Pourquoi plus personne ne sera propriétaire d'une voiture dans 25 ans<!-- --> | Atlantico.fr
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Les voitures seraient bientôt amenées à disparaître.
Les voitures seraient bientôt amenées à disparaître.
©Reuters

Tous piétons !

L'affirmation peut paraître démesurée mais ne plus acheter une voiture individuelle est déjà une réalité pour une minorité d’urbains, d'Européens ou de Japonais.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Avènement de la voiture "servicielle" par le covoiturage, voitures sans chauffeurs, développement des réseaux de transports publics... Quelles proportions le développement de la voiture d'usage est-il en train de prendre ? A quelles évolutions de la société mais aussi du contexte économique répond-il ?

Jean-Pierre Corniou : Evidemment, les hypothèses de travail sont très variées et selon le point de vue des auteurs, on reste dans un exercice de  prédiction créatrice. Trop d’inconnues rendent les prévisions aléatoires. Il est, par exemple, impossible de savoir ce que seront la disponibilité effective et le prix du pétrole, ces deux données étant liées. Car même à long terme l’Agence internationale de l’énergie continue à penser que le moteur thermique restera dominant. Les constructeurs estiment que l’attachement à la voiture individuelle restera fort et n’imaginent pas une rupture majeure dans des habitudes solidement établies. Mais l’ADEME, dans une étude publiée en 2014 sur les déplacements en 2050, prévoit que le nombre de véhicules passera en France de 35 millions à 22 millions, dont 5 millions en auto-partage. Le basculement culturel se produira quand les personnes ayant une voiture individuelle décideront de ne pas le remplacer. Ceci peut concerner toutes les couches de la population, soit pour des raisons économiques, soit pour des motifs sociétaux. Pour le moment ce choix, décisif, est rare et la désaffection envers la voiture se traduit surtout par le non-renouvellement du parc, qui n’a jamais été aussi ancien (8,7 ans) et la réduction régulière du nombre de kilomètres parcourus depuis dix ans. Quant aux jeunes, ils différent l’âge de leur première acquisition quand ils sont en milieu urbain pour des raisons économiques et pourront persister à ne pas en acquérir, notamment lors du premier enfant, si l’offre de remplacement est suffisamment attractive. Il est clair que le succès du covoiturage démontre l’attractivité des offres alternatives bien conçues. C’est un modèle que l’usage des smartphones permet de développer notamment aux déplacements courts en périphérie urbaine.

Par quoi pourrait-elle être remplacée ? Quelles innovations peut-on attendre en termes de services ?

Le premier facteur de remplacement de l’automobile individuelle est l’attractivité des transports publics tant en qualité de l’offre qu’en prix. 50 % des déplacements automobiles se font en ville et souvent sur de courtes distances ! 50% des déplacements en ville se font sur moins de 5 km, zone où les solutions alternatives existent. Partout où les pouvoirs publics ont amélioré l’offre de transports publics la voiture individuelle a cessé de croître. En France, Paris, Grenoble et Strasbourg ont une part modale  de l’automobile inférieure à 50%. Ce sont trois villes qui ont misé tôt sur une offre dynamique de transports publics. Mais d’autres villes qui se sont équipé de tramways connaissent une évolution semblable. Le vélo, notamment à assistance électrique, et la marche sont déjà des moyens de transport urbains essentiels dont la place va croître dans le futur.

Il est surtout probable que l’offre deviendra une offre de mobilité globale multi-modale, permettant de composer à la demande, de façon contextuelle et avec une tarification unique, un parcours optimisé en temps, coût et émission de CO2. Il sera possible de combiner des moyens de transport collectifs et individualisés. Les logiciels d’optimisation existent déjà, mais leur sophistication permettra d’élaborer des propositions fines, qui seront demain directement calées sur les agendas des personnes.

Les voitures sans chauffeurs vont-elles accompagner, voire accélérer le phénomène ? Google sera-t-il tenté, par exemple, de créer un service de location de ses Google Cars plutôt que de les proposer à la vente ?

Les voitures à conduite automatique, encore il y a peu objet de science fiction, se sont brutalement introduites dans le paysage médiatique depuis que Google a titillé les constructeurs automobiles qui, soucieux de ne pas apparaitre rétrogrades face à ce nouveau venu potentiel, ont tous réagi en prétendant produire "rapidement" un véhicule de série à conduite automatique. La réalité est beaucoup plus complexe car les formes de "délégation de conduite", par le conducteur vers des automates sont multiples et couvrent une palette de situations qui seront progressivement explorées en fonction de leur utilité réelle. Car si la mise au point d’un tel véhicule est théoriquement possible, à un coût aujourd’hui hors de portée pour une commercialisation effective, les problèmes à résoudre sont multiples tant au niveau des capteurs et logiciels embarqués que des infrastructures au sol et des questions juridiques de responsabilité.  Mais il est dans tous les cas peu probable de voir des voitures automatiques en usage individuel. Le seul intérêt est leur mutualisation. Ce sera probablement une future génération de véhicules sur le modèle d’Autolib. Le modèle de Google, comme de Bolloré, ne sera pas de vendre ses voitures mais de les intégrer dans un service de mobilité.

Quelles étapes restent à franchir pour en arriver là ?

Une réalité vient balayer les résistances culturelles à la remise en cause du choix individuel de l’automobile. Avec 70 % de la population mondiale en ville en 2030 la question de l’accès individuel à l’automobile se pose crûment pour deux raisons impossibles à évacuer. La première est bien évidemment la question de l’encombrement. Plus d’habitants dotés de voitures individuelles implique plus de surface pour les garer, ce qui est la situation la plus courante pendant plus de 95% du temps, et plus de surface pour les faire circuler. Une voiture c’est 10 m2 immobilisés. La seconde question est celle des rejets, gaz toxiques, particules et gaz à effet de serre que seule la généralisation des véhicules électriques, à batteries ou piles à combustible, pourrait résoudre. Le rythme actuel de ventes de voitures électriques, bien que connaissant une réelle progression,  ne dépasse pas  1% du  flux des ventes annuelles avec une aide fiscale lourde. Aussi la voiture individuelle semble peu adaptée à un usage urbain et partout dans le monde les élus prennent des mesures de restriction, parfois draconiennes, tant à l’accès des centres ville qu’à la possession même d’une voiture individuelle.

Les sanctions réglementaires et les mesures incitatives seront exploitées simultanément en fonction de la gravité des situations, notamment pollutions par particules et bruit,  et de la motivation des élus. L’impact de ces mesures décourageant la voiture individuelle ne peut qu’accélérer la reflux annoncé de la voiture individuelle dans son modèle historique de possession uni-propriétaire au profit des formes de mobilité partagée.

Comment expliquer ces évolutions ? 

Toute innovation technique répond à un état de la société et répond à ses besoins réels comme à ses désirs profonds. C’est pourquoi le développement de l’automobile ne s’est pas fait de la même manière dans le monde et ne connaître pas dans le futur les mêmes formes.

L’automobile est apparue en Europe à la fin du XIXe siècle, 50 ans après le chemin de fer, pour apporter aux urbains fortunés une solution moderne de déplacement plus confortable et plus rapide que les attelages à chevaux. Elle a connu un essor extraordinaire aux Etats-Unis dans les zones rurales avec l’emblématique Ford T pour faciliter le déplacement d’une population très dispersée sur un grand territoire. Partout l’automobile s’est ensuite développée au XXe siècle pour répondre aux besoins de mobilité et de loisirs d’une population qui s’est rapidement enrichie avec la croissance et qui, avec plus de temps libre, à cherché à individualiser le désir de liberté que le train avait libéré dans le modèle contraint d’une organisation collective.

Parallèlement à la logique d’usage, le caractère statutaire de la voiture s’est affirmé pour prolonger la satisfaction pratique par un plaisir esthétique et l’affirmation visible d’une réussite sociale. Ces valeurs étaient celles d’une période particulière de l’histoire de l’Europe, creuset historique de la technologie automobile qui a privilégié les modèles haut de gamme jusqu’à la seconde guerre mondiale avant de connaitre une démocratisation fulgurante avec les trente glorieuses. Aux Etats-Unis, le développement s’est construit autour de l’automobile comme modèle d’organisation de la société. Ces modèles ont commencé à évoluer après la crise du pétrole de 1974 et continuent rapidement à se transformer avec la mondialisation et le numérique.  La mobilité au XXIe siècle prend dans les pays fondateurs de l’automobile - Europe, Etats-Unis , Japon- des formes nouvelles alors qu’elle reste très centrée dans les pays émergents, et en premier lieu la Chine, sur les motivations socio-économiques de même type que dans l’Europe des Trente glorieuses. Le développement de la société numérique transforme la notion même de mobilité qui devient omniprésente au quotidien avec des outils sophistiqués de mise en relation immatérielle. La mondialisation appelle aux voyages à moyenne et longue distance qui profitent à l’avion  dont la flotte mondiale va doubler en vingt ans.

Quels sont les signes d'un attachement moindre à la voiture particulière ?

Il faut être prudent dans l’interprétation des données récentes qui ont été marquées par une crise profonde et violente qui a frappé l’automobile mondiale en 2008 et dont les pays émergent, plus ou moins rapidement, chacun avec ses caractéristiques propres. La vision prospective est d’autant plus délicate que le prix du pétrole, qui est une variable majeure dans l’achat d’automobile individuelle, a baissé de 40% des raisons spécifiques. Structurellement, plusieurs indicateurs convergent, singulièrement en France : d’une part on roule beaucoup moins que par le passé et d’autre part les achats se concentrent désormais sur les petites voitures qui représentent 53 % du marché français contre 41% pour la moyenne des payas européens. Enfin, on garde beaucoup plus longtemps sa voiture, à la fois parce qu’elles sont plus robustes et parce que l’attrait des véhicules neufs est moins fort. Mais il faut distinguer le retrait de l’automobile par choix de celui imposé par les contraintes économiques, la voiture représentant le 3e poste de dépenses des Français. 18% des ménages n’ont pas de voiture, mais 40% des ménages pauvres en sont privés non pas choix, mais par exclusion économique, alors que les gens les moins qualifiés travaillent dans les zones les moins bien desservies par les transports publics comme les zones d’activité périphériques.

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