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Quand les jeunes gardiens de la paix s’assoient (gentiment) sur le Code de déontologie pour critiquer (vertement) la hiérarchie policière
©Reuters

Exclusif

Quel est l’état d’esprit des jeunes recrues de la police à l’égard de la déontologie ? De la presse ? Du racisme ? De la hiérarchie policière ? Comment sont perçues les relations police-population ? Dans un rapport qui risque de faire du bruit publié sous l’égide du ministère de l’Intérieur, qu’Atlantico a pu lire en exclusivité, une équipe animée par Sébastien Roché, fin connaisseur de la sociologie policière, apporte des réponses. Décapantes.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Atlantico a eu connaissance d’un rapport confidentiel d’une centaine de pages, qui s’interroge sur la perception qu’ont les jeunes gardiens de la paix de la déontologie et de l’éthique.
  • Publié sous l’égide d’un chercheur renommé, Sébastien Roché, ce document pêche sur un point : il ne dit pas si les gardiens ou élèves gardiens de la paix sont des anciens adjoints de sécurité (ADS).
  • Cette réserve faite, le rapport, effectué dans des conditions sérieuses, montre que les futurs gardiens de la paix n’ont pas toujours confiance dans le Code de déontologie et mettent souvent en cause la hiérarchie policière… Ce qui est surprenant de la part de jeunes n’ayant pas encore été en poste en commissariat
  • Malgré l’embellie liée aux attentats terroristes de janvier dernier, les gardiens de la paix déplorent toujours un manque de reconnaissance de la population, qui, en prime les accusent de racisme ou de brutalité…
  • … Ce que les intéressés, dans leur ensemble contestent. Ainsi, ce témoignage : "Il n’y a pas de traitement différent. Je ne fais pas de différence entre un noir, un jaune…Il fait une connerie. C’est pareil pour tous"

La déontologie fait-elle partie du vade mecum du policier ? Est-elle vraiment entrée dans les mœurs ? Le citoyen a-t-il le sentiment que ce dernier fait de la déontologie un des axes prioritaires de son action quotidienne ? Quel comportement le policier doit-il adopter lors d’une interpellation ? Le policier a-t-il conscience d’être un citoyen comme les autres, soucieux de respecter les lois de la République ? Le policier est-il suffisamment formé pour faire face à des situations délicates ? Comment réagit-il aux accusations de racisme ? Telles sont les questions auxquelles a tenté de répondre un rapport d’une centaine de pages écrit sous l’égide du Ministère de l’Intérieur et piloté par Sébastien Roché,* directeur de recherches au CNRS. Atlantico, qui a pu lire en exclusivité ce document, en livre ici les points les plus importants. Ce document, intitulé "Etude sociologique relative à l’éthique professionnelle des jeunes gardiens de la paix", ne concerne que la base policière, autrement dit les jeunes gardiens de la paix, qui sortent de l’école de police, avant d’affronter le terrain. Autrement dit, les fonctionnaires qui auront un contact, tantôt sympathique, détendu avec la population, tantôt conflictuel, voire un peu plus, lorsque se dérouleront des affrontements comme ceux qui ont eu lieu, lors de la Fête nationale, aux Ulis, à Epinay, à Paris (Porte de Saint-Cloud) etc…

Premier constat : la notion de déontologie dans la police est désormais intégrée dans le paysage européen… Certes, quelques pays comme la Turquie, se font parfois sévèrement rappeler à l’ordre par la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg, mais dans l’ensemble, les libertés publiques sont largement respectées, même si de temps à autre, lors de manifestations d’altermondialistes en Europe ou d’écologistes, la police est montrée du doigt. Une chose est sûre en tout cas : depuis 1986, en France, la déontologie est étroitement liée à l’action policière. De plus, bon nombre de rapports, depuis quelques années, ne cessent de faire des suggestions afin d’améliorer les relations police-population. C’est ce qu’ont fait deux membres de l’IGPN, les commissaires divisionnaires Sylvie Feucher- aujourd’hui préfète déléguée à l’Egalité des chances dans le Val d’Oise- et Pascal Gérard à l’occasion d’une enquête menée en 2013. Parmi leurs recommandations : former les policiers en zone difficile, lutter contre le sentiment d’impuissance du fonctionnaire en l’impliquant dans la vie du territoire dans lequel il travaille, lancer une étude sur le parcours professionnel des policiers issus des minorités, engager une réflexion sur la formation des formateurs et sur leur rôle, faire naître une culture d’entreprise dans les commissariats etc… Des propositions de qualité… Sauf qu’en ces temps de restriction budgétaire, elles ont du mal à être mises en place.

Cette réserve faite, la hiérarchie ne ménage pas ses efforts pour que les "standards de comportement" soient respectés par les gardiens de la paix. Et ça marche. L’intransigeance répétée, à chaque fois qu’est relevé un manquement à la déontologie, a des effets positifs : la preuve, de 2011 à 2012, les sanctions par les conseils de disciplines ont baissé de 14,4%, passant de 499 à 421. Est-ce surprenant ? Pas tant que cela. En effet, selon le rapport, les jeunes, dans l’ensemble, avec quelques bémols, ont une assez bonne perception de l’importance et du rôle du Code de déontologie. Encore que l’estimation de son utilité peut varier. Et leurs auteurs de constater : "Il est soit considéré comme indispensable, car posant un certain nombre de bases et de principes, soit comme assez superflu ; non parce que les agents le considèrent inopérant, mais au contraire parce qu’ils jugent que les règles qu’il contient sont tout simplement des règles de bon sens, qu’ils appliqueraient de toute façon, de façon spontanée." En voici l’illustration, via deux points antagonistes. Ainsi, cet élève de l’Ecole de police de Nîmes déclare : "Le Code de déontologie, c’est quelque chose qui met tout le monde sur le même piédestal. On a tous une éducation différente. La déontologie, c’est ce qu’on doit tous être, ce sont nos traits communs." Son collègue, gardien de la paix en poste depuis 6 mois à la Direction de la sécurité publique des Yvelines, se montre d’un avis radicalement opposé: "Je comprends que dans toute profession, il faut un code. Après, notre code est un peu chez les bisounours. Si on veut l’appliquer de A à Z, il nous reste plus grand’chose. C’est plus du travail de politicien qui se dédouane de toute bavure policière. L’application concrète, c’est impossible. On est trop poussé au vif, à l’excès. Ca délimite trop notre action." Bref, plus l’ancienneté du policier grandit, plus il est confronté aux exigences du terrain, et plus la déontologie a du mal à être respectée… Pour un peu, elle est rangée aux oubliettes. Eloquent, à cet égard, est le témoignage de ce gardien de la paix affecté récemment dans un commissariat de police : "Le Code de déontologie ? (long soupir). Qu’est-ce que j’en ai retenu ? Je ne sais plus trop de quoi ça parle. Je me souviens du vouvoiement, mais c’est dur à respecter, surtout face à une personne violente. Hier j’ai eu une interpellation, le mec nous insultait, il résistait, je ne peux pas le vouvoyer. Le code est élaboré par des personnes qui sont dans les bureaux et ne connaissent pas le terrain. En tout cas, la hiérarchie ne nous en parle jamais."

Au premier abord, ces réponses pourraient inciter au pessimisme. Eh bien, pas du tout... Simplement, ces gardiens de la paix frais et émoulus de l’école se montrent pragmatiques. Ils savent ce qui est toléré, permis ou ce qui ne l’est pas. Il est significatif, par exemple, que 90% des agents interrogés lors des entretiens collectifs estiment que l’emploi de la force est injustifié quand il s’agit d’obtenir des aveux. Tout comme ils admettent parfaitement que la corruption est intolérable. Que les attitudes de "cow boy" ne sont pas de mise. Ou que la perte de sang-froid ou les propos discriminatoires sont incompatibles avec l’arsenal du bon gardien de la paix.

Tout au long de cette étude, se dégage une constante : la valorisation permanente des aspects traditionnels du métier de policier, que ce soit l’application de la loi et l’interpellation des délinquants qui en sont les deux facettes symboliques. Les policiers sont quasi unanimes sur un point : "La capacité d’analyse à chaud quand on est sous pression "constitue la principale qualité du policier. Voici un exemple fourni par un gardien de la paix en poste depuis six mois dans les Yvelines : "Au château de Versailles, on a été appelé pour un colis suspect. Nous n’étions que deux stagiaires en patrouille. Il a fallu qu’on décide vite sur ce qu’on devait faire. Alors, on a décidé d’évacuer le château."

Respect de la déontologie, sang-froid lors de situations difficiles, dégoût pour la corruption, le gardien de la paix n’oublie pas qu’il travaille en équipe. Et que le corollaire logique a pour nom : solidarité. Effectivement, écrit l’étude, "la solidarité passe avant tout, pour la propre sécurité du fonctionnaire, par le maintien des relations amicales dans le groupe". C’est ce que constate cet élève gardien de l’Ecole de police de Sens : "Le mec d’à côté, il peut me sauver la vie, on le sait très bien." Son collègue, quant à lui, n’hésite pas à mettre en cause la hiérarchie : "On nous inculque des valeurs fondamentales, mais en fait, on se rend compte que ce n’est pas hyper important sur le terrain, surtout de la part de la hiérarchie qui ne respecte pas forcément ces valeurs." Vlan ! Une estocade qui devrait faire réfléchir les commissaires. D’où ce commentaire écrit noir sur blanc : "La perception d’un encadrement "peu éthique" a certainement un effet sur l’attribution de valeur aux principes déontologiques. Il y aurait un double discours de l’organisation policière qui brandit des normes et des valeurs d’une part, mais ne s’en soucie finalement pas tant que cela, d’autre part."

A côté de l’amertume à l’égard de la hiérarchie, en surgit une autre, mais cette fois à l’égard de la population. Le gardien de la paix a le sentiment de devoir toujours se justifier. Il n’a pas à le faire. En effet, il incarne la loi et la République, fait son métier, et ne devrait pas voir son action entravée ou contestée verbalement. Ecoutons ce que dit cet élève gardien de l’Ecole de police de Nîmes : "le délit d’outrage ou de rébellion est dur à appliquer. On représente l’Etat, aussi, quand on insulte un policier, on insulte l’ Etat." Evidemment, le principal de point de crispation se situe du côté de la justice… Cette justice qui jette systématiquement en pâture les policiers, alors que les citoyens font ce qu’ils veulent sans jamais faire l’objet de poursuites. Une vision peut-être un peu schématique, mais bien réelle. Glissons évidemment sur les critiques répétées, les caricatures faites de la politique pénale de Christiane Taubira sur laquelle le rapport reste totalement muet…. Mais devait-il y faire allusion ? En tout cas, les commentaires des élèves gardiens résument parfaitement le climat. Ecoutons cet élève de l’Ecole de police de Nîmes : "La justice ne suit pas derrière. Les types dealent comme des fous et ils obtiennent un sursis : ils avaient la larme à l’œil, ils ont dit qu’ils voulaient être boulangers."  Enfin, le rapport revient sur deux points qui font souvent débat au sein de la police. D’abord, la discrimination vis-à-vis des minorités. Un débat récurrent. Que n’entend-on ! La police est raciste. Elle interpelle toujours les mêmes. Allez faire un tour dans les cités, vous verrez que ce n’est pas un fantasme. Sur le sujet, deux types de réponses apparaissent 1- C’est faux, la police traite indifféremment les individus. "Je ne fais pas de différence entre un noir, un jaune…Il a fait une connerie, c’est pareil pour nous" martèle cet élève gardien de Nîmes. 2- Les contrôles se font uniquement sur le comportement de la personne concernée. Comment ne pas penser aux jeunes Roumaines qui déambulent du côté de la Tour Eiffel ? Justification d’un gardien de la paix de la préfecture de police, récemment titularisé : "Une groupe de Roumaines sous la Tour Eiffel, je vais forcément les contrôler. On sait pertinemment qu’elles ne font pas de tourisme. C’est peut-être du faciès mais aussi du discernement." Autre commentaire : "Si on prend les chiffres, c’est souvent des basanés. Qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, c’est parce qu’ils font des conneries qu’on les interpelle." Pourtant, au cours de l’enquête, quelques gardiens de la paix ne se sont pas privés pour dire qu’il existait parfois une atmosphère raciste véhiculée par certains collègues…

Enfin, les médias…Le constat est quasi unanime. Après le feu de paille, qui a duré "deux semaines", lié à l’attitude exemplaire et courageuse de la police lors des attentats de janvier dernier, l’empathie à l’égard des forces de l’ordre est retombée. Témoin, ce témoignage : "On s’est focalisé sur les journalistes qui se sont fait tuer, mais le flic ou le pauvre agent d’entretien, tout le monde s’en fout." Désolé, cher élève gardien de la paix ! Mais sur ce point, vous n’avez ni regardé la télévision, ni lu les journaux, ni vu votre Ministre Bernard Cazeneuve rendre hommages aux forces de l’ordre. Mais surtout, ce qui horripile, c’est la propension de certains individus à filmer les autorités policières lors d’interpellations. Or, les films qui en ressortent, sont souvent retirés de leur contexte…de façon à accabler la police… Il n'empêche. Dans l'ensemble, souligne Philippe Capon, le secrétaire général de l' UNSA-Police, l'équipe de Sébastien Roché a fait un excellent travail. " Peut-être, confie-t-il  que l'étude aurait-elle dû insister davantage  sur l'origine géographique des jeunes policiers venus de province vers Paris et souvent déroutés dans leur nouvelle vie  personnelle et professionnelle." A propos du code  de déontologie en vigueur depuis 2014 aussi bien pour la police que pour la gendarmerie, Philippe Capon  déplore que l'administration n'ait pas suffisamment  fait oeuvre de pédagogie pour en expliquer les impératifs.  Enfin, sur le sujet crucial des rapports entre police et population, le secrétaire général de l' UNSA-Police juge qu'un authentique rapprochement ne sera possible qu'à deux conditions: 1- que la politique du chiffre soit abandonnée 2- que le citoyen comprenne toujours pourquoi il est contrôlé et, le cas échéant, verbalisé. "Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a sur son bureau cette étude pilotée par Sébastien Roché. Malgré un emploi chargé dû à la mobilisation policière contre le terrorisme, il a sans doute pensé, à sa lecture, que faire œuvre de pédagogie chez les jeunes recrues de la police devenait aussi urgent qu’impératif. Va-t-il lancer, pour l’automne un programme en ce sens ? Beaucoup, parmi l’encadrement, ne sont pas loin de l’espérer.

*Avec Romain Maneveau, référent technique, consultant ; Mathieu Zagrodzki, chercheur consultant ; Anaïs L’hévéder, consultante

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