Épidémie, climat, changements de goûts... le vin français dans tous ses états<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
La consommation mondiale de vin augmente plus vite aujourd'hui que la production.
La consommation mondiale de vin augmente plus vite aujourd'hui que la production.
©Reuters

Ami, lève ton verre !

Symbole de la France à l'international, le vignoble national fait aujourd'hui face à une série de mutations qui le forcent à s'adapter. Mais face au dérèglement climatique ou à la concurrence, le vin français a encore de solides arguments dans un monde où la demande est supérieure à la production.

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 200 000 abonnés.

Voir la bio »

Atlantico : La France est le premier pays producteur de vin au monde, avec 16% de la production mondiale. Un fait qui, récemment, n'a pas empêché deux députés -Catherine Quéré et Jean-Marie Sermier- de s'inquiéter des maladies touchant la vigne française actuellement. Selon leur rapport, les maladies du bois auraient rendu 13% du vignoble français improductif en 15 ans. Le vin français fait-il face aujourd'hui à une catastrophe sanitaire qui pourrait le mettre en péril ?

Fabrizio Bucella : Ces questions sont en effet importantes et, à ma connaissance, c'est la première fois qu'il y a un rapport formel qui lui est dédié à l'Assemblée nationale.

Les maladies du bois sont assez anciennes - on se souvient du dépérissement de la Syrah. Pour autant, et malgré les recherches de l'INRA, elles sont présentes aujourd'hui dans le vignoble sans qu'on ait de remèdes efficaces. On a, en France, un vignoble relativement ancien selon le principe de la vigne pérenne, qui a bénéficié également d'une sélection très pointue réalisée au fil des années afin d'avoir un matériel végétal à la récolte qui serait le meilleur possible ou avec des rendements plus importants. Or, certains pensent que cette sélection aurait affaibli le patrimoine génétique de la vigne, la rendant plus sensible à diverses attaques, dont on peut décrire les symptômes mais dont ne sait pas toujours ce qui les provoque. L'exemple du dépérissement de la Syrah est parlant car les scientifiques n'ont pas de réponses sur les causes de cette maladie. On pouvait mettre en place des stratégies défensives pour la prévenir mais elles n'étaient pas efficaces à 100%, l'antidote n'existant pas.

Autre fait d'actualité brûlant : la canicule. Avec le réchauffement climatique, les raisins ont tendance à produire plus de sucre. Ce dérèglement menace-t-il la stabilité de la production française ?

Bien sûr. Dans le dernier numéro de la Revue des œnologues, on trouvait d'ailleurs un important dossier sur le dérèglement climatique. Il s'agit là, avec le point précédemment évoqué, des deux thèmes suscitant le plus de craintes quant à l'avenir du vignoble en France.

Cette idée très noble, et presque exclusivement française, de terroir, c'est-à-dire cette adaptation particulière d'un cépage ou d'un type de cépage à un territoire délimité doté de pratiques culturelles et œnologiques qui lui sont propres, risque d'être en partie ébranlée par une remontée importante des températures. Certains vignobles possèdent plus de facultés d'adaptation que d'autres, notamment ceux du Sud qui grâce à leur encépagement multiple ont plus de capacité à absorber une petite augmentation de température. Sur ces derniers il est possible de jouer avec une palette de cépages dans l'assemblage final. Par contre le vignoble bourguignon, construit à 100% sur le pinot noir pour le vin rouge, pourra être mis en difficulté beaucoup plus rapidement par une variation de la température. Cependant, certaines expériences sont lancées pour prévenir ce phénomène. Dans le vignoble bordelais, l'INRA plante des cépages résistants, cela signifie que si un vignoble comme celui-là s'ouvre à de nouveaux cépages, le problème n'est pas anodin.

Au-delà du changement climatique qui modifiera, sûrement, en partie le goût des vins, un autre problème va faire son apparition dans les années qui viennent : la bataille de l'eau. Je pense à des zones tels que le Languedoc ou le Roussillon, où l'on va se retrouver de plus en plus avec des températures chaudes, parfois extrêmes, renforçant la volonté d'irriguer. Or c'est une pratique interdite en France, permise seulement en cas de stress hydrique. La question va se poser de façon de plus en plus pressement en France, c'est un vrai débat, même s'il est moins connu du grand public que celui du réchauffement climatique. Si certaines régions du Sud du pays souhaitent toujours produire du vin, et que les tendances météo continuent, on sera obligé d'irriguer, et il y aura un vrai souci politique et collectif concernant la façon d'organiser l'apport d'eau.

Concernant la stabilité du produit fini, certains concurrents sont devenus redoutables : la Californie, le Chili ou l'Australie, dont les vins inondent les marchés asiatiques et américains. Quel manque à gagner représentent ces nouveaux producteurs pour la France ?

D'un point de vue global, la France a toujours ce qu'on appelle "le primât de l'Histoire", boire du vin français reste "la" référence, on ne peut pas discuter cela. Le vignoble français a été en partie restructuré, notamment grâce à des aides européennes, on se retrouve avec une production qui s'est segmentée sur les différents marchés : elle n'est plus à 100% quantitative mais a beaucoup misé sur la qualité. Certes, la concurrence des vins du Nouveau-Monde oblige les viticulteurs français à toujours faire plus et mieux, ce qui n’est pas négatif. Après, il est clair que la production hexagonale trouve son marché. Si on regarde dans le détail, certains vignobles ou certaines appellations peuvent être mis en difficulté par les vignobles de ce Nouveau-Monde. Cependant ces derniers existent depuis un certain temps et je n'ai pas l'impression qu'on assiste actuellement à une rupture par rapport aux années précédentes. Fondamentalement, si on prend les chiffres de l'OIG, la consommation mondiale de vin augmente plus vite aujourd'hui que la production. S'il n'y aura pas vraiment de pénurie, on consomme globalement plus de vin qu'on en consommait hier et la production ne suit pas. Il y a donc toujours des débouchés pour les vins français. Mais le salut viendra toujours de la qualité. Même les anciens "vins de pays", appelés aujourd'hui IGP ("indication géographique protégée"), jouent de plus en plus la charte de la qualité sans que ce soit les mêmes rendements que les vins d'appellation (AOC ou AOP), mais tout de même avec une vraie ligne de force. Le vignoble français se positionne de plus en plus comme qualitatif, même pour les IGP.

Autre pression venant de l'étranger, bien connue et plus ancienne : les guides internationaux et leurs experts, comme Robert Parker. A une époque où l'information est de plus en plus diversifiée, ceux-ci ont-ils toujours un impact sur les ventes des bouteilles de certains domaines à l'international ?

Pour des vins particuliers venant de certaines régions, et là on pense immédiatement aux Bordeaux et surtout à certains châteaux notés, le guide a toujours un impact. Cependant, pour le vin de Bordeaux vendu en vrac pour être reconditionné par des distributeurs ou autres, autrement dit les gros chiffres de la production bordelaise, l'influence de quelqu'un comme Robert Parker ne se sent pas. Notre vision est souvent déformée car on se concentre sur les grands noms des châteaux bordelais, sans avoir la vision agricole, laquelle fait vivre tout un tissu économique et social dans le bordelais qui ne tire pas ses revenus de crus classés ou même de ceux notés par Robert Parker.

En ce qui concerne la diversification de l'information avec les sites internet et les blogs d'amateurs, il est vrai qu'aujourd'hui chacun peut créer son contenu. Mais je pense qu'à la fin, les gens recherchent des informations quelque peu validées, les consommateurs qui recherchent sur Google le nom d'un vin auront tendance à faire confiance à des sites bien référencés ou à des figures connus. C'est un cas similaire aux critiques cinématographique et littéraire, l'arrivée du média internet n'a pas tué les critiques professionnels, mais a mis à côté d'eux une autre vision et une manière de parler. La technique du blog a notamment amené un langage beaucoup plus décontracté, moins compacté, on pourrait même dire plus "cool". Selon moi, cela a fait un bien fou aux vins. Lors des déplacements dans les vignobles aujourd'hui, je vois bien que journalistes comme blogueurs sont traités à égalité avec ou sans carte de presse. Chacun a son public et parfois les publics se confondent.

A côté des experts, les riches consommateurs internationaux, notamment ceux des pays émergents, prisent de plus en plus les bons vins de France. Ce fait a-t-il un impact sur les prix de ces bouteilles ?

Il est certain que les riches consommateurs ont un impact sur le prix de certaines bouteilles. Notamment des grands vins de Bordeaux ou des domaines bourguignons, de la vallée du Rhône ou quelques vins de Loire très connus : il est sûr que sur ces bouteilles, ces consommateurs font varier les prix. Mais je vois de plus en plus une dissociation entre les segments du marché, entre la locomotive, le premier wagon, le deuxième, le troisième et même le quatrième wagon. Les prix des grands crus de Bordeaux ne tirent plus l'ensemble des vins de Bordeaux. Il y a maintenant des vins qui suivent une logique de luxe et qui répondent à tous les codes du produit de luxe, avec le prix qui va avec. Il y a une véritable séparation, et on pourrait même dire qu'aujourd'hui il y a plusieurs trains. Les riches acheteurs influencent seulement certains vins, mais pas le vigneron qui vend son vin en négoce et assoit son portefeuille de clients. Ce dernier est peu influencé par les riches chinois qui achèteront des bouteilles à plus de 1000 euros.

La France reste le premier consommateur au monde en litres de vin par personne et par an. Pourtant il semble que les Français soient aujourd'hui davantage attirés par des vins de bonne qualité. Quel est l'impact du marché intérieur ?

Les grandes lignes de changement de la consommation en France résident d'abord dans les façons de consommer et dans la transmission de ces dernières. Concernant les modes de consommation, on a très peu de consommateurs réguliers qui boiront au moins un verre par jour, contrairement aux générations précédentes. Nos grands-parents ou parents buvaient un verre à midi et aux dîners, c'est maintenant rare. On se retrouve alors avec des consommateurs occasionnels, qui consomment le vin à certaines occasions et pas à d'autres.

L'autre changement, concernant la transmission, découle du fait que les parents ne consomment plus forcément du vin tous les jours. La transmission du savoir consommer et du savoir boire le vin ne se fait donc plus aux enfants à la table familiale. Pourtant, la France, comme l'Italie ou l'Espagne, entretient toujours la communion familiale autour du repas. Il s'agit d'une tradition bien ancrée qui ne connait pas d'éclatement, cependant le vin n'y occupe plus une place quotidienne. Il se retrouve éventuellement lors du repas du dimanche, et dans ce domaine on constate ce manque de transmission du savoir. Personnellement, je m'occupe des enseignements du club œnologique de la faculté à Bruxelles, que je donne devant beaucoup d'étudiants français inscrits en Belgique et qui me disent que leurs parents s'y connaissent en vin mais ne transmettent pas le savoir. Ils souhaitent donc être plus à l'aise pour discuter de cela avec eux lorsqu'ils rentrent à la maison.

La dernière tendance qu'il faut évoquer est l'essor du bio. Il faut avouer que, tout en étant quand même le pays historique du vin, les lignes bougent et on connaît un certain renouveau de la culture et des vins bios liés aux problématiques de santé et d'environnement. Certains disent que c'est un phénomène parisien, cependant le plus grand pourcentage de bio se retrouve dans le Languedoc. Il y a manifestement une voie de salut à explorer par rapport à d'autres concurrents.

En 2018, la consommation de vin représentera 32,78 milliards de bouteilles, contre 31,7 milliards en moyenne entre 2009 et 2013. La production viticole a-t-elle encore de beaux jours devant elle en France ?

J'en suis convaincu. Il s'agit d'un des premiers secteurs de production de richesse nationale pour la France. De toute façon, le secteur est trop important pour qu'il ne s'affaisse, il y a trop d'enjeux économiques. Il faudra donc que la viticulture française, pour elle-même comme pour le pays, ait de beaux jours devant elle. Mais je suis un indécrottable optimiste à ce sujet-là. Chaque fois que je vais dans le vignoble, chez les petits artisans comme dans les châteaux des domaines célèbres, je rencontre des personnes passionnées qui font des produits de plus en plus magnifiques, dans les appellations comme dans les IGP. La viticulture française a tous les atouts pour bouger et les enjeux que nous avons soulignés ensemble sont fondamentalement essentiels, mais il n'y a aucune raison qu'elle n'ait pas les moyens d'amorcer ces virages.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !