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Envie de sexe ? Non merci... Quand le tabou ultime d'une société "obsédée" n'est plus là où on l'aurait attendu
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Régime sec

Une application du nom de Whisper permet aux individus rejetant ou ayant peur de l'intimité d'échanger et de partager leur peur de la sexualité. Phénomène troublant dans une société considérée comme libérée et hyper-sexualisée.

Sylvain Mimoun

Sylvain Mimoun

Sylvain Mimoun est gynécologue, andrologue, psychosomaticien. Il est directeur du Centre d'andrologie de l'hôpital Cochin à Paris; Il est également chroniqueur radio et TV, notamment au Journal de la santé (France 5) où il tient la rubrique "Questions sexo".

Il est l'auteur de "La masturbation rend sourd : 300 idées reçues sur la sexualité " aux éditions First.

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Atlantico : Le rejet de la sexualité est-il phénomène nouveau ? N'est-ce pas en opposition directe avec une société où la liberté sexuelle est de plus en revendiquée et mise-en-avant ?

Sylvain Mimoun : Le rejet de la sexualité n'est pas un phénomène nouveau, il a toujours plus ou moins existé. Selon les siècles, la perception de la sexualité varie, elle est plus ou moins rejetée. On alterne entre des périodes de laxisme et des périodes d'interdits.

Ainsi, cela n'a rien de nouveau mais la société l'ayant banalisé, le rejet de la sexualité peut, en apparence, surprendre. Pourtant dans les faits, dès que l'on ouvre une porte au libéralisme, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un courant opposé apparaisse.

D'ailleurs, la société n'est peut-être pas si laxiste, ce sont les médias qui transmettent cette illusion. Notamment, par le biais de films montrant une sexualité très libérée. Les médias en font une norme ce qui n'est pas le cas. Toutefois, il est indéniable que la population est à présent plus confortable avec ce type de livres, films. A titre d'exemple, des films tels que Love ou Nymphomaniac démontrent un plus large laxisme : ils sont largement regardés, on en parle souvent mais ce type d'attitude n'est pas non plus banalisé dans la réalité.

Lorsque certaines personnes revendiquent leur peur de l'acte sexuel, et se retrouvent au sein d'associations ou sur des applications telles que Whisper, ils forment en fait des sortes de sectes. Ils se rapprochent, cherchent à se protéger et aussi éventuellement à étendre leur influence. On ne peut, cependant, nier qu'il demeure une forme d'opposition entre ces deux sociétés –une libre et une plus cloisonnée- avec un nouveau modèle naissant.

D'où vient cette phobie du rapport sexuel ? Est-ce directement en réaction à une société qui a banalisé la sexualité ?

La peur de sexualité dépend de l'histoire de chacun et de notre éducation. Il y a toujours eu chez les enfants et leurs ainés une phobie, une peur de toucher les organes sexuels et qui existe chez tout le monde.

Cette "maladie" peut donner lieu à une peur de l'intimité, chacun à sa limite et sa frontière. On peut avoir peur d'être un peu déshabillé ou d'être complètement nu, de se toucher… Si l'on ne peut jamais adopter ces attitudes, ce comportement névrotique devient alors pathologique s'il est permanent puisque l'on s'écarte alors de la norme. A chaque degré il y a des peurs de plus en plus prégnantes.

Ce peut-être en réaction à une société qui a banalisé la sexualité mais pas forcément. On peut également considérer que la sexualité a toujours été un problème pour certaines personnes. Ce qui est certain, c'est que la parole libre, ouverte et facile d'accès à ce sujet peut effrayer les personnes moins à l'aise avec l'intimité. Cette parole étant partout, dans toutes les émissions de télé, journaux… Ces personnes-là ont l'impression qu'elles ne peuvent plus se barricader nulle part. C'est de là qu'est né l'intérêt de vouloir rajouter un rempart de sécurité en créant des associations, des applications telles que Whisper...

Peut-on parler d'une pathologie ? Est-ce la résultante d'un manque de plaisir ou ce problème est-il plus profond ? Peut-on y voir un lien avec la recherche de performance dominante dans la société actuelle ?

Au stade actuel, puisque cela reste peu répandu, on ne peut pas employer le terme de pathologie.  En revanche, si cette attitude se diffuse, on pourra parler de pathologie.

Le manque de plaisir peut certes favoriser cette forme de peur, ce dégout de la sexualité. Si on se représente le sexe comme un acte effrayant, en résultera un isolement. Alors qu'il aura l'impression de se protéger, en adoptant cette attitude l'individu se fragilisera. Le plaisir est le meilleur antidote à la gêne, or lorsqu'il manque on s'enferme dans la crainte, le rejet, le dégout. Ceci pouvant mener à se priver de tous types de sexualité.

Cependant, ces personnes ne sont pas opposées au rapport affectif et tendre, mais rejettent tout ce qui est en "dessous de la ceinture". Elles veulent de la tendresse et non du sexe, elles peuvent être très cocooning. Elles veulent bien se nicher dans les bras de l'autre mais s'arrête aux "comportements intrusifs".

Il peut y avoir une relation entre une société qui fait de la performance en tout genre le graal suprême et un certain rejet de la sexualité. Si la société demande beaucoup d'efforts à une personne et qu'elle est épuisée, elle peut ainsi rejeter la sexualité. C'est pour elle une façon d'abandonner une exigence sociétale. Ces individus vivent la sexualité comme un envahissement de leur intimité.

En exposant de plus en plus les asexuels ou tout individus qui craint la sexualité dans les médias, ne court-on pas le risque dans faire des "bêtes de foire", de les pointer du doigt ?

Globalement, jusqu'à présent on ne va pas jusqu'à faire de ces êtres des bêtes de foire. On ne les pointe pas du doigt, on ne s'en moque pas. On essaye de ne pas les juger, ce qui ne veut pas dire qu'individuellement on ne le fait pas.

C'est vrai que l'on peut parfois mettre ces individus de côté notamment en considérant ce comportement comme étant particulier mais il n'est pas mal vécu socialement parlant. On n'oserait dire que c'est anormal puisque la société autorise tous types d'êtres en étant laxiste avec tout le monde.

Enfin, dans un futur lointain, et si ce phénomène prend de l'ampleur, peut-on imaginer un retour en arrière, c'est-à-dire une société au sein de laquelle la sexualité et non son absence serait taboue ?

Bien sûr, un retour en arrière quant à la liberté sexuelle est un vrai risque. Le danger de chaque libération, c'est qu'il soit ensuite suivi, plus tard, par un pas en arrière, une interdiction du comportement qui avait pu être auparavant accepté.

A un moment donné celui qui en sort toujours gagnant c'est "l'interdit". Il y a de nombreux siècles d'interdiction des pratiques sexuelles derrière nous, il est ainsi plus facile de revenir à ce que la société maîtrise parfaitement bien. Il y a une sorte de boucle entre trop de libertés et trop d'interdits qui oscille en permanence. 

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