Pendant ce temps-là en Italie, Matteo Renzi dans une mauvaise passe<!-- --> | Atlantico.fr
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Matteo Renzi traverse une mauvaise passe.
Matteo Renzi traverse une mauvaise passe.
©Reuters

Finie la dolce vita

L’immigration incontrôlée, les turbulences au sein du Partito Democratico et les scandales à la mairie de Rome déstabilisent le président du Conseil des ministres italien Matteo Renzi, jusqu'ici très populaire.

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

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Maudit printemps

Dans ce début d’été 2015, combien doit-il lui sembler lointaine l’époque des élections européennes de 2014. En ce temps-là, le Partito Democratico de Matteo Renzi (arrivé au pouvoir, il est bien de le rappeler, non pas suite à une élection mais après un putsch au sein de son propre parti) obtenait 40 % des suffrages et le jeune Président du Conseil s’empressait de claironner partout le résultat, interprété comme un plébiscite en sa faveur. Que faisait-il de si extraordinaire le jeune homme provincial, propulsé de la mairie de Florence à la tête du Partito Democratico et du gouvernement italien ? Il promettait une sorte de "soft revolution" à l’italienne : réforme de la constitution, réforme électorale, réforme de la justice, réforme de l’école, réforme du droit de travail… Le joyeux réformateur allait même ouvrir le portefeuille et octroyer aux italiens (ou au moins aux salariés gagnant moins de 1500 euros par mois…) un inouï et faramineux cadeau de quatre-vingt euros de plus par mois (ce qui, dans ces innocents espoirs, devait relancer massivement la consommation dramatiquement déprimée après des années de vaches maigres)… A côté de ces pyrotechniques effets d’annonce, tellement lointains des mornes traditions de l’administration italienne, Mr Renzi s’adonnait à son loisir favori : faire du Partito Democratico un parti à son image, "asphaltant" la minorité qui lui était hostile et rêvant de créer un "Partito della Nazione" (Parti de la Nation), fantasme de mouvement national transversal tout dévoué à son chef. Mais si les alliées parlementaires n’étaient que des pâles figurants (Angelino Alfano, ancien numéro deux de Berlusconi, puis espoir déchu de la droite modérée et tombée au rang faire-valoir de Renzi ; les anciens fidèles de Mario Monti, d’abord réunis dans "Scelta Civica" ensuite tous plus au moins transfuges vers le Partito Democratico), Renzi avait commis le pêché d’orgueil de mépriser l’aile gauche minoritaire de son parti.

Tout d’abord que cela soit clair : nous ne nourrissons aucune sympathie pour cette vieille gauche mi- catholique mi- marxiste, engluée depuis des années dans des débats idéologiques assez poussiéreux, mais dont le pouvoir de nuisance est assez grand (leur cible favori fut à plusieurs reprises l’ancien président du conseil et président de la Commission Européenne Romano Prodi : trahi par l’aile d’extrême gauche de sa coalition en 2008 et descendu en flamme lors des élections présidentielles de 2013). Ces personnages un peu gris, sans appeal ni glamour (nous suggérons aux amis lecteurs de rechercher sur Google les photographies de Madame Rosy Bindi et des Messieurs Pier Luigi Bersani et Massimo D’Alema…) ont la rancune tenace et la mémoire solide. Renzi a peut-être cru pouvoir verrouiller le parti avec ses fidèles (Matteo Orfini, parfait "yesmen", Maria-Elena Boschi, air de copine-de-la-porte-à-coté et atout de charme du gouvernement, et tant d’autres…), mais sans compter sur la grande maitrise que ses opposants ont des rouages du parti. Il les définit avec des noms pittoresques : "gufi" (les hiboux, oiseaux censés porter  malheur…), "rosiconi" (quelque chose entre "ringards" et "jaloux") et autres aménités. Plus grave, lors d’un vote en commission parlementaire sur la réforme électorale, il a suspendu temporairement les membres du Partito Democratico (agissant en sa qualité de chef du parti et non de chef du gouvernement) qui lui étaient défavorables pour les remplacer par des fidèles parmi les fidèles… On ose à peine imaginer que serait-il arrivé si une telle initiative fût-elle prise par Mr Berlusconi : le spectre de Mussolini au minimum aurait été immédiatement évoqué !

Mais, malgré la roublardise de Matteo Renzi (qui nous fait penser parfois à une version "hard discount" de Bettino Craxi), dans le jardin zoologique en folie qu’est devenu le Partito Democratico, les gufi et les rosiconi ont préparé leur vengeance, que comme tout le monde le sait, caractérise tout mélodrame italien qui se respecte !

Poisons, coopératives et clandestins

Confronté aux difficultés d’une réforme de l’école qui ne fait pas l’unanimité (on se demande quel démon suggère aux gouvernements de se lancer dans ce genre de guêpier…) le gouvernement de Matteo Renzi a affronté les élections régionales et municipales de fin mai avec un peu trop de légèreté et d’outrecuidance, alors que les hommes politiques plus anciens et expérimentés (et notre pensée va à Giulio Andreotti entre tous…) savaient parfaitement que "celui qui entre pape au conclave, en sort cardinal". Ce fut le moment choisi par la minorité du Partito Democratico pour mettre en œuvre sa subtile vengeance : en Ligurie, une liste de gauche "dissidente" fut présentée, avec le résultat de provoquer la victoire du candidat de la droite, Giovanni Toti, fidèle de Berlusconi. Mais, plus venimeux encore, le travail de sape mis en œuvre par Rosy Bindi, qui en plus d’être une opposante interne de Matteo Renzi est également président de la redoutable commission parlementaire contre les activités mafieuses (Commissione Antimafia). A quelques jours des élections régionales du 31 mai, la commission a publié une liste de personnalités dites "imprésentables", c’est-à-dire des individus dont le casier judiciaire plus au moins chargé rendrait impossible leur accession à des charges électives… Et, parmi eux, brille le candidat du Partito Democratico en Campania (la région de Naples), Vincenzo De Luca, provoquant la colère de Renzi et une plainte pour diffamation de la part de Mr De Luca (malgré tout élu à la tête de la Campania, mais à tout moment sous le couperet d’une suspension d’office).

Il est donc insidieusement redoutable le risque représenté par la minorité aigrie du Partito Democratico, lent et létal comme un poison de la Renaissance. Pour assombrir l’horizon jadis radieux de Matteo Renzi, en plus du bilan assez maigre et contrasté des élections (la Ligurie perdue et la Vénétie qui reste à droite, plusieurs grandes villes qui choisissent la droite, dont Venise et Arezzo, d’autres municipalités conquises par les hommes et les femmes de Beppe Grillo), un scandale de très vastes proportions éclate à Rome. En réalité, ledit scandale a été mis en lumière il y a quelques mois, mais il semblait se limiter à des personnalités liées à l’ancienne majorité municipale de droite. Hélas pour le Partito Democratico renzien que si veut paré de vertus, les nouvelles révélations  montrent une implication de plus en plus grande d’individus liés à la gauche ou tout au moins proches de valeurs qui lui sont chers : notamment les coopératives "rouges" d’assistance aux immigrés spéculaient sans vergogne et gagnaient une poignée d’euros sur chaque refugié (ou clandestin…) accueilli… Ce qui jette une nouvelle et crue lumière sur la tant vantée "solidarité" de la gauche !

Et puisque, comme disait Jacques Chirac, "les emmerdes volent en escadrille", les vagues d’immigrés se multiplient sur les côtes méridionales italiennes, saturant les capacités des centres d’hébergement et surtout la patience des italiens, fatigués de voir ces masses camper dans les halls de gares et les jardins publics. L’échec de la gestion de l’immigration n’est pas seulement un énorme problème interne italien mais est également le miroir de la considération dont Mr Renzi jouit en Europe : proche du zéro. Tous ses appels pour mettre en œuvre une gestion partagée de l’urgence tombent à l’eau, France, Allemagne et Grande Bretagne faisant la sourde oreille.

En revanche, la crise de l’immigration profite largement à l’autre "Matteo", Matteo Salvini, tonitruant chef de la Ligue du Nord qui est en passe de réussir son pari de fédérer le Centre-Droite et le reporter à l’attaque : déçus par le renzisme, les électeurs sont-ils prêt à balancer une nouvelle fois vers la droite, après la fin de l’ère berlusconienne ? Après la grande illusion de Matteo Renzi, la grande occasion de Matteo Salvini ?

La chasse aux traitres

Dans les pays de grande tradition parlementaire, le chef du parti battu (et d’autant plus s’il est également chef du gouvernement) admet la défaite et, si nécessaire, démissionne sans pleurs ni fracas. En Italie, où chacun veut toujours apparaitre victorieux contre vents et marées, la réaction de Renzi au lendemain du deuxième tour des élections est plus digne d’un Kim Jong Un que d’un premier ministre britannique : la recherche des coupables et surtout leur punition. Non que les ennemis de Renzi risquent-ils de se faire fusiller à coup de missiles anti-aériens, mais la frénésie montrée par le jeune président du conseil révèle une certaine nervosité. Dans son courroux, il appelle la colère du ciel sur les ennemis traditionnels (la minorité du parti, en les accusant en surplus de bloquer le décret sur l’école et faire sauter l’embauche de cent-mille professeur à la rentrée), le maire de Rome (Ignazio Marino, déclaré presque ouvertement incompétent et invité à «ne pas rester au calme"), mais surtout son attitude trop conciliante avec les dissidents internes, ce qui revient à jeter la faute encore une fois sur ces derniers. "Renzi 2", tel il s’est nommé, ouvert au dialogue, veut redevenir "Renzi 1", le "rottamatore" sans arrière-pensées. Il s’en prend même aux primaires qui ont désigné les candidats régionaux et municipaux, sans oublier que les primaires furent la clé de sa prise de pouvoir dans le parti, il y a moins de deux ans.

La colère contre les "traitres de l’intérieur", les saboteurs, le désir de retrouver la pureté des origines, sans compromis ni médiation : Matteo Renzi ressemble dans ses jours sombres à certains vieux tyrans du XX siècle.  

Salade grecque en dessert

Matteo Renzi, aux prises donc avec une majorité parlementaire moins solide qu’auparavant et confronté à des enjeux plus grands que lui, se voit également sommé de prendre parti dans la grande tragédie grecque que vient secouer l’Union Européenne. En chef de gouvernement lige, il rabroue âprement Alexis Tsipras et ajoute sa voix au chœur unioniste conduit par Angela Merkel et Jean-Claude Juncker, mais doit constater que une partie non négligeable du Partito Democratico (toujours les maudits "gufi" !) rejoint le camp œcuménique et remuant des sympathisant italiens  du "Non" dans le referendum grecque, ensemble hétéroclite où droite et gauche se retrouvent pour apporter leur soutien au gouvernement d’Athènes mais surtout montrer toute leur défiance vers l’hôte de Palazzo Chigi (siège du premier ministre italien). En cas de victoire du "Non", la tentation de demander la tenue d’un referendum similaire sera très forte pour les oppositions italiennes et Mr Renzi verrait un nouveau front s’ouvrir devant lui.

Cela est-il improbable ? La Grèce est-elle tout à fait différente de l’Italie ? Certes, mais n’oublions pas que, dans les années 1820, ce furent la Grèce et la Question d’Orient a porter le premier coup à l’équilibre européen issu du Congrès de Vienne… 

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