Gilles-Jean Portejoie, "Les nuits blanches d'une robe noire" : les mémoires décapantes d’un avocat-star<!-- --> | Atlantico.fr
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L’avocat Gilles-Jean Portejoie évoque les grandes affaires qu’il a eues à traiter.
L’avocat Gilles-Jean Portejoie évoque les grandes affaires qu’il a eues à traiter.
©Reuters

Confessions judiciaires

Dans un livre qui vient de paraître, l’avocat Gilles-Jean Portejoie évoque les grandes affaires qu’il a eues à traiter. De la mort de Lolo Ferrari aux ennuis qu’on a voulu faire à Michel Charasse, en passant par une mésaventure quasiment inconnue survenue au quintuple vainqueur du Tour de France, Jacques Anquetil. Portejoie nous parle aussi de la nouvelle loi destinée à lutter contre le terrorisme, ou de la disparition éventuelle du juge d’instruction. De Sarkozy et de Mitterrand : "Deux hommes guère éloignés l’un de l’autre et capables de dépasser les clivages politiques." Déconcertant !

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Gilles Gaetner : Vous défendez Sid Ahmed Ghlam, soupçonné d’avoir voulu commettre un attentat dans une église au nom de l’Islam et d’avoir assassiné, le 19 avril 2015, Aurélie Châtelain à Villejuif. Dans le climat actuel, est-ce que l’avocat que vous êtes ne se trouve pas mal à l’aise ?

Gilles-Jean Portejoie : Tout d’abord, je me dois de vous faire remarquer qu’un avocat n’a pas vocation à épouser les actes commis par son client. L’avocat a pour mission, de comprendre, d’expliquer. L’opinion, surtout dans les affaires dramatiques fortement médiatisées ( actes terroristes, crimes d’enfants, actes de barbarie) a tendance à croire que l’avocat et son client seraient liés par une sorte de complicité. C’est évidemment faux. Votre question, pardonnez –moi de vous le dire, frise la désobligeance. C’est l’honneur d’un avocat d’assumer l’impopularité qui pourrait naître de son engagement auprès de son client. Aussi, je vous le dis avec force, si j’avais été mal à l’aise, j’aurai refusé de défendre Sid Ahmed Ghlam. Dois-je vous rappeler que ce dernier conteste l’intégralité des faits qui lui sont reprochés ?

Justement, est-ce que vous avez le sentiment que la loi sur le renseignement qui vient d’être votée permet de lutter plus efficacement contre le terrorisme ?

Pour moi, il n’ y a aucun doute : dans la période que nous vivons actuellement, -comment pourrait-on oublier les attentats de janvier dernier ébranlé trois jours durant notre pays et bouleversé le monde entier- cette loi était nécessaire. Pour la première fois, en effet, un texte définit, encadre les missions des différents services de renseignement qu’il s’agisse principalement de la DGSI, du TRACFIN ou de la DGSE pour ce qui concerne l’extérieur. Pour autant, ne nous voilons pas la face : cette loi comporte des risques liberticides comme l’ont souligné bon nombre de députés de droite comme de gauche lors des débats à l’ Assemblée nationale. Je ne suis pas loin de penser comme le juge antiterroriste Marc Trévidic, parfait connaisseur du terrorisme moyen-oriental, qui hélas ! va bientôt quitter son poste, que « les nouveaux dispositifs légaux confèrent un pouvoir exorbitant à l’exécutif et mettent hors jeu le système judiciaire », ce qui sera contre productif en matière de lutte contre le terrorisme

Venons- en à votre itinéraire politique. Vous avez été de nombreuses années membre du PS, proche de François Mitterrand et maintenant vous voici proche de Nicolas Sarkzoy. Surprenant, non ?

Je vais vous étonner : pas du tout. Bien évidemment, ne serait-ce que par la différence d’âge et le fait que le premier a connu le pouvoir dès la Libération, le second, une quarantaine d’années plus tard, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy ne sont pas, à mes yeux, si éloignés que cela. Tous deux ont eu –ont- cette volonté permanente d’ouvrir et de dépasser les clivages de toute nature. Auriez-vous oublié qu’en mai 1988, à peine élu pour un second mandat, que Mitterrand, nommant Michel Rocard Premier ministre fit entrer au gouvernement des centristes et que Nicolas Sarkozy, élu en mai 2007, pratiquera lui aussi l’ouverture, en nommant des ministres de gauche, comme Jean-Marie Bockel qui avait été dans le passé ministre de … François Mitterrand ? De même, Mitterrand et Sarkozy préfèrent prendre le risque d’une réforme mal conduite plutôt que de se résoudre à l’immobilisme sclérosant. En conclusion, je dirai que tous deux sont des hommes libres, des «  briseurs de moule. » Avec une même formation d’avocat qui place l’homme au centre des préoccupations.

Dans votre livre qui vient de paraître « Les nuits blanches d’une robe noire » ( avec Joseph Vebret, Editions du Moment), vous consacrez de longs passages à Michel Charasse, pittoresque personnage de la Mitterrandie. Vous l’avez défendu…

Oui, à de multiples reprises. J’ai pu constater que Charasse est un homme qui réagit au quart de tour sitôt que quelqu’un porte atteinte à son honneur et à sa considération. Ce que ne font pas certains hommes politiques qui se sont fixés pour ligne de conduite de ne jamais intervenir. Une telle attitude n’est pas dans ses gènes. C’est comme cela. Sur le plan judiciaire, avec lui, la règle du jeu est claire et nette : on touche, on abîme, et il réagit immédiatement. Je me souviens du bras de fer qu’il a engagé contre le célèbre capitaine Barril , ancien patron du GIGN, qui, dans un livre intitulé « Guerres secrètes à l’ Elysée » remettait en cause le suicide de François de Grossouvre, conseiller de Mitterrand à l’ Elysée. Dans l’ouvrage, de nombreux passages étaient incontestablement diffamatoires à l’égard de Charasse. Lequel saisira la justice. Quelques jours avant le début du procès, l’avocat de Barril, Jacques Vergès me propose une transaction. Charasse s’y oppose. Puis finalement accepte. Je me souviens aussi d’un autre bras de fer qui fit du bruit à l’époque. En 1999, la juge Laurence Vichnievsky, qui enquêtait sur un bureau d’études présumé, lié au PC voulait entendre trois anciens ministres du Budget, Henri Emmanuelli, Nicolas Sarkozy et Michel Charasse. Objet de la convocation : s’expliquer sur les redressements fiscaux qu’ils auraient infligés à ce bureau d’études. Réaction immédiate de Charasse : il ne se rendra pas à la convocation de la magistrate, l’action des ministres ne relevant que de la Cour de Justice de la République. Cela, en raison de la séparation des pouvoirs. Les jours passèrent. Jusqu’ à ce qu’on apprenne que la magistrate souhaitait, comme la loi le prévoit pour tout témoin qui ne se rend pas à une convocation d’un juge, lui infliger une amende de 10 000 francs. Or, dans ce cas, le magistrat devient autorité de poursuite et autorité de jugement. Inacceptable pour l’ancien ministre du Budget qui s’apprêtait à saisir la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Tout finira bien, puisque les dirigeants du bureau d’études seront relaxés. L’audition de mon client devenait alors inutile. Tel est Michel Charasse : intraitable lorsqu’il s’agit des principes fondateurs de la République. Comment pourrais-je lui donner tort ?

A côté de la politique, vous avez été le conseil d’Eric Vigne, accusé d’avoir tué son épouse, la célèbre Lolo Ferrari. L’affaire eut un grand retentissement. Racontez.

Cette histoire m’a beaucoup marqué car elle illustre, ce que nous voyons trop souvent à l’occasion d’instructions judiciaires : une personne victime de la présomption de culpabilité alors qu’elle devrait bénéficier de la présomption d’innocence. Je vous rappelle les faits, fortement médiatisés à la fin des années 90. Une jeune femme, de son vrai nom Eve Geneviève Aline Valois, plus connue dans les gazettes sous le surnom de Lolo Ferrari, affiche une ambition : devenir une espèce de Pamela Anderson. Aussi se fait-elle refaire le nez, subit un lifting complet, se fait gonfler les seins- ils pèseront 2,8 kilos chacun-. C’est ainsi que pendant quelques années, elle se produit dans des cabarets de striptease, chante et apparait dans quelques films disons pornographiques. Mais Lolo Ferrari est mal dans sa peau. Il lui est impossible de dormir normalement en raison de son physique… Jusqu’à ce qu’un dimanche de mars 2000, elle est retrouvée sans vie à son domicile de Grasse par son mari Eric Vigne âgé de 16 ans de plus qu’elle. Sa mort connait un immense retentissement médiatique. Dès le 4 avril 2000, une information judiciaire est ouverte contre X pour non-assistance en danger. Les experts concluent très vite à une mort par absorption massive de substances toxiques, survenue entre 6 et 10 heures du matin. Reste une question clé : Lolo Ferrari a-t-elle ingéré volontairement ou non, ces substances ? Du côté de la famille de la victime, on soupçonne très vite Eric Vigne que l’on hait. Celui-ci se défend et explique que sa femme était dépressive. Qu’elle se serait rendue elle-même aux pompes funèbres pour organiser ses obsèques. Eléments troublants. Il n’empêche. Le 7 juin, Eric Vigne qui nie avoir tué son épouse est placé en garde à vue. Le 27 février 2002, il est mis en détention provisoire. Les mois passent. Vigne me demande d’être son avocat. Je me bats pour prouver son innocence d’autant que les expertises ne prouvent rien du tout. A de nombreuses reprises, je demande sa mise en liberté provisoire. En vain. Jusqu’à ce qu’en avril 2003, il soit libéré. La fin du calvaire approche. Le 24 mai 2007, Eric Vigne obtient enfin un non-lieu. Il aura fallu batailler sept ans et plus d’un an de prison pour en arriver là. A titre d’indemnisation, il obtiendra 30 000 euros. Une misère !

Vous évoquez aussi une affaire quasiment inconnue à ce jour : celle qui concerne les deux grands champions cyclistes, Raphaël Géminiani et Jacques Anquetil. Voilà qui intéressera les passionnés du Tour de France qui a lieu en ce moment. De quoi s’agit-il ?

C’est une histoire très ancienne puisqu’elle démarre le 27 septembre 1967 pour se terminer trente ans plus tard ! En cet automne 67, Jacques Anquetil, quintuple vainqueur du Tour de France, accompagné de son entraineur Raphaël Géminiani, ancien champion, s’attaque, dans l’enceinte du célèbre Vigorelli de Milan, au record du monde de l’heure. Un record détenu par Roger Rivière depuis 1958 avec 47,347 kilomètres. Anquetil s’élance. Au bout d’une heure de course, après un effort ahurissant, il bat le record : 47,493 kilomètres. Quelques minutes plus tard, arrive le docteur Marena, mandaté par la Fédération italienne, pour recueillir les urines d’Anquetil dans le cadre du contrôle antidopage. Le champion, qui se trouve dans un petit local, sans aucune intimité, ne parvient pas à satisfaire au contrôle. Géminiani s’emporte face aux conditions du contrôle. Anquetil garde son calme. Le docteur, lui s’en va. Deux heures plus tard, une fois douché, réhydraté, le champion et son directeur sportif souhaitent effectuer le contrôle. Un médecin, qui n’est pas mandaté ,refuse d’agir. Finalement, de retour en France, Anquetil peut se soumettre au prélèvement auprès de son médecin traitant. Le champion s’explique devant la presse sur l’incident de Milan et raconte que le médecin aurait du comprendre qu’après un tel effort, les voies urinaires peuvent être bloquées. Quelques jours plus tard, coup de théâtre des poursuites sont engagées contre les deux hommes par l’Union cycliste internationale (UCI). La sanction tombe : Anquetil est privé de son record de l’heure tandis que son entraineur se voit suspendu pour un an de ses fonctions. 30 ans plus tard eh oui, à la demande de Géminiani, j’assigne l’Union cycliste devant le Tribunal de Clermont-Ferrand en lui réclamant 10 millions de francs de dommages-et-intérêts en arguant que jamais Anquetil et Géminiani n’ont voulu se soustraire au contrôle antidopage. Et que le docteur Marena avait commis une faute en ne rédigeant pas de procès-verbal de refus. Si le procès fut perdu, j’aurai une satisfaction : celle de voir l’ Union cycliste internationale nous tendre la main pour engager des négociations. Certes, elles n’aboutirent pas, mais c’était la preuve de sa mauvaise conscience et que ni Géminiani ni le regretté Jacques Anquetil n’avaient eu tort. Pour la petite histoire, le record d’Anquetil ne tint qu’un mois…Il sera battu le 30 octobre 1967 par le belge Ferdinand Bracke

Un mot sur le juge d’instruction dont on parle beaucoup en ce moment avec les jugements dans les affaires Bettencourt et Strauss-Kahn. Etes- vous favorable à sa disparition ?

Lorsque j’étais membre du comité Léger[chargé de réfléchir à une modernisation de la procédure pénale, mis en place en 2009 par Nicolas Sarkozy] j’étais favorable à la suppression du juge d’instruction. Pour autant, ce chantier, malgré ce que vous venez de soulever sur les reproches que l’on peut faire à cet « homme le plus puissant de France» , comme le qualifiait Balzac, n’est plus d’actualité. Ne nous lançons pas dans des réformes que nous ne parviendrons pas à mener à bien. Ce n’est plus « d’un big bang » salvateur dont la justice a besoin, mais d’une pause. Une vraie. Durable, de surcroît. Arrêtons de légiférer à tout va dans un souci de rapiéçage permanent, généralement négocié sous le coup de l’émotion et laissons les magistrats travailler souverainement. Avec de vrais moyens. Ce qui est loin d’être le cas. C’est à mes yeux ce qu’il convient de faire pour réconcilier enfin le pays avec sa justice. C’est même impératif.

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