Le voisin : "cet animal nuisible" depuis... le Moyen Âge<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Le voisin : "cet animal nuisible" depuis... le Moyen Âge
©

Bonnes feuilles

Le voisin idéal existe-t-il ? Qui aimeriez-vous, ou détesteriez-vous avoir comme voisin ? La voisine fait-elle toujours fantasmer, le voisin n'est-t-il qu'un incorrigible voyeur ? Comment se débarrasser légalement d'un voisin qui vous gâche la vie ? Le voisin, cet «animal nuisible assez proche de l'homme», est partout. Il peut être inoffensif ou pervers, drôle ou tragique, effacé ou envahissant. Mais on est bien obligé de faire avec. Extrait de "Voisins, voisines" de Francisque Oeschger, aux Editions du Rocher (1/2).

Francisque Oeschger

Francisque Oeschger

Francisque Oeschger est journaliste. Il a publié Jacques Fesch, le guillotiné de Dieu (Editions du Rocher).

Voir la bio »

« Si ça continue, j’appelle la police ! » Qui n’a pas été tenté, un soir d’exaspération, de brandir face à ses voisins l’arme suprême, la plainte ? Vu l’encombrement de la justice aujourd’hui, la menace paraît aussi aléatoire que coûteuse.

Le phénomène est loin d’être récent. Dans son livre Vivre en ville au Moyen Âge, l’historien Jean-Pierre Leguay écrit : « Les objets de litige, les sujets de querelle entre voisins, les procès qui durent des années, voire des générations, sont légion […] Un mot est souvent à l’origine de conflits. S’y ajoutent les méfaits de la curiosité, l’absence ou le non-respect des règles de la mitoyenneté et des servitudes collectives, le mal-être que nous appelons maintenant le stress ». À croire que, en dépit de ce que certains appellent le progrès, la société n’a guère changé (édition Jean-Paul Gisserot, 2006).

Pourtant, de nos jours encore, les voisins n’hésitent pas à en appeler aux tribunaux pour des histoires de poules, de coqs, de poulets ou de grenouilles.

« Attendu que la poule est un animal anodin et stupide… »

Parmi les plaintes dont sont saisis les tribunaux, beaucoup concernent des chants de coq intempestifs qui empêchent le voisinage de dormir. L’attendu de la Cour d’appel de Riom, publié par Pascale Robert-Diard dans le blog du journal Le Monde, à la rubrique Chroniques  judiciaires, le 25 février 2007, est un chef-d’oeuvre d’humour.

« Au lieu-dit La Rochette, village de Salledes (Puy-de-Dôme), un conflit de voisinage opposait le sieur Rougier à ses voisins, les époux Roche, propriétaires d’un poulailler que le premier estimait trop proche, trop bruyant et trop malodorant. Saisi de la querelle, le tribunal de Clermont-Ferrand avait donné raison au plaignant et ordonné la destruction dudit poulailler fauteur de trouble. Furieux, les époux Roche ont fait appel de la décision du tribunal devant la cour d’appel de Riom qui leur a donné raison en ces termes :

« Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un oeuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme…»

Par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement, déboute le sieur Rougier de son action et le condamne aux dépens » (Cour d’appel de Riom, 2e chambre civile, 7 septembre 1995).

« Titi » ne chantera plus

Ses voisins reprochaient à Jeannine L., de Moussan, près de Narbonne (Aude), le chant trop matinal de son coq, « Titi ». Le gallinacé ne se contentait pas, comme le Chantecler d’Edmond Rostand, de saluer le soleil levant. Il avait, selon eux, la fâcheuse habitude de chanter la nuit, dès 4 heures du matin.

Certains ont menacé de le castrer, d’autres de l’exécuter à coups de carabine, l’un d’eux prétendait même en faire du coq au vin ! Réponse pleine de bon sens de Jeannine L. : « C’est tout de même pas un délit d’avoir un coq ! Où va la culture rurale ? Les gens qui vivent à la campagne ont des coqs, des ânes, des chiens, des poules… À la campagne, il y a le bruit des vendangeuses, des boules de pétanque, c’est normal ! Dans un village, on vit, ce n’est pas un dortoir » (L’Indépendant).

« Titi » a eu plus de chance que le coq du juge Dandin dont Racine nous dit, dans Les Plaideurs (1668) :

« Il fit couper la tête à son coq, de colère, Pour l’avoir réveillé plus tard qu’à l’ordinaire. »

À notre époque, ce tortionnaire serait envoyé en prison !

Pour éviter le chant intempestif du coq aux aurores, La Ferme de Gaïa, sur son site internet, propose de « lui passer un élastique autour du cou…, mais pas trop serré pour ne pas le blesser ou, pire, couper sa respiration ».

Sage précaution. D’autres prétendent que la meilleure solution consiste, pour faire taire un coq, à lui mettre l’élastique autour du bec. À chacun sa méthode.

Mais, comme le précise à ses voisins un internaute qui a été contraint par décision de justice d’enfermer son coq, « Nénesse », de 20 heures à 8 heures du matin : « Nous sommes désolés de ne pouvoir stopper le bruit des voitures, celui des scooters, de ne pas pouvoir empêcher les enfants de crier, d’éviter que la nuit la chouette hulule, et que les oiseaux sifflent de bon matin… »

À l’impossible, nul n’est tenu.

Ça ne s’invente pas…

« Querelle de voisinage en Indre-et-Loire. Le tribunal d’instance de Chinon a mandaté mardi dernier un expert-géomètre pour démêler une affaire de bornage qui, dans le village de Marigny-Marmande, oppose les époux Voisine à leur voisine Paulette Voisin. Cette dernière souhaite en effet faire démolir un mur, construit par les Voisine, parce qu’elle estime qu’il empiète sur son jardin de quelques centimètres ». Dieu y retrouvera les siens… (La Dernière Heure).

De quoi j’me mêle ?

La querelle de voisinage a défrayé la chronique à Billy-Chavannes (58270) durant près de dix ans. D’un côté Chantal J., 69 ans, une agricultrice qui s’occupe seule de son troupeau de trente-neuf vaches. De l’autre Jacques et

Geneviève D., des retraités qui ont restauré avec goût une vieille maison de famille. Entre les deux, le tas de fumier de Chantal, alimenté chaque jour par la litière de ses bêtes. Incommodé par « l’odeur et les mouches », Jacques D. propose à la cultivatrice, dès 2001, de financer lui-même les travaux de mise aux normes de son tas de fumier. Réplique de l’intéressée, outrée : « Je ne veux pas de gens dans mes pattes. Je ne veux pas qu’il m’aide et qu’il soit maître chez moi ! » En 2008, un arrêté préfectoral donne raison à Jacques D. Chantal est sommée de mettre son fumier aux normes. Mais elle fait de la résistance. Et il faudra attendre l’intervention des tribunaux pour que le tas de fumier de la discorde soit déplacé (Le Parisien).

Extrait de "Voisins, voisines", de Francisque Oeschger, aux Editions du Rocher, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !