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"John Law, la dette ou comment s'en débarrasser" : quand le niveau des prix était beaucoup plus sensible au dérèglement climatique qu’aux perturbations monétaires
©Bernadett Szabo / Reuters

Bonnes feuilles

John Law ne sera pas seulement crédité d’avoir introduit en France le billet de banque : son Système relevait d’une vision macroéconomique avant la lettre. Plombées par vingt-cinq ans de guerre (1689-1714), les finances publiques de l'Ancien Régime sont exsangues, victimes d’un arbitrage historique en faveur de l’endettement et au détriment de l’impôt. Comme par miracle, le Système proposait un changement de paradigme. Premier banquier central de l’histoire de France, Law se brûla les ailes en actionnant les leviers tout neufs de la création monétaire et du soutien à l’économie. Extraits de "John Law la dette ou comment s'en débarrasser" de Nicolas Buat, aux éditions Les belles lettres (2/2)

Nicolas Buat

Nicolas Buat

Archiviste paléographe, conservateur en chef aux Archives de Paris, Nicolas Buat s’intéresse plus particulièrement à l’histoire économique et sociale de l’Ancien Régime. Il est également coauteur d’un Dictionnaire de paléographie française.

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La hausse des prix à la consommation que l’on reproche au Système ne fut pas le résultat d’une politique délibérée d’inflation. On peut même dire qu’en interdisant l’usage des métaux précieux à partir du 11 mars 1720, Law créa une disette monétaire, faute d’avoir préparé suffisamment de petites coupures pour répondre à la demande. Le caractère inflationniste des mesures prises au printemps 1720 est essentiellement le fait de la décote progressive des billets, phénomène nouveau qui se traduit par l’établissement d’un cours de marché noir inférieur à leur valeur faciale. Encore faut-il préciser que les petites coupures bénéficièrent longtemps d’une prime en raison de leur rareté.

L’aventure du billet de 10 livres exprime la position de Law à l’égard de l’inflation. L’arrêt du 29 décembre 1719 avait innové en ordonnant la création de billets de 10 livres non signés à la main, en simples caractères d’imprimerie. Le grand public allait enfin toucher du doigt ces fameux billets de banque qu’on avait jusqu’à présent émis en coupures de 10 000 et 1 000 livres, accessoirement 100 livres et moins pour faire l’appoint, ce qui en limitait l’usage aux hommes d’affaires ou aux agents du Trésor royal. Avec ces nouveaux billets, dont la quantité promettait d’être « si grande qu’il n’était pas possible de suffire aux signatures », selon les termes de l’arrêt qui en autorisait l’impression sans paraphe, le risque inflationniste devenait palpable.

Au moment de l’assemblée générale de la Compagnie du 22 février, Law voulut cependant montrer qu’il récusait toute politique de facilité monétaire et suspendit la fabrication des petites coupures. Les billets seraient désormais réservés aux paiements de plus de cent livres, les transactions d’un montant plus faible étant effectuées en espèces. Pour cette raison les billets de 10 livres devaient être retirés de la circulation dans un délai de deux mois.

Quelques semaines plus tard, le 28 mars 1720, il fut décidé, par une autre volte-face, d’émettre de nouveau des billets de 10 livres. Ce n’était pas pour autant le début de l’inflation que Law avait refusé d’assumer jusqu’alors. En juin 1720, ces petites coupures atteignaient seulement 12 % de l’encours total, soit 286 millions. Cela représentait le quart de l’ancienne circulation métallique, or et argent confondus, ou bien l’équivalent d’un billet de 10 livres par habitant du royaume. Cela n’était pas suffisant, loin de là, pour provoquer une hyperinflation. Quand on imagina plus tard de bâtonner les billets de 100 livres pour les transformer en billets de 10 livres, Law avait choisi le chemin inverse, celui de la déflation monétaire.

On se demande donc à quoi pense Saint-Simon quand il parle d’une inflation qui sextupla le prix des marchandises, ainsi que d’une augmentation générale des salaires. Pourtant le sentiment de l’homme de la rue ne devait pas être très éloigné du sien. En un temps où le pain constituait la base de l’alimentation, la mercuriale du marché de Rosay-en-Brie montre par exemple que le prix du blé connut ces années-là une hausse brutale. Mais le Système ne doit pas servir de bouc émissaire, compte tenu de la canicule de 1718 et de la sécheresse aggravée de 1719, où les précipitations accusèrent un déficit de 50 % en Île-de- France. Beaucoup de rivières étaient à sec, ce qui renchérissait le coût des transports et aggravait les difficultés du commerce. On releva encore près de 36 °C à Paris au mois de juillet. Cette année 1719 connut également une surmortalité de 75 %, du fait de la chaleur et de la baisse de la qualité de l’eau, qui provoquèrent de nombreuses dysenteries.

Dans une économie aussi tributaire de l’agriculture, le niveau des prix était beaucoup plus sensible au dérèglement climatique qu’aux perturbations monétaires. C’est ainsi que le prix du setier de blé doubla entre 1718 et 1720, tandis que celui de l’avoine était multiplié par trois ou quatre. Le foin manqua, le bétail en souffrit à son tour et le prix de la viande s’envola. Heureusement la récolte de 1720 fut bonne et la catastrophe fut évitée, sauf à Marseille où la peste fit irruption au mois d’août.

L’économie du Système subit ces excès plutôt qu’elle ne les suscita, comme le montre une vue plus large. Les dix ans qui s’écoulent entre 1718 et 1727 furent des années de cherté et d’excès climatique. Les pluies excessives de 1725 aboutirent même à une disette marquée. Après un record atteint en octobre 1725 à 43 sols par setier, au lieu de 14 en octobre 1718, le blé resta cher jusqu’en 1727. Entre 1733 et 1735, années d’abondance, il retrouva un prix inférieur à la moyenne, entre 8 et 10 sols, comparable à celui des années 1715 à 1718.

L’occasion n’était cependant que trop belle pour le Parlement, qui s’inquiéta ouvertement de la hausse des prix. Dès le 16 janvier il y consacra ses audiences et fit comparaître devant lui les principaux officiers et le prévôt des marchands. Mais la sécheresse fut la principale accusée des débats.

Le conflit avec la monarchie rebondit au sujet du taux des rentes qui faisait toute l’inquiétude des possédants. Le 17 avril, le Parlement envoya une députation au roi pour présenter ses remontrances contre l’édit du 10 avril réduisant toutes les rentes au denier 50, conformément à l’objectif des 2 % que Law s’était assigné comme taux directeur de l’économie. Law parachevait par une mesure déflationniste le mouvement de désendettement de l’économie dont ses partisans lui faisaient mérite.

C’en était trop pour le Parlement. Il dressa un tableau pathétique des rentiers qui s’étaient déjà vu rembourser une partie de leur capital en papier, « essuyant plus de rigueurs en six mois de paix qu’ils n’en avaient souffert pendant vingt années de guerre ». Cette fois ils allaient voir leur revenu diminué de 60 % alors que le prix des biens de première nécessité ne cessait d’augmenter. C’était ruiner les familles françaises et les épargnants au profit des spéculateurs et des dissipateurs, sans aucun bénéfice pour le roi. Ces remontrances n’ayant pas le succès escompté, le Parlement s’assembla à nouveau le 22 avril où il résolut de ne pas enregistrer l’édit. Le Régent passa outre.

Extraits de "John Law la dette ou comment s'en débarrasser" de Nicolas Buat, aux éditions Les belles lettres, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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