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Habile synthèse de d’Artagnan et de Davy Crockett : comment Zorro est devenu un mythe (californien) du western
©Reuters

Bonnes feuilles

Conquête de territoires sauvages et inviolés, lutte sans merci avec les premiers habitants du continent, prestige de la force et de la réussite individuelle, déchaînement récurrent de la violence, mais aussi intransigeance de la loi et glorification des valeurs collectives... Autant de motifs qui façonnent la culture de l'Amérique, cristallisée autour de ce moment fondateur de son histoire que fut la découverte de l'Ouest : une épopée cruelle qui a imprégné notre imaginaire jusqu'à devenir un véritable mythe, dont le cinéma s'empara dès ses débuts. Extrait de "Dictionnaire du western", de Claude Aziza et Jean-Marie Tixier, publié chez Vendémiaire (2/2).

Claude Aziza

Claude Aziza

Claude Aziza est agrégé de Lettres classiques et maître de conférences honoraire de langue et littérature latines à la Sorbonne Nouvelle

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Jean-Marie Tixier

Jean-Marie Tixier

Jean-Marie Tixier est professeur à l'université Montesquieu (Bordeaux 3). Il est spécialiste du western, sur lequel portait sa thèse.

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C’est un homme de la virevolte. Le jour, il danse, grand seigneur raffiné, précieux, efféminé. En habit de brocard, festonné de dentelles, l’éventail à la main, glissant parmi les belles. La nuit, il galope, en brigand bien-aimé, hardi, impétueux. Le visage masqué, le fouet à la main et la lame au fourreau, prête à jaillir soudain; à l’aube, il disparaît, en laissant sur les murs un Z qu’il grave aussi sur le front des parjures. Le peuple crie au héros. On le nomme Renard (en espagnol, zuero). Tout à tour D’Artagnan, Cartouche ou Mandrin, il se veut justicier: c’est son côté Robin des Bois.

Tout commence en 1821. La Californie, une des dernières colonies espagnoles en Amérique, vient d’être rattachée au Mexique mais commence à songer à l’indépendance.

Elle est dirigée par Pablo Vicente Sola, un homme autoritaire, hautain et qui méprise les Californiens. En février 1821, le Mexique, qui change de gouverneur, nomme l’un d’entre eux, Antonio Arguello, ancien commandant du port de San Francisco. Une ère nouvelle commence et l’espoir d’une Californie autonome prend corps, jusqu’en 1825 où Arguello est remplacé par l’incapable José Maria Echendia.

Révolte de la garnison de Monterey, en 1828 ; coup d’État manqué. Bref, le pays entre en dissidence et la nomination du lieutenant-colonel mexicain Manuel Victoria n’arrange pas les choses. Il est rejeté par tous, y compris par les grandes familles qui avaient jusqu’alors soutenu le régime. C’est dans ce contexte qu’éclate, en novembre 1831, une insurrection dirigée par les nobles. Los Angeles et San Diego passent aux mains des insurgés qui libèrent un personnage très populaire. José Maria Avila, emprisonné pour avoir tué en duel le bras droit du gouverneur, le capitaine Romualdo Pacheco. Voici pour l’histoire.

Un siècle plus tard, en 1919, naît la légende. Johnston MacCulley, feuilletoniste au All Story Magazine, imagine, dans Le signe de Capistrano, les aventures de Diego Vega, fils du seigneur de la mission de San Juan Capistrano (située entre San Diego et Santa Barbara), qui, à l’insu de tous, y compris des siens, s’est juré, tel José Maria Avila, de donner la liberté au peuple californien opprimé.
Le succès est foudroyant. À tel point que, un an plus tard, en 1920, Douglas Fairbanks, décidé à se cantonner désormais dans des rôles héroïques et fantasques à la fois, demande à Fred Niblo, le futur metteur en scène de Ben-Hur, de réaliser le premier d’une longue série de films qui comprend une quarantaine de titres : Le Signe de Zorro. «Doug» impose dès lors son style aux interprètes qui suivront: bondissant, cabriolant, le sourire aux lèvres, l’œil de velours, sous le masque noir. En 1925, il récidive avec Don X, fils de Zorro, de Donald Crisp, tout aussi bien accueilli.

Le cinéma d’abord, puis la bande dessinée, vont parfaire le mythe. En 1936 apparaît le premier Zorro parlant et en couleurs (Ray Taylor, Mack V. Wright, Zorro l’indomptable !). L’année suivante, dans le feuilleton Le Retour de Zorro, le petit-fils du justicier rivalise de vitesse sur son cheval, El Rey, avec un train, dans le contexte d’un western traditionnel. Peu à peu, viennent se greffer des personnages désormais familiers. Renaldo, le fidèle serviteur muet, puis, dans la longue série télévisée réalisée par Walt Disney, le sergent Garcia, dont la malice est inversement proportionnelle à l’opulence.

L’intrigue se complique : Zorro va combattre des méchants de tous poils, y compris des cosaques envoyés par le tsar pour empêcher le ralliement de la Californie à l’Union! Mais parfois une nouvelle version nous réserve des surprises. Il en est ainsi du Signe de Zorro, une sympathique et naïve bluette qui réunit, sous la houlette de Mario Caiano, en 1962, deux augustes rejetons. L’un, Sean Flynn, est le fils d’Errol, l’autre, Zorro, est celui de Douglas Fairbanks et de Tyrone Power. Le réalisateur Mario Caiano, né en 1933, avait décidé de repeindre quelques mythes. Il se fait les dents avec un premier film : Ulysse contre Hercule (Mario Caino, 1962). On y voit un Hercule plus paresseux que nature chargé par l’Olympe de capturer cet insolent Ulysse. Le tout, tourné aux Açores dans des décors naturels, ne manque pas de charme. Mario Caiano, qui a rencontré, dans des circonstances qui n’offrent ici que peu d’intérêt, le jeune et beau Sean, fils d’Errol, a décidé, devant sa fougue, son entrain et la plastique irréprochable, de lui confier le rôle de redresseur de torts. Lagardère faisant trop vieille France et Tarzan médiocrement jeune Afrique, le metteur en scène se rabat sur Zorro. D’autant plus que la Californie nous mène à l’Espagne et que vérité au-delà des Pyrénées vaut bien figuration en deçà.

Diego Vega devient, sous la plume des scénaristes, Ramon Martinez y Rayol, fils secret (pour le côté feuilleton) d’un Grand d’Espagne exilé au Mexique (plus coloré que la Californie). Lâchant la chistera pour faire sa pelote, Sean/Ramon organise la révolte. Air connu.
C’est là que commencent les surprises. Certes, les titres français et italien nous parlent de Zorro. Mais celui de la version anglaise est: Duel au Rio Grande (influence fordienne?). Par ailleurs, si le jeune et beau héros virevolte et ferraille, il ne porte qu’en une seule occasion un masque et son serviteur lui rappelle en passant, dans la version française, que désormais il est Zorro.

Quant au fameux «Z», il n’apparaît que sur une pierre et à l’occasion d’un plan bref qui pourrait sortir de n’importe quel film. Bref, seule l’intrigue rappelle vaguement l’histoire canonique. Tout ceci, soit dit en passant, n’ayant aucune importance, on prendra un plaisir enfantin à suivre les cabrioles du jeune Flynn. Les années 1970 le verront, toujours sous le masque, se dépenser sans compter dans les alcôves…

Le mythe est donc resté vivace malgré les outrages du temps. En témoigne une série de 75 épisodes de vingt-six minutes chacun, une coproduction internationale ; un budget de 50 millions de francs pour la seule première série, vendue dans plus de quarante pays ; quatre réalisateurs ; une équipe francoespagnole, des comédiens de toutes les nationalités : un des héros favoris des petits et grands est de retour, Zorro. Certes, on pensait que, après Fred Niblo et Douglas Fairbanks, Ruben Mamoulian et Tyrone Power, Walt Disney et Guy Williams, la succession était lourde, à la fois pour le metteur en scène et pour l’acteur qui oseraient relever le défi. On a osé le faire, honneur donc au courage malheureux, aux vains efforts pour « rafraîchir » (le terme est du responsable de la société française de production) les caractères, aux plates tentatives pour faire entrer le récit dans les canons de la production des séries d’aujourd’hui. En ce qui concerne celle-ci, on peut sans hésitation la qualifier de série Z, Z comme Zorro, bien entendu.

Pour la faiblesse insigne de l’interprétation, à l’exception peut-être du rôle du méchant ; mais surtout pour le véritable contre-sens (par rapport aux films « canoniques ») que de faire de Zorro/Don Diego un bravache de jour comme de nuit, à visage découvert ou masqué. Car ce qui fait la force et la prégnance du personnage, c’est justement la contradiction entre sa lâcheté (ou, si l’on préfère, sa frivolité) le jour et son audace la nuit. C’est que Zorro est placé sous le double signe du jour et de la nuit, du féminin et du masculin, héros à la fois solaire et lunaire. Pourquoi avoir fait du sage et dévoué serviteur muet un adolescent qui a avec le héros une relation de fils à père, alors qu’il faut y voir le contraire (le Rinaldo d’origine remplace le père de Diego, qui renie son fils dont il ne comprend pas la mollesse)?

Mystère encore ou clin d’œil aux jeunes téléspectateurs ?
On passera vite sur le grotesque contresens social qui fait du héros le galant d’une belle cabaretière. Quoi, plus de belle orpheline de noble famille vouant en secret son cœur au vengeur masqué, et répugnant à épouser le pleutre Diego ? Mais – plus grave encore – plus de méchant vraiment méchant! Puisque, dans le deuxième épisode visionné, l’alcade, brute et truand à la fois – avec panache d’ailleurs – devient bon quand il rencontre sous les traits d’une ganache envoyée par le gouvernement de Madrid (encore une hérésie si l’on songe qu’en ce début de XIXe siècle le pouvoir central est à Monterey) encore plus méchant que lui. Le comble de l’incohérence est atteint dans cet épisode où l’on voit le brave sergent Mendoza, ci-devant Garcia, condamné à être pendu, défendu – mollement – par l’alcade et sauvé par Zorro des griffes du brutal et vulgaire colonel Méphisto, au cynisme de Faust sceptique. Faut-il ajouter le décor poussiéreux et fauché d’un site qui évoque les pires westerns, ceux qui sont plus paëlla ou choucroute que spaghetti? Faut-il attirer l’attention sur la niaiserie musicale du générique?

On préfère la nouvelle version des aventures d’un Zorro usé par le poids des ans, Anthony Hopkins, qui va faire l’éducation d’un fougueux épigone, Antonio Banderas (Martin Campbell, Le Masque de Zorro, 1998 et sa suite, La Légende de Zoro, 2005).


Reste, quelles que soient les versions, au cinéma et à la télévision, le mystère de cette immortalité et le succès d’un alerte centenaire (ou presque). Il faut chercher un élément de réponse au croisement de deux genres et de deux cultures. Certes Zorro ressortit
au western : la Californie a fourni au genre bien des paysages célèbres, la thématique développée se retrouve dans bien des avatars, The Lone Ranger, par exemple. Pourtant, derrière le mythe, on découvre le visage – masqué ou découvert – d’autres héros, ces défenseurs de la veuve et de l’opprimé, qui volent aux riches pour donner aux pauvres et qu’on retrouve dans bien de légendaires et folkloriques récits.

Zorro, par ses attributs – le pistolet, mais surtout le fouet (voir Indiana Jones) et l’épée – représente le lien culturel qui unit la jeune Amérique à « l’ancien continent », la synthèse de d’Artagnan et de Davy Crockett. On comprendra aisément que, dans le meltingpot culturel américain, on prenne bien soin de ce nouveau roman de Renard.

Extrait de "Dictionnaire du western", de Claude Aziza et Jean-Marie Tixier, publié chez Vendémaire. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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