Espagne, Portugal, Italie : ce que l’austérité a vraiment produit comme résultat sur les autres économies du sud de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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L'austérité n'a pas eu les effets escomptés en Grèce.
L'austérité n'a pas eu les effets escomptés en Grèce.
©Reuters

Nouveaux départs ?

L'austérité n'a pas eu les effets escomptés en Grèce, mais des pays comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal en ont peut-être retiré plus de bénéfices. Analyse des reformes économiques de ces trois pays du sud de l'Europe.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : La Grèce semble s’enfoncer inexorablement dans la crise. Pourtant des pays du Sud tels que le Portugal, l’Espagne et l’Italie sont parvenus à éviter le pire. Comment expliquer leur réussite relative ? 

Mathieu Mucherie : Je ne pense pas qu'on puisse parler de réussite, même relative. On ne peut pas parler de réussite quand on a un tiers des actifs qui sont au chômage depuis trois ans. Quand on a un taux de chômage de 23 %, parler de réussite relève de l'indécence. Si, en 2007, on avait dit que l'Espagne et l'Italie feraient face à un tel recul de PIB (donc de croissance, d'inflation, d'emploi), personne n'y aurait cru. Même en envisageant le pire des scénarios, personne n'aurait misé là-dessus.

Ca n'a rien d'un succès, c'est un gigantesque carnage dans lequel certains vont en dessous de tout (la Grèce a perdu 25 points de PIB en 5 ans, soit un recul plus grave que celui connu par les Etats-Unis dans les années 30…). Si c'est ça qu'on désigne comme étant le benchmark, tous les pays sont en réussite. Cependant, si le benchmark c'est une croissance (raisonnablement) positive, une inflation pas trop éloignée de la cible et une élévation de dette publique soutenable, aucun des pays mentionnés ne l'a atteint. A l'exception, peut-être, de l'Italie qui connait un parcours à la fois très médiocre et difficile.

Qu’en est-il de leur situation budgétaire actuelle ? Les réformes structurelles suivent-elles leur cours garantissant ainsi une amélioration des fondamentaux de ces économies ?

Les situations budgétaires de ces pays sont assez différentes. Des efforts ont été faits (plus sur la partie impôts que sur la partie dépenses) : dès qu'elle l'a pu, l'Italie est repassée en surplus primaire. L'Espagne connait toujours un déficit élevé. Sa dette a connu une vraie augmentation et le déficit reste très dynamique. Quoiqu'on dise de l'Espagne (qui, officiellement, fait office de bon élève de la BCE), les chiffres ne sont pas bons. La dette espagnole n'est soutenable que parce que la BCE le dit, d'où la pression qu'il risque d'y avoir à la suite des événements en Grèce ou d'une élection en faveur de Podemos. L'Espagne pourrait être le prochain pays testé par le marché.

Les réformes structurelles peuvent difficilement aller vite, en raison du carnage macro-économique. De plus quand, d'un point de vue macro-économique la situation est si mauvaise, les reformes structurelles sont moins nécessaires : elles visent à la libéralisation de l'offre. Or, quand le problème vient du manque de demande, libéraliser l'offre n'est pas la première des urgences. Déployer l'offre productive au beau milieu d'un problème de demande, c'est augmenter le taux de chômage.

En outre, pour pouvoir amener des réformes, il est important de prévoir soit un plan B, soit de quoi indemniser les perdants. A court terme, une réforme fait nécessairement des dégâts et par conséquent, pour les faire passer bien et vite il faut prévoir des compensations. Compensations qui, en temps de crise, sont particulièrement difficiles à donner : les réformes doivent être réalisées quand la situation est plus favorable. C'est ce qui permet des négociations avec les acteurs économiques, lésés sur le court terme. C'est ainsi qu'ont procédé les Suédois au milieu des années 90, ou le Général de Gaulle en 1959. Dévaluer pour financer des réformes plus libérales.

En Espagne ou au Portugal, il n'y a pas pu avoir de dévaluation. Et pour cause : l'euro. Pendant toute la durée de la crise, celui-ci est resté très cher, alors que les caisses de l'Espagne et du Portugal étaient vides. Il aurait fallu monter les impôts et baisser les dépenses. Dans un cadre pareil, il est normal que les réformes structurelles soient peu nombreuses. Il y a eu beaucoup de réformes de façades, pour rassurer la Troïka, beaucoup de réformes de communication.

Comment expliquez-vous la différence entre les discours encore très pro-efforts budgétaires et structurels, et le fort ralentissement de la mise en œuvre des réformes depuis plus d’un an ?

On fait face à un phénomène de fatigue de l'ajustement structurel, déjà observé dans les pays d'Amérique Latine, dans les années 80. La première année on fait des efforts, un programme d'austérité. La deuxième année on persiste dans la montée des impôts et la baisse des dépenses quand bien même c'est difficile. La troisième année, on fait semblant de mettre en place des petites réformes structurelles pour rentrer dans les bonnes grâces de la BCE. La cinquième année, on décroche. Plus de soutien politique, plus de soutien populaire. Réformer une économie sans les agents économiques est particulièrement compliqué. Réformer le marché du travail sans une participation minimale des syndicats est difficile, ne serait-ce que pour rassembler tout le monde autour de la table de négociations. Une dévaluation aurait pu lisser les problèmes rencontrés et éviter la double-peine en oeuvre aujourd'hui. Entamer, en période de crise, des réformes qu'on se refuse à faire en période de croissance ne peut pas marcher. En dépit de toutes les réformes (structurelles et budgétaires) entamées par l'Espagne, son PIB nominal n'a pas bougé depuis 2007. C'est le signe que quelque chose ne va pas : le pays souffre d'un mésalignement de taux de changes (avec des taux bas, mais encore trop haut vis-à-vis du PIB nominal). Ce qui a, bien entendu un effet boule de neige sur la dette.

N’y a-t-il pas d’autres chemins à suivre, comme celui tracé par l’Islande, pour les pays les plus fragiles ?

Il est impossible de déduire quoique ce soit de l'Islande : c'est un pays dont la population équivaut à celle de la ville de Valencienne. 300 00 habitants. Le maire de Liévin  a plus de légitimité que le premier ministre d'Islande, dans la mesure ou il s'agit d'un "pays-confetti".

Les Islandais ont fait plusieurs erreurs avec leurs banques, qui évoluaient dans un système spécifique (les banques pesaient parfois plus de dix fois le PIB du pays). De même, ils ont une économie particulière, très basée sur le tourisme, disposent de leurs propres ressources énergétiques… C'est un cas trop particulier pour qu'on puisse en déduire quelque chose.

L’Espagne peut-elle devenir à terme un problème aussi important que la Grèce ?

Non. L'Espagne, c'est quatre fois plus gros que la Grèce. C'est un pays dont la population est quatre fois plus nombreuse, avec une économie et une dette quatre à cinq fois plus importante. Pour autant, la Grèce est un cas extrême. C'est un pays qui a été lâché par sa banque centrale, ce qui n'est pas le cas de l'Espagne, pays modèle aux yeux de la BCE. Par conséquent, on est loin de la configuration qui a mené la Grèce à la ruine. L'Espagne n'emprunte pas à des taux de 15 % et pour le moment cela tient. Mais si la qualité des relations entre Madrid et Francfort devait se dégrader (ce qui pourrait être très rapide), les taux à 2,3 % pourraient devenir des taux à 4,6 %. Dès lors, la situation serait beaucoup plus compliquée pour l'Espagne. Après tout, les taux espagnols sont montés jusqu'à 7 %, en 2011. C'est une situation qui n'est pas si improbable, d'autant plus que le pays n'a pas l'intention de faire la moindre réforme. L'Espagne dépend beaucoup de la BCE. Si les Espagnols ne votent plus d'une façon qui correspond aux intérêts de la BCE, la crise pourrait survenir très vite.

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