Baisse de l'euro : pourquoi elle est beaucoup moins bénéfique que ce que l’on croit sur le commerce extérieur français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le recul de l'euro est une dynamique intéressante pour l'économie française, mais pas pour son potentiel de rééquilibrage de la balance extérieure.
Le recul de l'euro est une dynamique intéressante pour l'économie française, mais pas pour son potentiel de rééquilibrage de la balance extérieure.
©

Cause à effet

Si le recul de l'euro est une dynamique intéressante pour l'économie française, ce n'est pas pour son potentiel de rééquilibrage de la balance extérieure. En effet, celle-ci ne participe que marginalement à la croissance.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico : L'euro continuait de reculer jeudi 16 juillet face au dollar : vers 06H00 GMT (08H00 à Paris), l'euro valait 1,0921 dollar. Quel est le bon niveau de l'euro pour faire repartir l'économie française ?

Mathieu Mucherie : On ne sait pas comment définir une jolie fille, mais on sait la reconnaitre quand elle passe dans la rue. Idem avec les "bons" niveaux de taux de changes nominaux et réels. A 1,6 contre le dollar, tout le monde voyait (à part la BCE, Jean-Marc Daniel et la Bundesbank) qu’il y avait un problème sur le prix de nos actifs et de nos produits, et une japonisation accélérée. A 1,09, ceux qui soutiennent que le QE de la BCE n’a pas d’impact (Daniel Gros, par exemple) sont bien embêtés, car avant la gaffe de Mario Draghi sur le trillion d’euros, nous naviguions plutôt à 1,37, et vue la passivité de Yellen nous pourrions être encore plus haut aujourd’hui. Pour autant, 1,09 ce n’est pas bas : cette année, l’inflation en France moyennera à 0,3%. C’est loin de la cible officielle BCE à 2%/an (cible idiote et infondée, comme tout ce que fait la BCE, mais passons), ce qui montre que notre monnaie n’est pas forte mais chère. Donc nous devrions avoir un euro 20% plus bas pour hâter notre retour à la cible et fortifier le travail de stabilisation des anticipations. A moins que la nouvelle cible d’inflation de la BCE ne soit plutôt située entre 0 et 1%/an.  

Pour faire repartir l’économie française, hélas, mettre fin à un mésalignement de taux de changes est une condition nécessaire, pas suffisante. Nécessaire : comme en 1926, en 1958, en 1992, nous croulons sous une monnaie chère. Pas suffisante : comme en 1926, en 1958 et en 1992, nous avons d’autres boulets (trop de dettes, une classe politique lamentable, des structures économiques sclérosées, etc. Mais notons qu’une dévaluation bien menée aide à mieux soutenir les dettes, et aide à financer les réformes structurelles).       

A noter que depuis 2007, en % du PIB réel (données FMI), les pays européens qui ont gardé une monnaie flexible ont enregistré de bien meilleures performances que les pays à changes fixes, comme ceux de la zone euro ; la Pologne et le Royaume-Uni font 3% de croissance en ce moment quand nous ergotons sur l’euro "bouclier" et sur une croissance à peut-être 1,2%. Quant aux exceptions, ce sont des pays minuscules, et/ou des paradis fiscaux.

Cliquez pour agrandir

Quelle peut être la portée d'une "bonne" parité euro-dollar pour relancer l'économie française ?

Cela va très au-delà du commerce extérieur, ce ghetto de la pensée à propos des taux de changes. Les effets d’une dévaluation ne passeraient pas seulement par la stimulation des exportations, un thème néo-mercantiliste sans intérêt (quoique, vu le temps perdu, et vu notre positionnement en milieu de gamme, cela ne fera pas de mal). Je pense au canal du  prix des actifs, qui est souvent oublié alors même qu’on entend en permanence des complaintes sur la financiarisation de nos sociétés. Je pense aussi à l’interaction avec les taux d’intérêt, qu’une étrange unanimité considère comme "bas" alors qu’ils sont plus hauts que le profil de notre PIB nominal. Je pense surtout à une inflation plus compatible avec la stabilité des prix (au sens même de la BCE) : vouloir faire baisser le chômage quand l’inflation courante est plus basse que l’inflation anticipée, ce n’est pas très sérieux. Les deux précédentes phases de forte montée du chômage (début des années 80 et début des années 90) n’ont pas été bien étudiées ; il faut dire que, si l’on suit les gazettes, le chômage résulte de problèmes de formation et de "confiance". Last but not least, les caisses sont vides pour financer une politique de réformes structurelles (je ne parle pas des mesurettes microscopiques de la loi Macron) : la dévaluation amortie les premiers effets douloureux de ces réformes (cf la Suède du milieu des années 90). Enfin, dans un pays où les questions de redistribution sont importantes, j’aimerais bien qu’on nous dise on va faire semblant de répartir les efforts, alors que les caisses sont vides ? Pour prendre dans la poche des rentiers et des fonctionnaires (dont les revenus sont largement domestiques) et donner aux entrepreneurs (dont les revenus sont largement plus internationalisés), la dévaluation est l’une des dernières options à peu près crédibles.

Pour autant, faut-il vraiment déconsidérer cet indice ? En quoi est-il par ailleurs important pour l'économie française ?

La France ne va pas bien, et son économie ne va guère mieux. Et peut de moins en moins se payer le luxe de conditions monétaires restrictives en euroland (le seul cas grec lui coûte déjà cher, et ce n’est pas terminé). Pour se limiter aux seuls intérêts hexagonaux immédiats et chiffrables, une fois que l’on tient compte des charges et si l’on raisonne en "architecture ouverte", nos travailleurs sont chers, notre immobilier est cher, tous nos actifs sont chers : si l’on souhaitait les rendre plus attractifs, et libérer leur potentiel, en bref leur donner une chance, il faudrait les libeller dans une monnaie moins chère. Seulement pour cela il faudrait soit que la BCE double son programme de QE en intensité ou en durée (peu probable même après septembre 2016 : les allemands veillent), soit qu’elle accepte enfin des taux plus négatifs sur la partie courte (sa facilité de dépôt est à -0,2%, il faudrait imiter les suisses ou les scandinaves, aller plus loin en négativité : mais cela ne plait pas du tout aux compagnies d’assurance en Allemagne qui ont promis du 3 ou du 4%). A court terme, il y a plus de chance de me voir faire un don à la FIFA. La France va donc continuer avec des parités de changes qui ne lui conviennent guère, comme d’ailleurs la plupart des pays de la zone euro pour des raisons diverses. Comme nous sommes loin des proportions atteintes en Grèce, et comme presque personne ne parle de ces questions en France, les déséquilibres vont continuer à se renforcer tranquillement sous le radar politique et médiatique ; un peu comme pour une bombe à neutrons. Et les rapports administratifs sur la désindustrialisation s’empileront hypocritement à Bercy et à Matignon. Nous ne pouvons même pas espérer que les américains, et à la suite de la FED de nombreux autres pays, fassent de lourdes erreurs de politique monétaire, en particulier des hausses de taux d’intérêt à contre-courant du cycle mondial peu folichon que nous traversons, pour entrainer l’euro vers le bas en dépit des résistances de la BCE : d’une part c’est peu probable (eux ont appris des erreurs de 2008 et de 2011 de la BCE…), et d’autre part il ne faut pas, dans une économie mondialisée, se réjouir des erreurs des autres, car elles nous atteignent ensuite à coup sûr.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !