Ces images filmées par drone qui font craindre un nouvel assaut de la Russie sur l’Ukraine <!-- --> | Atlantico.fr
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Un drone a filmé un véritable camp militaire insurgé situé à Sontseve entre Donetsk et Marioupol.
Un drone a filmé un véritable camp militaire insurgé situé à Sontseve entre Donetsk et Marioupol.
©Reuters

Stratégie offensive

Un document filmé à partir d'un drone montre la construction entre les mois de mai et de juin dernier d'un véritable camps militaire pro-russe à moins de 20km de la très stratégique ville portuaire de Mariupol. Une situation qui fait craindre une nouvelle offensive cet été. A moins que la Russie ne cherche à pousser Kiev à la faute.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Un drone d'une formation loyaliste au gouvernement ukrainien a pris des images montrant la construction entre le 20 mai et le 4 juin dernier d'un véritable camp militaire insurgé situé à Sontseve entre Donetsk et Marioupol. On découvre sur les vidéos des chars T72, des abris en dur, des véhicules de déminage, des pistes entre les différentes parties du camp et un canon anti-char T12 Rapira notamment utilisé en Russie. La Russie se prépare-t-elle à un assaut cet été? Et quels événements pourraient amener la Russie à bouger?

Cyrille Bret :En matière d’images et d’informations, le conflit ukrainien réclame la plus grande prudence. En effet, les différents acteurs du conflit, séparatistes et autorités gouvernementales au premier chef, médias russes et communiqués de presse de l’OTAN ensuite, se livrent à une lutte des images et des déclarations. La crise ukrainienne donne lieu, de tous côtés, à des opérations de communication qui confine souvent à la propagande.

Les vidéos auxquelles vous faites références (à regarder ici) ont été prises il y a quelques semaines, le 20 mai et le 4 juin. Elles ont été publiées par un groupe politique (Dnipro-1) favorable au gouvernement central. Les vidéos sont impressionnantes, notamment en raison de la nature des installations, des équipements et des armements qui y apparaissent : ce sont de véritables infrastructures militaires et des armements lourds. D’une certaine façon, cela tient à la durée des combats. L’objectif de Dnipro-1 est de montrer que les forces séparatistes ne s’apprêtent pas à réaliser la désescalade prévue par les accords de Minsk II.

En ce qui concerne la préparation d’une nouvelle offensive d’été en 2015 après celle de 2014, la question est de savoir si les mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne et si les équipements des séparatistes constituent de véritables préparatifs guerriers.

Comme je l’indiquais sur votre site le 19 mai dernier, les concentrations de troupes et les accumulations d’équipements visibles peuvent s’interpréter de deux façons. Soit plus de troupes préparent plus de conflictualité. L’offensive est donc proche. Soit la démonstration de force peut être utilisée précisément pour éviter d’engager une offensive en décourageant l’adversaire. Le message pourrait tout à fait être, de la part de la Fédération de Russie et des séparatistes : ne profitez pas de l’été pour lancer une nouvelle opération « anti-terroriste » semblable à celle qui avait été engagée par le président Porochenko dans la foulée de son élection en mai 2014. L’accumulation d’équipements peut éviter le conflit comme elle peut le hâter. Tout dépend de l’appréciation politique des autorités russes.

Plusieurs paramètres seront convoqués avant de lancer une offensive. Premièrement, la force des positions américaines peut varier grandement en raison du succès ou de l’insuccès des négociations avec l’Iran. Si, après les négociations de cette semaine, l’administration Obama parvient à conclure un accord avec l’Iran sur le nucléaire, le président américain sera en position de force et fera oublier quelque peu son statut de lame duck. Les autorités russes pourront alors hésiter à lancer une offensive. Si, au contraire, les autorités américaines ressortent affaiblies d’un échec ou d’un demi-succès à Genève, alors une fenêtre d’opportunité sera ouverte. Deuxièmement, les décisions des autorités russes seront conditionnées par les évolutions internes à l’Union européenne : s’aliéner Bruxelles au moment où l’Union serait aux prises avec une crise grecque patente et une crise britannique latente ne serait pas grave pour Moscou de sorte que cela renforcerait les possibilités d’attaque. Si, au contraire, l’Union aborde l’été en position de force, alors les séparatistes seraient moins enclins à partir en guerre. Troisièmement, le degré de faiblesse du gouvernement de Kiev est essentiel : si les autorités russes les analysent comme sur le reculoir alors une offensive est plus probable.

De manière générale, les offensives des séparatistes ne répondent pas à une stratégie active de conquête du pays. Ce sont des réactions à des faiblesses constatées sur le terrain. Mais il convient de conserver en mémoire que les autorités russes ont pour agenda, en 2015, de démontrer que les autorités ukrainiennes n’appliquent pas l’accord de Minsk II. Pour le moment, attaquer aurait moins d’avantages que d’inconvénients. Pousser Kiev à la faute serait bien plus intéressant que de s’exposer aux blâmes internationaux.

Ce camp militaire révélé par les vidéos d'un groupe loyaliste au gouvernement ukrainien semble montrer l'intérêt porté par les insurgés à la région du Donbass et à la ville portuaire de Marioupol, dernière grande ville de l'Est de l'Ukraine contrôlée par Kiev. En quoi cette zone intéresse-t-elle la Russie et les insurgés ukrainiens?

Les préparatifs militaires et les manœuvres autour de Marioupol sont une tendance observée depuis cet hiver. Dès février votre site titrait sur Marioupol. La zone de Marioupol a un intérêt double, stratégique et symbolique.

C’est un intérêt stratégique car sa conquête permettrait aux séparatistes d’obtenir une certaine continuité territoriale entre les Républiques de Donetsk et de Luhansk au nord et la Crimée donc la Fédération de Russie au sud.

C’est également un intérêt symbolique et politique car la conquête de la zone permettrait aux séparatistes, une année après le lancement de l’opération dite « anti-terroriste » par l’administration Porochenko, de montrer l’impuissance de la présidence ukrainienne. Il s’agirait d’une espèce de « propagande par le fait ».

Mais, encore une fois, les préparatifs peuvent avoir leur objectif en eux-mêmes : montrer que Kiev ne maîtrise ni le territoire ni la situation et que l’initiative est du côté séparatiste, sans nécessairement passer à l’attaque et donc prendre la responsabilité d’une rupture des accords de Minsk II.

Si une offensive était prévue cet été, quelle forme pourrait-elle prendre? Et quels en seraient les objectifs pour Vladimir Poutine?

Il convient de bien distinguer les objectifs pour les séparatistes des objectifs pour les autorités russes.

Pour les séparatifs, les objectifs militaires d’une opération seraient assurément centrés sur la réduction des zones qui les séparent, au sud, de la Crimée. Accroître leur maîtrise du territoire et consolider leurs positions seraient des buts de guerre pour l’été.

Pour les autorités russes, l’objectif serait plutôt de réagir à une violation flagrante des accords de Minsk II. Dans cette hypothèse, les gains territoriaux seraient moins importants que les victoires symboliques. Ainsi, un autre type d’offensive peut être lancé, sur le plan humanitaire : Moscou pourrait à nouveau mettre en scène son aide humanitaire massive à l’est du pays comme lors du roadmovie humanitaire d’août dernier où un convoi avait été bloqué pendant des jours entre la Russie et l’Ukraine.

Depuis l'accord Minsk 2 signé en février dernier les tensions restent vives entre Kiev et les séparatistes. La semaine dernière, Kiev a annoncé la suspension des achats de gaz à la Russie qui a tout de suite répliqué en arrêtant toute livraison. Quels sont les principaux points d'achoppement qui demeurent entre Kiev et les séparatistes? Comment la Russie met-elle des braises sur le feu?

Le conflit gazier est une constante des relations Ukraine-Russie depuis le milieu des années 2000. Le nouvel épisode des tensions montre seulement que ces relations sont entrées dans une nouvelle phase : grâce à de nouveaux clients en Asie, à de nouvelles routes d’acheminement par la Baltique et à un nouveau système de paiement à l’avance, la Russie se rend chaque jour moins dépendante du corridor ukrainien d’acheminement. Côté ukrainienne, la solidarité énergétique européenne produit ses effets : grâce à l’inversion des flux des gazoducs en provenance de Pologne notamment, l’Ukraine consomme du gaz russe mais livré par les Européens. La dépendance mutuelle de l’Ukraine et de la Russie est aujourd’hui en passe de s’affaiblir.

Entre les séparatistes et Kiev, les points d’achoppement sont peu ou prou les mêmes depuis le début du conflit. Côté séparatistes : respect des droits des minorités notamment linguistiques, système de solidarité et de redistribution des richesses entre territoires, association de toutes les parties de la population au pouvoir politique, non intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. Côté kiévien : respect de la souveraineté territoriale, désarmement des milices séparatistes, contrôle de la frontière avec la Russie, conservation d’un certain degré de centralisation.

La permanence du dissensus entre Kiev et les séparatistes est un des paramètres les plus préoccupants de la situation.

Quant au rôle de la Russie, il est bien plus complexe que celui de va-t-en guerre : si certains milieux nationalistes alimentent la tension grâce à des subsides, des troupes et des équipements, d’autres tendances, notamment pro-business, favorisent le retour à la normale des relations entre la Russie, l’Europe et l’Ukraine.

Une offensive d’été de la part des séparatistes marquerait la fin de la stratégie poursuivie depuis mars par Moscou : démontrer le non-respect de l’accord de Minsk II par les autorités ukrainiennes.

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