démocratique allemande, du temps où la République fédérale utilisait déjà sa petite sœur communiste à des fins de sous-traitance. Rien de nouveau sous le soleil … Dès lors, l’Allemagne a pu davantage exporter vers les autres pays de l’Euroland, moins leur importer et mieux résister à la morsure des nouveaux pays industrialisés, notamment à celle de la Chine. Naturellement, les déficits français, espagnol ou italien vis-à-vis de l’Allemagne sont devenus abyssaux, aucun réajustement de taux de change ne pouvant les corriger.

Aujourd’hui, nous sommes entrés dans la deuxième phase de ce processus. L’Allemagne émerge peu à peu comme l’économie-centre de l’Euroland. Les autres pays membres, plombés par le taux de  change de l’euro, sont tirés vers le bas. Ne nous voilons pas la face : la logique est qu’ils deviennent, comme ceux de l’aile orientale de l’Allemagne, ses sous-traitants de l’aile occidentale. Si les tendances actuelles se poursuivent, l’euro conduit la France, l’Italie et l’Espagne à devoir s’aligner sur les termes de la compétitivité de la Slovaquie, de la Pologne ou de la République tchèque, avec au surplus le handicap d’une monnaie surévaluée.

Bien entendu, Grecs, Italiens, Portugais et Espagnols, dont les économies sont exsangues, ne pourront supporter cet ajustement et utiliser très longtemps la monnaie commune. La France, un peu moins atteinte, pourra endurer davantage mais sa chute n’en sera que plus rude.

Appauvrissement et vassalisation ?

Dans ce contexte, il est évident qu’une union monétaire restreinte autour de l’Allemagne, dont les pays du Sud seraient exclus mais dont la France ferait partie, serait un péril grave pour notre économie. Nos entreprises seraient placées dans une sorte d’étau, concurrencées à la fois par celles des pays libérés de l’euro et ayant dévalué et celles des pays d’Europe de l’Est restés en dehors de la zone euro. Rapidement, ce n’est pas un tandem franco-allemand mais un véritable appauvrissement puis une vassalisation de la France qui verrait le jour.

Pour conjurer cette menace, le rapprochement franco-allemand ne pourrait en réalité fonctionner qu’à la condition paradoxale d’un traitement de faveur pour la France, sous la forme du rétablissement de droits de douane entre la nouvelle zone euro « renforcée » et les pays qui l’entourent.

Bref, la « petite » union monétaire autour de l’Allemagne signerait la fin de l’Union européenne telle que nous la connaissons. Mais les Allemands, qui bénéficient plutôt de la situation actuelle, y ont-ils intérêt ?

Derrière le rêve de la zone euro restreinte, seule une véritable union politique, abolissant les différences budgétaires et organisant des transferts entre les différentes régions d’une république fédérale bi ou même pluri-nationale ( Luxembourgeois ou Hollandais pouvant être de la partie ), offrirait une solution durable.

Or, les obstacles politiques, juridiques, économiques et culturels à cette intégration sont immenses. Ces peuples en approuveraient-ils le principe même ? Cette intégration serait en tout état de cause un processus long et complexe. Or, le temps de la vie politique est un temps court. Qu’aurait-été, pour choisir un exemple très récent, le choix de l’union franco-allemande en gestation sur la question de l’intervention en Libye ? Quelle décision prendre en matière d’énergie nucléaire ? Accepte-on la dépendance de l’approvisionnement en gaz naturel poutinien ? Se ralliera-t-on, en France, en particulier à gauche, aux lois « Hartz » ? Ces débats seraient bien plus difficiles encore à trancher que de fusionner l’UMP et le Parti socialiste !

Dans ces conditions, il est probable que le projet d’Euroland « resserré » est une chimère qui ne verra jamais le jour et que le tandem franco-allemand, contraint au surplace, finira par chuter.

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