Ces études qui montrent que le salaire des grands patrons n’est pas fixé de manière rationnelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Bill Gates est le patron le plus riche du monde.
Bill Gates est le patron le plus riche du monde.
©Reuters

Irrationalité économique

Alors qu’une étude publiée vendredi 4 juillet par le cabinet Towers Watson relève la sévérité du jugement des actionnaires français quant aux rémunérations des dirigeants d’entreprises, celles de leurs homologues américains sont indépendantes de leurs performances, selon plusieurs économistes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Au travers de deux études consacrées à l’analyse des causes de la hausse des rémunérations des cadres dirigeants et des grands patrons, l’économiste américaine, Kelly Shue, de l’Université de Chicago, s’attaque à l’idée d’une supposée corrélation entre hausse de ces rémunérations et la performance économique réelle des entreprises concernées. En analysant successivement les effets de réseaux sur les revenus des cadres exécutifs et les modes d’attributions des rémunérations des grands patrons américains, que celles-ci soient fixes ou exceptionnelles, bonus, actions et stock-options, l’économiste met en avant deux facteurs déconnectés de toute logique purement économique, et pointe ainsi un problème de légitimité dans la formation des inégalités.

Dans un premier temps, et dans une étude publiée en mars 2015, en collaboration avec l’économiste Richard Townsend de la Tuck Business School, Kelly Shue analyse les méthodes d’attribution des rémunérations des grands dirigeants, qu’elles soient fixes ou exceptionnelles. En effet, et progressivement depuis 1992, cette part de rémunération exceptionnelle est devenue prépondérante pour les grands patrons des 500 plus grandes entreprises américaines, c’est-à-dire dire issues du SP500 :

Décomposition des revenus des PDG (CEO) des entreprises du SP 500, de 1992 à 2010

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Or, selon les deux économistes, ces méthodes d’attribution ne seraient pas "tout à fait" liées aux résultats économiques des entreprises, mais plutôt à un effet de routine. En effet, et notamment en ce qui concerne l’attribution de stock-options au cours de la bulle technologique, le principal déterminant du nombre de stock-options attribuées pour une année X, est le nombre de stock-options attribuées l’année précédente. Soit un effet de rigidité annuelle des rémunérations plutôt que le produit d’un résultat économique réel, ou d’un quelconque "mérite". Le graphique ci-dessous apporte ainsi l’évidence d’une forte probabilité d’obtenir une rémunération équivalente à celle de l’année précédente.

Changement proportionnel annuel dans le nombre des stock-options attribuées

Un résultat que les auteurs attribuent à un manque de sophistication des méthodes de fixation des rémunérations des dirigeants au sein de ces grandes entreprises. De la même façon, et de manière moins surprenante, les niveaux de rémunérations fixes, c’est à dire les salaires, sont également empêtrés dans ce même phénomène de rigidité, offrant ainsi une relative stabilité globale des revenus de ces grands dirigeants. Sans véritable justification économique.

Puis, dans un second temps, et dans une étude antérieure publiée en 2011, la même économiste Kelly Shue analyse les effets de réseaux, c’est-à-dire l’impact des relations des personnes entre-elles, et leurs conséquences sur les niveaux de rémunération. En prenant l’exemple des classes de MBA (Master of Business Administration) de la célèbre Harvard Business School, Kelly Shue va explorer les divergences de rémunérations, non pas au travers du diplôme lui-même, mais sur les interactions existantes entre les anciens élèves. Et les résultats sont clairs :

"A l’intérieur d’une même classe de la Harvard Business School, les résultats sont significativement plus similaires parmi les diplômés d’une même section que parmi ceux issus de sections différentes, avec l’effet le plus important sur la rémunération des cadres et les stratégies d’acquisition.".

"Je démontre le rôle important des interactions sociales en révélant que l’influence des pairs est plus de deux fois supérieure l’année suivant immédiatement les réunions des anciens élèves. Une variété d’autres tests suggère que l’influence des pairs peut également impacter des réactions directes aux résultats des pairs dans un sens qui ne bénéficie pas nécessairement à la productivité des entreprises."

Ainsi, le niveau de corrélation de la rémunération des anciens élève de Harvard dépend plus des relations personnelles développées au sein d’une même classe, alors que la composition de ces classes est aléatoire, que du diplôme lui-même. Ce qui traduit un impact déterminant des relations sociales sur les niveaux de rémunération, puisque les anciens élèves se connaissent et se fréquentent. De plus, cette corrélation persiste malgré la diversité des secteurs économiques choisis par les différents élèves d’une même classe. Ce qui traduit, comme l’indique le professeur de finances Noah Smith "Le fait que l’augmentation de la rémunération persiste au travers de différentes industries signifie qu’une part de celle-ci n’est certainement pas due au réel pouvoir de productivité d’un réseau professionnel, mais de la tendance humaine naturelle à payer plus ses amis".

Ainsi, et au travers de ces deux études, l’économiste Kelly Shue met en garde contre des niveaux de rémunérations pouvant être considérées comme inégalitaires, mais plus strictement, comme pouvant être illégitimes. 

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