Cette gauche qui voit la Grèce comme la dernière chance pour François Hollande de sauver son quinquennat<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande à l'occasion de reprendre la main sur le dossier grec.
François Hollande à l'occasion de reprendre la main sur le dossier grec.
©Reuters

Heure de vérité

Alors que le "non" au référendum grec se traduit par beaucoup comme l'échec de la gestion allemande de la crise, François Hollande pourrait désormais reprendre la main sur le dossier et marquer des points dans son camp.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Depuis le début de la crise grecque, François Hollande semble toujours être un pas derrière une Angela Merkel moteur des négociations. Celle-ci ayant échoué, voilà le président français en première ligne. Est-ce son heure de vérité ? Est-ce pour lui l’occasion de révéler les talents de négociateur que certains lui attribuent ?

Christelle Bertrand : Les proches de François Hollande ont souvent juré que ses talents de négociateur étaient sous-estimés et qu’il peut être redoutable sous des airs bonhommes, grâce à ses airs bonhommes justement. Tous en veulent pour preuve son habileté de premier secrétaire. Lorsqu’il était à la tête du parti socialiste, il n’y avait pas meilleur que lui pour désamorcer les conflits et faire avancer les choses. Il a su, notamment, recoller les morceaux après la crise aigüe du référendum sur la constitution européenne. Tiraillé entre partisans du oui et nonistes qui n’ont jamais accepté leur défaite lors du vote interne, le parti aurait pu exploser après la victoire du non dans les urnes. François Hollande a su retisser les liens et permettre au parti socialiste de surmonter cette épreuve. On voit que dans la crise grecque, François Hollande croit beaucoup en ses capacités de négociateur mais Angela Merkel et Alexis Tsipras ne sont pas les Laurent Fabius et Arnaud Montebourg de l’époque. Et on voit que François Hollande a déjà du nuancer ses positions. En 2002, peu de temps après son élection, il affirmait : "ma responsabilité, c’est aussi d’adresser un message aux Grecs. (Ils) doivent savoir que nous viendrons vers eux avec des mesures de croissance". On est loin du compte.

Jean Petaux : Au sein de son parti, je ne suis pas sûr que le traitement du dossier grec soit essentiel.Le PS, comme les autres partis politiques, est un mort-vivant dont la parole collective est de plus en plus démonétisée. Tentons, plutôt, d’évaluer le bénéfice potentiel que peut tirer François Hollande de la séquence actuelle auprès des Français en général, autrement dit auprès des électeurs de 2017. Au risque de me tromper j’aurais tendance à considérer que le "cas grec" n’intéresse absolument pas les Français ou, plus précisément, s’il les intéresse comme une sorte de feuilleton récurrent au scénario confus et mal écrit, il n’aura qu’une très faible influence dans leur comportement électoral ou dans le jugement sur François Hollande. De ce fait, que ce dernier reprenne la main ; reste "à la remorque" de Madame Merkel ; soit un facilitateur ou un médiateur ; ou, qu’au contraire, il ne pèse en rien dans le règlement de la crise, tout cela n’a que peu de conséquences en politique intérieure me semble-t-il.

Pour qu’un événement ou un "temps de jeu politique" ait un impact sur l’opinion il faut qu’il y ait une dramatisation, une spectacularisation, une montée en puissance de l’émotion de sorte que chacun se sente concerné par ce qu’il voit, ce qu’il entend et surtout ce que disent les gouvernants et le premier d’entre eux, en France, le président de la République. Dans le cas qui nous intéresse il n’y aucun des ingrédients d’une dramaturgie.. Au contraire le scénario est très mal "ficelé". Cela fait des semaines qu’on nous parle du "sommet de la dernière chance", de "l’ultime conseil européen", de "l’heure de vérité" à moins que ce ne soit "l’heure des choix"… Et en guise de rebondissement on nous ressort l’éternel : "Mais ce n’est pas fini… Ils vont se revoir". De quoi lasser le spectateur le plus assidu de cette tragi-comédie grecque….

Dans ces conditions, malgré son talent et son savoir-faire, la tâche est ardue pour le président de la République de tirer un quelconque avantage politique d’une situation qui se caractérise par une double qualité : elle est difficilement déchiffrable (de par la complexité du dossier) et elle est improbablement impliquante (de par la situation de la Grèce).

Va-t-il pouvoir continuer à la jouer low profil ?

Christelle Bertrand : S’il l’a fait jusqu’ici c’est parce que c’est ainsi qu’il est parvenu à un accord avec la Chancelière sur l’union bancaire qui est entrée en vigueur le 4 novembre 2014. Il peut donc continuer mais il passerait à côté d’une occasion d’assoir son leadership en Europe. Face à Alexis Tsipras et à Angela Merkel, une troisième voix semble nécessaire. Une voie médiane qui réconcilierait les deux camps. On sent bien que cette crise est très incarnée, par des personnalités fortes :  la chancelière Allemande, Mario Draghi, Alexis Tsipras, Yanis Varoufakis. Ca n’est pas une crise de diplomates qui négocient à pas feutrés mais une crise politique. Chacun, dans son camp, tente d’écrire une histoire, son histoire. S’il continue à faire low profil, François Hollande réussira peut-être à faire aboutir les négociations mais il n’aura pas gagné la bataille politique.  Car la politique c’est aussi l’art de la parole, l’art de convaincre de la justesse de ses positions, c’est ce qu’Angela Merkel pour les uns et Alexis Tsipras pour les autres réussissent à merveille.

La situation n’est-elle pas plus compliquée pour François Hollande qui compte dans son propre parti de fervents soutiens d’Alexis Tsipras comme les frondeurs qui sont même allés manifester à Athènes ?

Christelle Bertrand : En effet, le peuple grec est à 60% derrière son leader, Angela Merkel est soutenue par une majorité d’Allemands, François Hollande, lui, compte plus d’ennemis que de soutiens. Les français le regardent avec circonspection. A l’intérieur même de son propre parti, les frondeurs ont jusqu’ici critiqué l’attitude du couple franco-Allemand et ne sont pas prêts à soutenir un bras de fer avec Alexis Tsipras. François Hollande est sans doute conscient que la France, à la place de la Grèce, aurait sans doute voté non et qu’une grande partie des français comprennent le vote grec. Sa position est donc complexe car il ne peut pas tourner le dos à la politique d’austérité prônée par la chancelière au risque de faire exploser le couple franco-allemand, il ne peut pas non plus adopter totalement cette ligne qu’il sait impopulaire chez ses électeurs.

Jean Petaux : Les "frondeurs" ont bien fait d’aller à Athènes… C’est une très jolie capitale, chargée d’histoire… Que leur déplacement ait un quelconque impact sur les décisions de François Hollande et sur ses choix, c’est tout une autre histoire !

S’il réussit à sortir l’Europe et la Grèce de la crise que peut-il attendre comme retombées au niveau national ? Et s’il échoue, est-ce que ce sera dramatique pour lui sur la scène intérieure ?

Christelle Bertrand : Si François Hollande réussit là où Angela Merkel a échoué il en tirera des bénéfices au niveau national. Alors qu’une majorité de français ont aujourd’hui moins confiance en lui, pour sortir de la crise, que dans la chancelière allemande, il pourrait gagner un peu de crédit. Transformer ce profil d’homme un peu mou en homme suffisamment rond pour réconcilier tout le monde ce qui pourrait lui donner un bouffée d’air dans les sondages. En revanche s’il échoue, il va avoir du mal à rebondir. D’autant que rien, en politique intérieure, ni la courbe du chômage, ni la croissance, ne peut lui donner l’espoir que l’amélioration qu’il appelle de ses vœux depuis le début du quinquennat intervienne.

Jean Petaux : Dans les deux cas, je l’ai déjà dit, il me semble que les conséquences seront très réduites et que l’impact sera amorti. Prenons l’exemple de Nicolas Sarkozy au cours du précédent quinquennat à travers deux situations de politique internationale. La première est celle qui se rapporte au conflit russo-géorgien et à la médiation que Nicolas Sarkozy a menée en tant que "président de l’UE" (les événements ont eu lieu sous la "présidence française"). Nicolas Sarkozy a répété comme un mantra, lors de la campagne présidentielle de 2012 qu’il avait évité la guerre en Europe en intervenant directement auprès de Vladimir Poutine. Peu importe que cela procède d’un story-telling de plus ou que cela soit réellement advenu. Ce que l’on constate c’est que cela a été très peu impactant auprès de l’opinion publique française. Même chose à propos de la crise financière mondiale… Là aussi Nicolas Sarkozy s’est agité dans tous les sens. Il a convoqué le ban et l’arrière-ban des photographes et des observateurs à chacune de ses conférences de presse au cours desquelles il racontait ses échanges avec Barack Obama, comment il avait sauvé la planète financière et autres grands exploits. On peut donc considérer que la "mise en intrigue" de cette séquence "crise monétaire mondiale" a été très bien conduite. Résultats : en dehors de ceux acquis à Sarkozy : aucun Français n’a mis au crédit du président d’alors son investissement dans ce dossier.

Si François Hollande échoue (à condition que toutes les règles de ce jeu soient admises par toutes et par tous et que les acteurs s’accordent sur ce que signifie gagner ou perdre dans ce type de "match") son échec confortera ses détracteurs qui le considèrent déjà comme un looser. S’il réussit personne ne lui en saura gré en revanche.

Une partie des frondeurs notamment dramatise l’enjeu au niveau politique et font désormais peser la responsabilité d’un Grexit sur les épaules de François Hollande. Pourquoi ?

Christelle Bertrand : En effet, on a notamment entendu Emmanuel Maurel, répéter à longueur d’interviews, que François Hollande devait passer d'une attitude mezzo voce à "une position de négociateur offensif".  Les frondeurs le poussent à s’engager clairement et personnellement. Sans doute présagent-ils d’un échec des négociations.  Si la Grèce sort de l’euro, ils auront ainsi beau jeu de pointer du doigt l’échec d’un président déjà plombé dans les sondages dans l’espoir, de moins en moins secret, de le forcer à renoncer à sa candidature en 2017. A contrario, si la Grèce reste finalement dans la zone euro, Hollande en sortira certes grandit mais Alexis Tsipras aura aussi gagné et ceux qui le soutiennent avec lui.

Jean Petaux : Sans doute parce qu’une partie des "frondeurs" n’a pas renoncé à changer de candidat pour le PS en 2017. Sans doute aussi parce que ces mêmes acteurs politiques se refusent à cautionner la politique conduite par l’Allemagne, entrainant (disent-ils) un gouvernement française dans la surenchère libérale de l’orthodoxie financière. Plus probablement enfin parce que ces mêmes frondeurs, héritiers revendiqués d’une gauche romanesque et romantique ont trouvé en Tsipras et en Syriza un nouveau Fidel et un nouveau Cuba, un nouvel Allende et un nouveau Chili et j’en passe et des meilleurs comme Chavez et le Venezuela.   On touche-là à des "morceaux de la vraie croix socialiste". Donc, pour certains, le François Hollande peu sensible à toute  cette patrologie d’un PS profondément internationaliste à défaut d’être prolétarien, incarne le méchant techno européophile méchant à l’égard de ces pauvres Grecs dans la misère…

Si François Hollande réussit à trouver une porte de sortie à la crise, les Français lui en seront-ils reconnaissants en 2017 ?

Christelle Bertrand : C’est loin d’être évident. C’est une victoire internationale. Certes les français ont été longtemps reconnaissants à Jacques Chirac et Dominique de Villepin d’avoir refusé l’engrenage qui a entrainé les Etats-Unis et la Grande Bretagne dans la guerre du Golfe, mais cette fois les enjeux sont plus éloignées. Il ne s’agit pas d’engager sa propre armée. Le sort de la Grèce n’impactera pas directement les français. Si un succès des négociations améliorera l’image de François Hollande auprès des électeurs, lui permettant sans doute de ne pas être contesté comme candidat du PS en 2017, elle ne lui assurera en rien la victoire.

Jean Petaux : Oui si cette porte de sortie débouche sur la création d’un million d’emplois en France… Vous me direz : quel est le rapport ? Justement il n’y en a pas. Autrement dit ce qui va se passer avec une éventuelle sortie de crise (par le haut et non par une nouvelle crise qui s’ajouterait  à une autre crise) n’ayant pas d’effets positifs objectivables à court et moyen terme pour les Français, la conséquence politique de ces événements sera peu importante.

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