L’Europe, nouvelle périphérie du monde émergent ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Europe accuse de plus en plus de retard sur les pays émergents.
L'Europe accuse de plus en plus de retard sur les pays émergents.
©Reuters

L'arroseur arrosé

Une tribune de Joël Ruet, économiste, chercheur CNRS au CEPN (Centre d'économie de Paris-Nord) et associé au programme Gouvernance mondiale de l'Iddri.

Joël Ruet

Joël Ruet

Joël Ruet est économiste, chercheur CNRS au Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique. Il a enseigné à l'École des Mines de Paris, à HEC-Paris, à l’université Jawaharlal Nehru (New Delhi, Inde). Joël Ruet a fondé le think tank, The Bridge Tank membre du Think20 du G20 et contribue à ses travaux sur le changement climatique et la finance verte. Spécialiste de l’émergence notamment en Inde, en Chine et en Afrique, ses travaux portent sur la recomposition industrielle et l’économie politique du capitalisme.

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Une certaine Europe, chamailleuse, est exaspérante. Qu’il faille du débat pour réinventer le projet européen se comprend. Que les enjeux d’une coordination des politiques économiques appellent de la discussion s’entend bien. Mais l’Europe doit-elle pour toujours s’auto-abonner à la cacophonie et aux petits calculs lorsqu’il s’agit de son positionnement dans les affaires du monde ? Je ne le crois pas.

L’Europe vit dans un monde paradoxal pour elle ; première puissance économique mondiale (UE des 28), puissance également médiatique et culturelle, chantre depuis longtemps du pluri-centrisme, alors que celui-ci voit son avènement, notre Continent reste largement en dehors ou au mieux en suiveuse des nouveaux lieux de gouvernance mondiale. Le G8 en tant que G7+Russie a vécu ; dans le G20, elle se perçoit « diluée » et refuse tout leadership ; du « G2 sino-américain » elle est mécaniquement absente ou pire trouble-fête ; au rapprochement Sino-Russe elle assiste spectatrice circonspecte ; aux travaux de reconstruction « par l’extérieur » de la gouvernance financière mondiale (initiative chinoise de banque de développement, banque des BRICS, etc.), elle demeure périphérique ou ralliée de dernière minute en ordre dispersé, pas consultée. Là où le monde de demain se construit, en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud, elle reste un acteur marginal. Son influence est également décroissante dans son environnement proche, que ce soit en Afrique ou dans le monde Arabe.

Il est urgent pour l’Europe de reprendre pied. Mais comment ? Tout simplement en appliquant au domaine diplomatique le principe d’intégration qui a été mené à bien avec succès dans le domaine industriel et économique depuis le traité de Rome. Il est consternant de constater que les administrations publiques les plus europhobes dans les pays de l’Union sont les ministères des affaires étrangères, Quai d’Orsay en tête, trop jaloux de leur prérogatives pour les partager avec quiconque. Le choix de personnalités telles que Catherine Ashton et Frederica Mogherini en tant que Haut Représentants de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité en dit long sur notre manque d’ambition collective. Si elle veut se faire entendre, l’Union Européenne doit parler d’une seule voix et cette voix doit porter.

Dans les mois à venir, l’Europe sera confrontée à un nouveau test majeur de sa volonté ou non de peser sur la scène internationale : le choix du candidat européen pour succéder à Ban Ki-Moon à la tête des Nations Unies. Le principe de rotation géographique donne l’avantage à l’Europe de l’Est, à condition qu’un candidat sérieux émerge, soutenu par la France et le Royaume Uni, et acceptable pour les Etats Unis, la Russie et la Chine. En effet, les règles établies dans l’après-guerre restent toujours valables : le Secrétaire Général doit recevoir l’assentiment des cinq membres permanents du conseil de sécurité avant d’être adoubé par l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Alors que l’élection du Secrétaire Général aura lieu à l’été 2016, de nombreux candidats se sont déjà fait connaître et le spectre d’une division du continent apparaît menaçant. Au jeu des alliances, amitiés et inimitiés balkaniques, choisira-t-on de soutenir un Serbe, une Croate ou un Slovène ? Trois candidats de la région essaient en effet de se démarquer : Vuk Jeremić, ancien ministre des affaires étrangères serbe et Président de la 67e session de l'Assemblée générale de l'ONU pendant en 2013 ; Vesna Pusić, ministre des Affaires étrangères et européennes et vice-présidente du gouvernement Croate ; Danilo Türk, ancien ambassadeur auprès de l'ONU et ancien Président de la Slovénie.

A moins que la myopie Bruxelloise l’emporte et que l’on désigne un technocrate comme la Commissaire Européenne Kristalina Gueorguieva, bonne gestionnaire mais n’ayant objectivement aucune chance d’avoir le soutien politique de Moscou du fait des sanctions économiques de l’UE contre la Russie. La candidate dont tout le monde parle à Paris et aux Nations Unies est une autre bulgare, Irina Bokova, ancienne ministre des affaires étrangères et deux fois élue directrice générale de l’UNESCO. Francophone, elle bénéficie du soutien de Hollande qui l’a nommée Commandeur de la Légion d’Honneur. Les diplomates du Quai d’Orsay estiment officieusement qu’elle est la mieux placée en Europe pour recevoir le soutien des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine et ainsi succéder à Ban Ki-moon.

En attendant, un certain nombre de pays du nouveau monde parient sur la division des occidentaux et poussent leurs candidats. Car si aucun leader sérieux du continent n’est choisi et défendu par les Européens, rien ne s’opposera à sélectionner un candidat d’une autre zone géographique. Helen Clark, ancienne Première ministre néo-zélandaise, réformiste connue pour sa grande détermination politique, actuellement administratrice du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), fait figure de favorite. A moins que la charismatique Présidente chilienne Michelle Bachelet ne l’emporte.

L’élection du Secrétaire Général des Nations Unies nous permettra de mesurer s’il convient ou non d’avoir encore quelque espoir sur la capacité des Européens à jouer un rôle sur la scène diplomatique mondiale, ou si l’on doit se résigner à voir l’Europe devenir la nouvelle périphérie du monde émergent.

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