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Pourquoi il est quasi-impossible de retrouver vos souvenirs d’avant vos 3 ans
©Reuters

Trou noir

Les souvenirs d'avant les 3 ans sont souvent difficiles à se remémorer, voire inexistants. A cet âge, le cerveau les encode de manière différente, la faute à un langage non-maîtrisé.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : La plupart des adultes ne se souviennent pas ou très peu de leurs souvenirs d'avant leurs 3 ans. Que deviennent les souvenirs de cette période là ? 

Jean-Paul Mialet : Ce n’est pas parce qu’ "on ne se souvient pas" qu’on n’a pas de souvenir. Se souvenir, c’est récupérer la trace qu’a laissé un événement dans notre disque dur cérébral. On peut ne pas récupérer la trace bien qu’elle soit présente. Pour récupérer la trace et l’évoquer en pleine conscience comme un souvenir, il faut qu’elle puisse être exprimée dans le langage de la conscience, c’est à dire dans le langage verbal. Or avant 3 ans, la conscience est en construction et le langage, qui se développe depuis l’âge de 18 mois, reste pauvre. Les évènements vécus sont donc stockés sous une forme inaccessible et l’on conclut: je ne me souviens pas. Il se peut néanmoins que les traces se réveillent dans un contexte propice et qu’elles influencent des formes d’expression non verbale.

La thèse freudienne faisait de la pauvreté des souvenirs avant 3 ans une conséquence du "refoulement" de désirs oedipiens coupables pour le parent du sexe opposé. Mais le blocage actif de la remémoration par une émotion négative n’a jamais été démontré scientifiquement. Ce mécanisme paraît peu plausible pour expliquer l’ensemble du phénomène et il n’a au mieux qu’un rôle contributif.

Notre cerveau n'est-il tout simplement pas encore capable de stocker autant de souvenirs ? Si non, comment les "encode-t-il" ? 

Notre cerveau semble en fait avoir une capacité de stockage illimitée. Des stimulations cérébrales lors d’interventions de neurochirurgie cérébrale déclenchent parfois le revécu de scènes très précises que l’on croyait totalement oubliées. Ainsi, on pense aujourd’hui que l’oubli n’est pas une disparition de la trace mais une absence de rappel soit par confusion entre traces proches qui interfèrent, soit par lacunes du codage rendant la trace inaccessible. Le souvenir de l’événement vécu est en effet codé selon les différentes dimensions sensorielles de sa présentation physique (les cinq sens peuvent être concernés, notamment olfactif – parfum - et gustatif – voir la madeleine de Proust) et selon des dimensions plus complexes : la signification (codage sémantique), les associations contextuelles et la charge émotionnelle.

Quel rôle vient jouer la maîtrise du langage dans l'expression et la mémorisation des souvenirs ? 

Le souvenir pour être exprimé à autrui doit être transcrit en langage. La madeleine de Proust est le souvenir d’une sensation qui fait resurgir un contexte auquel le narrateur consacre de longues pages.  C’est l’exemple même d’un vécu transcrit en des mots qui nous touchent parce qu’ils expriment des ressentis qui nous sont communs : mais à l’inverse de Proust, ce que nous connaissons, ce ne sont que des "impressions", des images, des bruits et des émotions confuses que nous ne faisons pas l’effort de ramener à la surface de la conscience en les capturant dans le filet du langage. Un souvenir acquis après la période pré-verbale sera le plus souvent verbalisé et donc plus aisément exprimable en mots, verbalisable.

La mémoire se développe-t-elle uniquement à la faveur d'évènements marquants ? 

Est marquant ce qui a un impact profond, c’est à dire ce qui a une résonnance émotionnelle ou affective. Y  a-t-il des évènements totalement neutres ? Parler d’ "événement", c’est déjà désigner un inattendu et indiquer une surprise, même s’l ne s’agit que d’événement simple. Mais l’inattendu peut toucher plus ou moins profondément : si le train Paris-Brest a un retard ce jour, nous ne le retiendrons que parce que ce retard nous touche dans un projet personnel. Cet imprévu sera modeste au regard de cet autre souvenir que représente le jour où nous avons appris un événement important chez des proches, agréable ou désagréable. La mémoire est donc facilitée par l’impact émotionnel : selon le degré de l’écho personnel que provoque l’événement nous aurons plus ou moins d’effort à faire pour nous en souvenir. Il se pourrait toutefois qu’au delà d’un certain niveau émotionnel l’encodage soit brouillé et le souvenir plus difficile à reconstituer. Mais la mémorisation fait surtout appel à la répétition : rappelons nous les leçons de nos manuels scolaires et nos récitations de poésies. En dehors d’évènements profondément marquants qui se retiennent spontanément, la mémoire se développe donc par un exercice qui s’appuie sur la motivation de retenir, d’inscrire en soi certaines informations jugées importantes.

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