A la rencontre des Américains, "Yes you can" (2/2) <!-- --> | Atlantico.fr
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A Hartford, dans le Connecticut, Steve Perry se bat pour combattre l'écart de réussite entre Blancs et Noirs.
A Hartford, dans le Connecticut, Steve Perry se bat pour combattre l'écart de réussite entre Blancs et Noirs.
©Reuters

I had a dream

Dans son ouvrage paru le 13 octobre, Louise Couvelaire relate ses rencontres avec de jeunes Américains, incarnations des différentes facettes des Etats-Unis. A Hartford, dans le Connecticut elle rencontre Steve Perry, qui se bat pour combattre l'écart de réussite entre Blancs et Noirs. Extraits (2/2).

Louise Couvelaire

Louise Couvelaire

Louise Couvelaire a été journaliste au Nouvel Observateur pendant plus de dix ans. Elle a également collaboré au Monde 2 et à la revue XXI. En octobre 2008, elle a publié un essai sur la campagne présidentielle américaine, Desperate White House.

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Steve est contrarié, agacé, énervé, furieux même, très en colère, contre l’Amérique, contre son système éducatif public à l’agonie et contre la communauté noire. En même temps, il est étrangement calme. Steve n’est pas vindicatif, il est habité. Habité par sa mission. Alors, il est posé, focused, comme on dit, « concentré » sur sa tâche. « La communauté noire fabrique des voyous. » Ces mots sont écrits dans un livre, Man Up, Nobody is Coming to Save Us ( Soyez un homme, un vrai, personne ne va venir nous sauver ), un livre dont Steve Perry est l’auteur.

Cent cinquante pages pour pointer du doigt ceux de sa « race », les seuls coupables de leur échec. Cent cinquante pages pour fustiger ces mères, à la fois surprotectrices et laxistes, qui fabriquent tous ces futurs pères, démissionnaires et absents, qui se victimisent et désertent au lieu de faire face. Pour accabler ces parents qui ne viennent jamais soutenir leurs enfants qui mouillent leurs maillots. Pour exempter les Blancs de leur responsabilité et accuser les Noirs de ce fiasco communautaire. Fini le temps où les Afro-Américains s’appuyaient sur l’Histoire, l’esclavage et la ségrégation, pour justifier leurs défaillances et légitimer leur mauvais sort. Cent cinquante pages pour dire aux siens : Yes, you can, « Oui, vous le pouvez ». Si vous le décidez. Steve l’a décidé.

Pour lui et pour tous les autres, pour tous ceux qui viennent s’asseoir sur les bancs de son école, la Capital Preparatory Magnet School, un collège et lycée public de Hartford, sa ville natale, dans le Connecticut. Steve Perry l’a créé il y a sept ans. Il en est le proviseur et il n’est pas peu fier de son bilan : 80 % de ses élèves sont afroaméricains et latinos, issus de milieux défavorisés, et 100 % d’entre eux vont à l’université. Chaque année depuis la création de l’école. Du jamais-vu, une performance inouïe dans ce Connecticut où les résultats scolaires des Noirs sont en moyenne trois points en dessous de ceux des Blancs.

Steve n’a pas eu la vie facile. Une mère célibataire, un père alcoolique absent, un HLM de banlieue pauvre, des écoles minables, des profs qui ne croyaient pas en lui, des bagarres, un avenir écrit à sa place, un avenir qu’on lui prédisait noir, comme sa peau. Condamné dès la naissance. « Je suis né le jour du seizième anniversaire de ma mère, raconte-t-il avec un air entendu, comme s’il présentait son certificat d’infortune. Mon père était un ivrogne, mon oncle aussi, on avait la police chez nous tous les week-ends. » Steve a grandi avec le sentiment qu’il était fichu d’avance : « Dans ma famille, la pauvreté se transmet de génération en génération. »

Sa mère était serveuse, il a été élevé par des tantes sans emploi. Enfant, il était mauvais garçon, il a même été renvoyé de son école maternelle. Adolescent, il était guetteur pour le compte d’une bande de cambrioleurs. Il aurait pu se retrouver derrière les barreaux, mais il ne s’est jamais fait prendre. Un coup de chance. Au collège, il était si souvent convoqué dans le bureau du proviseur et si souvent retenu en colle qu’il s’est dit qu’il finirait un jour par se faire enfermer pour de bon. « Je savais que je m’engageais sur une très mauvaise pente, confie-t-il, je devais absolument me sortir de là. » Il ne voit alors qu’une seule issue : les études. « Toute ma famille a laissé tomber l’école, dit-il, ils n’ont rien fait de leur vie, ils sont tous au chômage. » Steve refuse de subir le même sort et décide de s’appliquer en classe.

À sa sortie du lycée, il décroche une bourse, emprunte le reste et s’inscrit à l’université de Rhode Island, en sciences politiques. Il poursuit avec une maîtrise en sciences sociales à l’université de Pennsylvanie, et un doctorat, à Hartford, qu’il finance de sa poche. « Je voulais faire une différence, insiste-t-il. Et je ne voulais vivre ni dans la pauvreté ni dans la violence. » Immunisé par son enfance, Steve ne boit pas. Jamais. Il s’est délesté du poids du passé, du sien, de celui de sa famille et de celui de sa communauté. Aux États-Unis, les chances des Afro- Américains de faire des études universitaires sont inférieures de 12 % à celles de la communauté blanche. Le docteur Perry se bat pour redonner ses lettres de noblesse à l’école publique et combler l’achievement gap, les « écarts de réussite » entre les Blancs et les Noirs. Il se bat pour donner une chance à ses élèves d’échapper, eux aussi, aux statistiques.

Extraits de American Stories : Ils vont changer l'Amérique, Nil ( 13 octobre 2011 )

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