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Jeux de hasard :
avec la crise, pour les Français
c'est "jouer plus pour gagner plus"
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Cash

La Française des Jeux vient de sortir une nouvelle formule de son jeu instantané "Cash". L'opérateur s'adapte à la crise : en 2010, 2,8 millions de Français y ont joué, pour 238 millions de tickets distribués. Analyse des raison de ce succès.

Jean-Pierre Martignoni

Jean-Pierre Martignoni

Jean-Pierre  Martignoni est   Sociologue à l’Université Lumière (Lyon 2), il est spécialisé sur le gambling ( industrie des jeux de hasard et d’argent) les opérateurs et entreprises qui travaillent dans l’économie des jeux, les joueurs, les espaces de jeu,  la socialisation ludique contemporaine. Il participe en 2009 au groupe de travail «  addiction » de l’Arjel ( Autorité de régulation des jeux en ligne.)

 

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Depuis le début de la semaine, Cash est jaune doré. Véritable caméléon, ce jeu a déjà changé de couleur en février 2010, passant radicalement du bleu au vert. Cette première évolution faisait fortement émerger la symbolique de la chance,  traditionnellement associée à la couleur verte dans les croyances des joueurs. Abandonnant donc un peu "la couleur de la chance"  - mais le vert reste omniprésent - et celle du "billet vert"  au profit de la couleur "jaune doré", certains pourront y voir  comme une symbolique, celle du temps de crise traversé ou la valeur refuge reste l’or, au détriment de la monnaie et notamment du dollar.

Mais fondamentalement, Cash ressemble toujours à "un bon du trésor", un bon au porteur, à une valeur mobilière… du temps ou ces titres n’étaient pas réduits à de la virtualité informatique.  D’une belle couleur "or" avec plusieurs nuances, Cash est  finement décoré avec différentes empreintes holographiques. Il se présente toujours  sous la forme d’un rectangle cartonné grand format. Sa taille imposante (10x15), son coût ( 5 euros, soit 32,79 francs), son aspect " billet de banque", lui confèrent ipso facto une certaine valeur et lui donne un côté plus sérieux que les autres cartes à gratter de la Française des Jeux . Cash fait directement référence à l’argent, au besoin de liquidité que ressentent de nombreux Français face à la crise économique, que Pascal Lamy  a qualifié de "première crise globale de l’humanité". Et en période de crise, comme le dit un slogan boursier  américain, Cash is King : l’argent liquide est Roi. La Française des jeux surfe ludiquement sur cette grave dépression, en répondant symboliquement au  pressant besoin de cash que ressentent nos concitoyens.

Le succès au rendez-vous, malgré la crise

Cash épouse l’air du temps, exploite la crise, mais reste positif et ludique. Si la dépression actuelle augmente ce que le sociologue Robert Castel nomme "la montée des incertitudes", elle offre des possibilités de changements, de mutations, à condition de prendre des risques. De la même manière, le joueur est invité avec ce jeu de hasard à risquer son argent  pour décrocher le pactole à 500 000 euros ou l’un des nombreux gains intermédiaires. Le succès de Cash s'explique par le besoin d’argent que ressentent les Français en période de marasme.

Le succès de ce jeu onéreux n’a donc en réalité rien de surprenant dans une période de crise qui perdure. Il n'indiquerait pas un excèdent d'argent qui autorise la dépense ludique ( théorie de la richesse) mais plutôt un besoin d'argent ( théorie de la pauvreté). Le calcul économique des Français  vis-à-vis de ce jeu serait le même que celui observable pour l'épargne. Inversé et contradictoire, ce calcul procède en réalité de la même logique. Il souligne une volonté forte  - de plus en plus pressante - d’essayer d'améliorer l'ordinaire par tous les moyens. Mais, par ailleurs, il constitue une fuite en avant dans la dépense ludique qui, en cas de perte répétée, peut accentuer la paupérisation relative et s’inscrit non pas sur le registre du travailler plus pour gagner plus,  mais sur celui  - plus aléatoire - du jouer plus pour gagner plus.

Pour la Française des jeux, la simplicité paie

Cash apparaît également  - et cela explique aussi son succès - comme un jeu simple. Il suffit de gratter et de vérifier des numéros. Les sommes potentiellement gagnables sont mentionnées vingt fois. Cette répétition visibilise l’attractivité théorique des pactoles petits ou grands. En outre, même si l’on perd, on a souvent presque gagné. Par exemple, l'un de vos numéros gagnants sera le 16 mais c’est le 17 qui rapporte 500 000 euros. Mince, pas de chance ! Mais en réalité cette proximité avec le numéro gagnant renforce considérablement "l’espérance ludique" individualisée du joueur et l’objectivation de sa perte : je suis pas passé de loin, la prochaine fois sera la bonne.

En final le succès de Cash (4,57 millions de tickets vendus par semaine en 2010) - obtenu sans campagne publicitaire - rappelle que les jeux basiques, les jeux simples, les jeux facilement accessibles au « bar-tabac du coin », intéressent encore grandement nos concitoyens, qui visiblement ne sont pas tous attirés par les jeux d’argent en ligne désormais autorisés sur Internet.  98 % du volume d’affaire de Cash se réalise dans les points de vente traditionnels de la société dirigée par Christophe Blanchard Dignac, qui vient de publier un article dans la revue Pouvoirs consacré à La révolution numérique des jeux d’argent (1 ). Assurément ces jeux que nos cousins québécois nomment joliment "les gratteux" - et dont une bonne partie sont fabriqués à Montréal  - ( 2) ont encore de beaux jours devant eux dans le réseau de proximité de l’opérateur de Boulogne Billancourt. (3)

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  1. (1) Christophe Blanchard Dignac, le révolution numérique des jeux d’argent (25-38), in Pouvoirs n° 139, Revue française d’études constitutionnelles et politiques, Les jeux d’argent, novembre 2011, 164 pages, Editions du Seuil.
  2. (2)Lire le passionnant article de Mathilde Visseyrias - journaliste du Figaro qui précise la politique à venir de la FDJ en matière de jeux de grattage et le détail de leur fabrication et acheminement. (Mathilde Visseyrias,  La Française des jeux change ses jeux de grattage, Le figaro.fr économie du 5 octobre 2011)
  3. (3)Siège de la Française des jeux

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