Grignotées en haut par le supranationalisme et en bas par le multiculturalisme : pourquoi il est indispensable de sauver nos frontières<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
"Il est indispensable de sauver nos frontières".
"Il est indispensable de sauver nos frontières".
©DR

Bonnes feuilles

Depuis près de trois quarts de siècles en Europe, les Etats-nations sont progressivement démantelés. En démontrant, sur la base de l’Histoire et du Droit, que ces changements asphyxient les principes démocratiques, Thierry Baudet nous alerte vigoureusement sur la catastrophe qui approche. Extrait de "Indispensables frontières", de publié aux Editions du Toucan (1/2).

Thierry  Baudet

Thierry Baudet

Thierry Baudet est hollandais. Il enseigne les sciences politiques et le droit à l'université de Leyde. Il est anglophone et francophone.

Voir la bio »

Avec ce livre, j’ai voulu montrer que l’État-nation est indispensable à la démocratie représentative et à l’état de droit ; ou, pour l’exprimer autrement, que ces institutions ne peuvent fonctionner qu’au sein d’un État-nation.

L’importance des frontières réside dans leur capacité à définir une juridiction et à séparer les communautés politiques les unes des autres. En cela, les frontières rendent possibles l’exercice de la souveraineté ainsi que la formation et la préservation d’une loyauté nationale. La démocratie représentative et l’état de droit ne sauraient se passer de ces deux éléments. La destruction progressive des frontières, grignotées en haut par le supranationalisme et en bas par le multiculturalisme, effrite la souveraineté et affaiblit la nationalité, vidant ainsi de leur substance la démocratie représentative et l’état de droit.

Il est fâcheux de constater que l’importance des frontières a été négligée. Une politique de supranationalisme a été menée en lieu et place du cosmopolitisme souverain que je propose. Trois cours supranationales – la Cour pénale internationale,la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour internationale de justice – ainsi que trois organisations supranationales – l’Organisation mondiale du commerce, le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Union européenne – n’ont aucun compte à rendre aux communautés nationales, alors qu’elles soumettent les nations aux lois, décrets politiques et à une jurisprudence qui n’est pas de leur fait. De plus, ces décisions supranationales ne sont même pas, en dernière instance, administrés par la nation elle-même. Ainsi, la signification de la communauté nationale s’en trouve inéluctablement affaiblie. Les lois, la politique ne sont plus « les nôtres » ou « d’ici », mais « d’ailleurs ». Les juges chargés d’appliquer la loi ne sont plus « d’ici » non plus. Ils échappent à la séparation des pouvoirs nationaux et aux pressions de l’opinion publique. Ces juges supranationaux, domiciliés à Genève, New York, au Luxembourg, peuvent avoir des opinions différentes sur la façon d’interpréter les dispositions juridiques, et leurs convictions politiques sont souvent inconnues. Indéniablement, la communauté nationale n’a que peu de poids en matière de création et d’application du droit supranational. Et tandis que, de manière inévitable, il devient de plus en plus difficile pour elle d’accepter le droit de regard d’entités supranationales dont les pouvoirs ne cessent d’augmenter, puisque les principales décisions politiques ne sont plus du ressort de l’Assemblée nationale, la réaffirmation de l’identité nationale, par le biais de prises de décisions collectives, s’en trouve affaiblie.

Dans le même temps, face à l’immigration de masse, on a choisi de cultiver, à travers le multiculturalisme, les différences entre les divers groupes ethniques et religieux, au détriment de l’unité nationale. Plutôt que de mettre en avant les points communs – ou ce qui pourrait s’y apparenter – entre les communautés étrangères dans le cadre du nationalisme multiculturel que je défends, le multiculturalisme prône l’absence d’une quelconque identité centrale. Même si le pluralisme juridique reste une exception, il ne fait aucun doute qu’il s’agit de la prochaine étape logique d’un processus enclenché par la négation d’une identité nationale unique et partagée. En conséquence, le sentiment commun d’appartenance nécessaire à la démocratie représentative et à l’état de droit est fortement dégradé.

Si l’on veut préserver, ou restaurer, la démocratie représentative et l’état de droit, il est indispensable de changer de cap. Les États-nations doivent être réaffirmés. Les pouvoirs doivent peu à peu être repris aux institutions supranationales qui les détiennent et les exercent, et le poids de la loyauté nationale, dans le contexte actuel de sociétés multi-ethniques et multi-religieuses, doit être au centre des préoccupations.

Il existe un grand nombre d’alternatives à l’imbroglio supranational dans lequel nous nous trouvons. En ce qui concerne l’Organisation mondiale du commerce, la compétence de l’Organe d’appel pourrait être restreinte, ce qui rendrait enfin aux États membres le pouvoir d’interpréter eux-mêmes les accords commerciaux. La Cour pénale internationale pourrait accepter l’usage du droit de veto du Conseil de sécurité sur les décisions d’ouverture d’enquêtes. Elle pourrait ainsi réduire son périmètre d’intervention à certains crimes, par exemple les génocides ou l’utilisation d’armes de destruction massive. La Cour européenne des droits de l’homme pourrait également limiter sa compétence et s’en tenir à sa mission de base : protéger les individus contre les injustices les plus fondamentales en termes de violence physique et d’actes de cruauté graves, et défendre exclusivement les principes élémentaires de la démocratie que sont, par exemple, la liberté de la presse et des élections libres. Elle pourrait ainsi appliquer un principe de subsidiarité plus formalisé. En outre, la CEDH pourrait rendre obligatoire l’obtention d’une majorité des deux tiers avant de pouvoir condamner un État. L’Assemblée parlementaire pourrait enfin publier un rapport annuel recensant les principales affaires, qui pourraient de fait être étudiées et contestées par les parlements nationaux.

Cette liste de propositions n’est pas exhaustive : il existe une multitude de façons de restructurer ces organisations de manière moins supranationale – ou plus intergouvernementale –, de réduire ou limiter leurs pouvoirs, et toutes méritent d’être sérieusement débattues. Un cosmopolitisme souverain exercé par des États-nations ouverts à la coopération internationale et aux développements mondiaux, mais qui conserveraient leur autorité en matière de choix politiques et de législation, pourrait lui aussi s’envisager sous de très nombreuses formes.

Affirmer que la démocratie représentative et l’état de droit ne peuvent exister qu’au sein d’un État-nation – ce qui était l’objet principal de cet ouvrage – ne signifie cependant pas que les États-nations existants doivent forcément être conservés sous leur forme actuelle. Aucun argument de ce livre ne va spécifiquement dans le sens d’une défense des frontières actuelles : il s’agit d’une défense des frontières en général. De fait, la démocratie représentative et l’état de droit ne seraient pas nécessairement menacés par une modification des frontières. Les États d’aujourd’hui ne reflètent pas toujours les identités nationales existantes, et la sortie de l’Écosse du Royaume-Uni, par exemple, ou encore la scission de la Belgique en deux États-nations pourraient être des facteurs d’amélioration du fonctionnement de la démocratie représentative et de l’état de droit, plutôt que des facteurs d’affaiblissement. Il n’existe pas non plus, en principe, d’objection à une intégration d’États-nations actuels au sein d’États-nations plus grands (l’unification de l’Allemagne et de l’Autriche, par exemple, la réunion des Flandres aux Pays-Bas, ou, théoriquement parlant, de tous les États européens en États-Unis d’Europe). L’idée est simplement que la souveraineté et la nationalité rendent possibles la démocratie représentative et l’état de droit, non que l’on s’accroche avec obstination à des territoires nés de contingences historiques.

Extrait de "Indispensables frontières - pourquoi le supranationalisme et le multuculturalisme détruisent la démocratie", de Thierry Baudet, publié aux Editions du Toucan, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !