Pourquoi ceux qui pensent que le "non" grec leur préfigure un bel avenir électoral en France se trompent lourdement<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon s'est déclaré candidat à l'élection présidentielle de 2017.
Jean-Luc Mélenchon s'est déclaré candidat à l'élection présidentielle de 2017.
©Reuters

Le chant du cygne ?

Après le succès du "non" au référendum en Grèce dimanche 5 juillet 2015, plusieurs personnalités d'extrême gauche ont réagi, comme Jean-Luc Mélenchon qui s'est déclaré candidat à l'élection présidentielle de 2017. Cette tendance politique ne semble pas avoir tiré les leçons du référendum de 2005.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Plusieurs responsables politiques de gauche comme Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent ou Jean-Michel Baylet apparaissent heureux voire revigorés après  la victoire du "non" au référendum de dimanche en Grèce. Ont-ils raison de se réjouir ? Dans quelle mesure les retombées du référendum pourraient être favorables à la gauche en général ?

Eddy Fougier : Dans les faits, l'extrême gauche n'est pas la seule à se réjouir de ce non prononcé lors du référendum en Grèce : tout ceux qui appelaient à voter non à la Constitution Européenne, à Maastricht... Fondamentalement, tous ceux qui refusent l'évolution de l'UE et de sa dimension libérale se réjouissent.

Pour autant on ne peut pas véritablement parler de bonne nouvelle pour la gauche : penser que le peuple grec a retrouvé sa pleine souveraineté et que le rapport de force est désormais favorable à Tsipras, c'est une grande illusion. S'attendre à ce qu'il aie de nouveau de l'argent, que les conditions de remboursement soient allégées, c'est prendre le risque de se réveiller avec une gueule de bois. Certes, on assiste à un un réveil du peuple grec, à un retour de la démocratie, mais il faut également s'attendre au réveil des peuples européens. En France, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, en Finlande, ces peuples là vont commencer à se dire que cela suffit. Et pour cause : les créanciers de la Grèce, ce sont les contribuables, qui ont prêté 240 milliards. Il y a de quoi ne pas être contents de voir la Grèce obtenir un délais ou un assouplissement des conditions de remboursement alors qu'elle ne va pas rembourser le FMI et ne remboursera peut-être pas les institutions.
Jean-Michel Baylet incarne la position de la gauche française, toujours très ambigüe : une volonté de se montrer crédible aux yeux des autres États (notamment l'Allemagne) et en parallèle, celle de rééquilibrer les rapports de force européens (encore une fois vis-à-vis de l'Allemagne qui reste arqué-boutée sur sa discipline budgétaire). On a bien vu François Hollande tenter un front méditerranéen en compagnie de Matteo Renzi. Cela n'a pas fonctionné. L'idée de rester proche de l'Allemagne tout en étant capable de discuter avec Tsipras et d'incarner une sorte de troisième voix s'avère compliquée.
Indéniablement, il existe à gauche un sentiment de renouveau, dont le référendum serait le premier jour. On s'attend à ce que la suite soit propice à de nouvelles négociations. Que Podemos effectuera une percée en Espagne... Mais il y a également de quoi rester très dubitatif : c'est une situation qui s'est déjà vue à plusieurs reprises. Après le référendum de 2005, sur une mauvaise interprétation du résultat, l'extrême gauche  a cru à la fin de la domination du libéralisme économique en Europe. Celui-ci perdure encore. En Espagne et ailleurs,  le mouvement des Indignés a laissé croire que les choses allait changer, à la suite de la crise économique. Le vent n'as pas tourné. Il ne reste qu'à voir ce qu'il adviendra, néanmoins on peut aussi voir les choses de cette façon : le référendum en Grèce comme le chant du cygne de l'extrême gauche. Si Tsipras échoue après cette réussite, la chute sera d'autant plus violente qu'un espoir est né. Celui de faire enfin bouger une forteresse Européenne et Allemande jusqu'à lors imprenable. La gauche radicale porte un complexe d'échec avec le sentiment qu'il est impossible de faire bouger les choses. Ce référendum tend à faire croire le contraire, mais une chute ruinerait tous les espoirs, en plus de faire apparaître les alternatives comme catastrophiques. Il faut se méfier des ivresses, le réveil peut s'avérer très douloureux.

Pourtant, les situations de la Grèce et de la France diffèrent en de nombreux points. Quelles sont exactement ces divergences ? Quel impact peuvent-elles avoir ? Aux yeux de Manuel Valls, l'immigration semble être un thème primordial pour la présidentielle de 2017.  C'est un thème qui intéresse les Français mais moins les Grecs. Au vu des attentes différentes que peuvent avoir les deux peuples, pourquoi n'est-il pas envisageable que la gauche Française transforme l'essai ?

Bruno Cautrès : Jean-Luc Mélenchon a investi très tôt et dès le début de la crise (en 2010) la question grecque.  Il a exprimé dès ce moment-là et avec la fougue qu’on lui connait un soutien au peuple grec et à ses souffrances. Il a fait preuve d’une réelle constance car les opinions qu’il vient d’exprimer sont similaires à celles prononcées pendant la présidentielle de 2012 et s’inscrivent pleinement au cœur des raisons qui l’avaient poussé à quitter le PS et à créer le Parti de Gauche. Pour Jean-Luc Mélenchon, la crise grecque et plus encore le référendum de dimanche lui donnent raison de vouloir réactiver en France le « Non » de gauche du 29 mai 2005, lorsque les français ont rejeté par référendum le Traité constitutionnel européen. Mais bien sûr, lire le référendum grec comme annonciateur d’une fronde des peuples européens contre la direction économique et budgétaire prise par l’UE, c’est aller vite en besogne. Les situations grecques et françaises ne sont pas comparables, ni économiquement, ni budgétairement, ni politiquement. N’oublions pas que l’élection de Tsipras a eu lieu suite à plusieurs élections rapprochées en Grèce, à l’exaspération d’électeurs ayant le sentiment d’une descente aux enfers sans que leur classe politique ne parvienne à rien faire. 

De toute façon, la présidentielle de 2017, à laquelle Jean-Luc Mélenchon entend faire participer et faire entendre sa voix (et aussi sa voie) ne ressemblera pas à un référendum sur la politique européenne de la France ou de François Hollande. Le terrain de la bataille sera économique (chômage, pouvoir d’achats, impôts) et politique (évaluation rétrospective de la stature présidentielle de F. Hollande et comparatif avec les autres candidats). Néanmoins, comme en 2002, 2007 et 2012, l’Europe ne sera pas du tout absente des motivations des électeurs ; les candidats qui incarneront « la gauche de la gauche » voudront défendre l’idée d’un François Hollande contradictoire sur l’Europe au plan externe (hésitant entre privilégier le leadership ave l’Allemagne et une ligne plus « solidaire » avec la Grèce) et interne (voulant réorienter l’Europe mais finalement basculant du côté des politiques économiques de lutte contre les déficits).
Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que Manuel Valls considère « l’immigration » comme thème primordial pour 2017. Ce qui apparait plutôt est que Manuel Valls souhaite montrer que la gauche peut fortement incarner les thèmes de l’ordre républicain, de la sécurité intérieure et extérieure dans un contexte de grandes menaces terroristes. Il s’agit de thèmes que Manuel Valls, ex Ministre de l’Intérieur, a toujours fortement investis, construisant ainsi l’image de « Sarkozy de gauche » qu’on lui a parfois accolée. Mais comme Premier ministre, il sait qu’il sera tenu comptable de la situation économique également qui reste le prisme essentiel par lequel les français évaluent leurs dirigeants. Les grecs sont dans une toute autre situation : il s’agit pour eux de sauver leur niveau de vie, de stopper la précarisation généralisée qu’a engendrée la crise, la destruction de pans entiers de leur société (récemment une étude indiquait que la crise grecque avait annulé en 5/6 ans tous les gains économiques réalisés depuis leur adhésion à la zone euro). Avant que les français arrivent au point d’exaspération des grecs et de souffrances que de strates entières de la population grecque ont enduré et finissent par voter pour que Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot gagnent la présidentielle, il coulera beaucoup d’eau sous les ponts…. Néanmoins,  la crise que nous connaissons depuis plusieurs années, les coupes dans les dépenses publiques et les remises en cause vers lesquelles nous allons encore, peuvent tout à fait créer des tensions fortes au sein de la gauche et redonner du grain à moudre à l’idée d’une « autre Europe » qui à défaut de gagner la présidentielle de 2017 peut fort bien perturber le jeu. 

De même, le sentiment des Français vis-à-vis des institutions européennes est-il vraiment comparable tant dans l'intensité que dans sa nature même ?

Bruno Cautrès : Les français restent globalement attachés à l’intégration européenne et l’évaluent positivement en ce qui concerne les grands principes de cette intégration. Mais les modalités de celle-ci et ses orientations creusent depuis une bonne décennie au moins le sillon d’un nouveau clivage idéologique qui s’exprime dans les deux grandes familles politiques de la droite et de la gauche. A gauche, le Parti socialiste réclame une Europe plus juste, plus sociale, plus citoyenne ; mais au sein du PS des nuances, voire des divisions existent : on a vu à travers la crise des « frondeurs » s’exprimer des traces du 29 mai 2005 et l’idée que les contraintes budgétaires européennes sont un carcan qui empêche de mener une politique de gauche. Le positionnement d’Arnaud Montebourg et son exit du gouvernement sont tout à fait lisibles en ces termes. Sans parler de l’opposition frontale d’un Jean-Luc Mélenchon contre « cette Europe »  et son appel tonitruant pour une « autre Europe ». Il faudrait néanmoins des circonstances tout à fait exceptionnelles, que nous ne connaissons pas, pour que Jean-Luc Mélenchon soit l’équivalent complet d’A. Tsipras. En revanche, je pense que si la crise économique reste toujours aussi forte jusqu’en 2017, que si l’Europe continue de donner le sentiment d’un projet sans pilotage et sans direction fortement identifiable par les citoyens et que se multiplient les éléments montrant que l’Europe va mal (Grexit, Brexit), il sera possible à un bon candidat de la « gauche de la gauche » (et Jean-Luc Mélenchon peut se glisser dans ce rôle) de capitaliser un peu sur tout cela, d’autant plus si le Président sortant est affaibli. Mais d’autres candidats, comme Marine Le Pen en particulier, tenteront également de capitaliser sur cette éventuelle crise en continue de l’Europe. 

Quelles autres différences percevez-vous et qui viendraient invalider l'optimisme des personnalités d'extrême gauche ? 

Bruno Cautrès : L’Europe ne sera pas, loin de là, le seul élément moteur de l’élection de 2017. Si elle constitue souvent un thème faussement invisible de la présidentielle (les candidats n’en parlent pas autant que des thèmes économiques et nationaux, mais les électeurs sont préoccupés par les conséquences de l’intégration européenne), elle n’est pas la motivation principale du vote. Les candidats qui ne voudront se positionner que par rapport à ces questions, prendront le risque de n’occuper que des « niches ». Or, faire un bon score à la présidentielle, c’est avoir éventail et occuper un positionnement beaucoup plus large. Par ailleurs, si l’on reprend Jean-Luc Mélenchon, il devra clarifier sa stratégie personnelle qui a marqué des hésitations entre retrait de la course présidentielle, projet d’alliance avec EELV, mauvaises relations avec Pierre Laurent. Il a un peu brouillé son image ; si l’on prend le NPA, on voit qu’Olivier Besancenot se repositionne dans la course, apparait à nouveau dans les médias, mais on ne sait rien de ses intentions. Et par ailleurs, la montée en puissance de Marine Le Pen peut poser des problèmes à ceux qui voudront attirer les votes des plus exposés à la crise qui peuvent être tentés de voter pour la candidate du FN. 

Enfin, n'y a-t-il pas un risque que, portés par le succès de Tsipras, les mouvements de gauche se laissent aller à des candidatures alternatives, dans la lignée du référendum de 2005 ? Les conséquences seraient-elles comparables ?

Eddy Fougier : 2005 a été le théâtre d'une erreur d'interprétation magistrale. La gauche radicale a pensé la victoire du non (à 55%) comme celle d'un non de gauche et a oublié le rôle majeur joué par la droite souverainiste et le Front National. La gauche radicale a cru à une candidature unique, pensant qu'elle pourrait passer devant le candidat socialiste aux élections présidentielles, mais comme il est de coutume dans cette sphère politique (de la gauche radicale à l'extrême gauche), chacun a voulu tirer la couverture à soi. Besancenot s'est déclaré candidat, les communistes en ont fait de même, suivis par Lutte Ouvrière tandis que José Bové prétendait incarner le candidat  qui réunissait tout le monde. Mais le fait est que la gauche radicale et l'extrême gauche étaient particulièrement divisées, au point de réaliser son plus mauvais score (au premier tour d'une élection présidentielle) depuis la fin des années 80. L'absence de réelle notoriété des candidats a bien évidemment joué.

Le risque existe encore aujourd'hui, quand bien même il est indépendant de ce qui se passe en Grèce. Hier, le 5 juillet 2015, Jean-Luc Mélenchon, dans l'euphorie et la chaleur du congrès du Parti de Gauche, a déjà affirmé qu'il était prêt à se présenter aux élections de 2017. Au sein du front de gauche, il existe des dissensions assez fortes qui datent de l'époque des municipales/européennes. Il y a peu de chance que Mélenchon puisse se rapprocher du NPA mené par Besancenot. De même, la tentative d'un «front vert» alliant la gauche radicale et les écologistes, de plus en plus critiques vis-à-vis du gouvernement n'a pas pris. Il y a de quoi douter d'une candidature unique pour cette sphère politique. Dans les faits, il y a même de quoi douter d'une candidature unique au Front de Gauche, ce qui pourrait s'avérer préjudiciable tant pour l'extrême gauche (pour des raisons évidentes) que pour la gauche : en 2012, François Hollande profitait de plusieurs facteurs très importants. Mélenchon lui a amené un certain nombre d'électeur qui se seraient probablement abstenu de voter et qui l'ont fait au deuxième tour. Somme toute, il a servi d'aspirateur de voix pour Hollande. 
Il est difficile de dire comment se passeront les choses en 2017. Cependant, dans l'état actuel des choses, la situation serait compliquée pour le candidat socialiste, ou le président sortant. Chaque parti de gauche radicale ou d'extrême gauche pourrait présenter son candidat, quand bien même le PS tâcherait de réduire le nombre de candidatures, ou de marteler sur le vote utile pour éviter que le candidat socialiste ne soit pas présent au second tour.

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