Dilemme en Amazonie : les tribus n’ayant jamais eu de contact avec le reste du monde méritent-elles d’être laissées tranquilles ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
Dilemme en Amazonie : les tribus n’ayant jamais eu de contact avec le reste du monde méritent-elles d’être laissées tranquilles ?
©Reuters

Vivre en symbiose avec les Indiens

Au Brésil, en Indonésie, une multitude de groupes ethniques isolés du monde existent. Conscients de leurs présences, un dilemme se pose pour les Etats, entre leur intégration politique et économique, ou la préservation de leurs différences culturelles.

Benoit de l'Estoile

Benoit de l'Estoile

Benoît de L'Estoile est chercheur en anthropologie politique et en anthropologie de la connaissance, dans une approche comparative s’appuyant sur plusieurs terrains d’investigation à l'IRIS.

Voir la bio »

Atlantico: Où se situent les tribus que l'on découvre aujourd'hui et estime-t-on qu'elles ont toujours été séparées de nos civilisations? Comment réagissent-elles au contact de l'homme moderne?

Benoît de l'Estoile : Le terme de "tribu" est trompeur, évoquant tout un imaginaire de "tribus perdues" qui est en fait un mythe occidental. La plupart du temps, il ne s'agit pas de groupes n'ayant jamais été en contact avec d'autres sociétés. Outre les autres groupes indigènes, ils ont pu être en contact avec des colons, des chercheurs d'or, avec les populations locales, des missionnaires... Plus que des groupes isolés, pour la plupart d'entre-eux, ils sont plutôt réfugiés pour échapper à ceux qui les poursuivaient et les menaçaient. Ces groupes se rencontrent dans des régions peu accessibles, surtout en Amazonie (brésilienne et péruvienne), en Nouvelle Guinée, en Indonésie. Au Brésil, la FUNAI, l'organisme officiel en charge des groupes indiens, considère qu'il y a environ 107 "groupes indigènes isolés". Historiquement ce contact a le plus souvent donné lieu à des chocs microbiens. Et leurs défenses immunitaires n'étant pas adaptées aux différents agents pathogènes que nous véhiculons, cela a très souvent été mortel. Ce traumatisme, qui est aussi nourri par des épisodes violents de tribus décimées par les armes, a fait naître un sentiment de méfiance important. 

C'est l'expansion territoriale des Etats et les entreprises ou particuliers désirant exploiter les richesses minières et forestières sont à l'origine des contacts, en cherchant à s'approprier de nouveaux territoires. C'était le cas dans les années 1970 avec l'ouverture de la route transamazonienne au Brésil, qui a été extrêmement destructrice pour les groupes indiens. 

Comment peut-on intégrer ces populations dans la vie politique, citoyenne, économique du pays dans lequel elles se situent sans détruire leur spécificité ? Peut-on préserver les traditions et civilisations de ces tribus sans les dénaturer tout en favorisant les échanges économiques, sociaux ?

Les politiques actuelles consistent effectivement à éviter ces contacts mortifères pour ces groupes Mais votre question implique qu'il soit souhaitable de les intégrer à la vie politique "moderne", ce qui est loin d'être évident. Si, pour prendre l'exemple du Brésil, l'Etat avait entrepris une intégration culturelle et politique de ces indiens dans la communauté nationale, cette approche a changé depuis. La politique d'assimilation de ces indiens à la "société nationale" a été un échec relatif dans le sens qu'aujourd'hui, ces indiens sécularisés  sont en marge de la société. Ils vivent dans la pauvreté, et sont généralement très dépendants de l'Etat. 

Cette volonté d'intégration revêtait un caractère à la fois idéologique, où la "modernité" et la "civilisation" étaient, aux yeux de ceux qui promouvaient ces politiques, une voie de progrès pour les indiens, mais aussi économiques. Cela a permis à l'agro-business et aux entreprises d'exploitation minière de s'approprier des territoires.

Mais depuis les années 1980, la constitution brésilienne reconnaît le droit à la différence culturelle pour ces groupes. Cette garantie pour les indiens d'Amazonie se retrouve également au Pérou. Des organismes en charge du respect de leurs territoires comme la FUNAI interdisent dorénavant aux explorateurs, aux chercheurs d'or, aux bûcherons d'aller dans les zones où l'on sait que se trouvent ces groupes. 

Aujourd'hui,  on attend que ce soit les groupes d'indiens qui tentent de prendre contact, souvent pour échapper à la violence de ceux qui envahissent leur territoire. 

Certaines personnalités voudraient les laisser dans l'isolement afin de les protéger: est ce possible aux vues des conquêtes territoriales, et notamment sauvages, et est-ce souhaitable ?

Etant donné l'expérience très négative des contacts, effectivement la politique la plus correcte et respectueuse consiste à d'essayer de ne pas imposer un contact dont on sait qu'il est mortifère non seulement sur le plan des maladies, mais aussi sur le plan culturel et social.

Doit on essayer de consigner leur culture, protéger leur patrimoine en les mettant dans des espaces protégés par exemple, comme ça a pu être fait aux USA avec les Amer-indiens ou  en Australie avec les aborigènes ?

Les exemples de réserves que vous citez n'avaient pas vraiment pour objectif de les protéger, mais plutôt de les confiner et de réduire leurs territoire. Les indiens d’Amérique, les aborigènes, sont passés d'un territoire non délimité à un territoire confiné. Il s'agissait plus d'une politique d'exclusion foncière que de préservation de la culture. 

Mais comme je le disais plus haut, la position officielle du Brésil et du Pérou notamment est de définir des zones où il n'est pas possible de construire ou d'exploiter la forêt.

Dans l'histoire, quels sont les exemples de ces deux tendances qui ont existé et comment peut on aujourd'hui les considérer ?

La politique paternaliste que je décrivais plus tôt s'est traduite dans la réalité et dans le temps long par une dégradation des indiens.

De l'autre côté, il y a un risque à essentialiser l'altérité, le mythe du "Bon sauvage" qui vivrait en symbiose et en harmonie avec la nature, qui correspond à une vision tout à fait romantique de la réalité, pour la consommation d'exotisme des classes moyennes urbaines. Mais à tout prendre, l'écueil de cette démarche est peut-être moins à craindre que l'autre. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !