Pourquoi les investissements accordés par la Commission européenne à la France échappent à toute cohérence économique (mais s’inscrivent dans un projet politique bien défini)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les investissements accordés par la Commission européenne à la France échappent à toute cohérence économique.
Les investissements accordés par la Commission européenne à la France échappent à toute cohérence économique.
©Reuters

Un train d'avance

Une trentaine de projets de transports hexagonaux bénéficieront d'un financement européen, dont les très controversés Lyon-Turin et le canal Seine-Nord. La France sort grande gagnante du "mécanisme d'interconnexion" dont les premières décisions ont été dévoilées le 29 juin par la Commission européenne.

Olivier Klein

Olivier Klein

Olivier Klein est enseignant-chercheur au Laboratoire de l'économie des transports rattaché à l'Université de Lyon.

Il travaille entre autres sur les pratiques des déplacements à grande vitesse, sur la relation "transport-espace" et sur les grandes infrastructures du transport interurbain.

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Atlantico : Avec une trentaine de projets lauréats sur 276, la France se retrouve première bénéficiaire des fonds européens dans le cadre du "Mécanisme pour l'interconnexion de l'Europe". Ces choix sont-ils judicieux ? Que peut-on raisonnablement en attendre en termes de développement ? D'autres auraient-ils pu être avantagés ?

Olivier Klein : Les choix de la commission répondent à une volonté de créer un effet de levier. Jamais l'Union européenne n'avance 100% des fonds mais juste la somme nécessaire pour faire aboutir le projet. Dans le cas des quelques 800 millions d'euros annoncées pour la ligne Lyon-Turin, cette volonté est très claire. La Commission européenne a fait miroiter aux Etats français et italien ce financement contre la promesse de présenter un projet viable que l'on puisse exploiter d'ici 2020. L'Europe agit à la fois comme un levier et un moyen de pression pour créer un réseau européen de transport. Mais parmi les 33 projets plébiscités en France, pour beaucoup, l'apport européen est relativement modeste. Il s'agit seulement du financement d'études. C'est notamment le cas de la ligne LGV Bordeaux Sud Europe-Atlantique. En revanche, il existe quelques projets, deux en l'occurrence, où les fonds européens sont clairement destinés à la réalisation, à savoir la ligne LGV Lyon-Turin et le Canal Seine-Nord. Comme il s'agit des deux plus gros projets, l'UE fournit aussi les deux plus gros apports financiers, alors même qu'il s'agit d'infrastructures dont la viabilité, aussi bien économique que socio-économique, n'est pas avérée. Ces deux projets ne peuvent se réaliser que grâce à des fonds publics. Mais lorsqu'on fait la balance entre les gains de temps et les bénéfices environnementaux attendus et l'investissement, le bilan est, sinon controversé, carrément négatif. Un projet comme le Lyon-Turin répond à des préoccupations plutôt d'ordre géopolitiques, voire de prospective. On ne sait pas bien ce qui va se passer mais on croit qu'un redémarrage d'une grande liaison Est-Ouest, en l'occurrence entre la France et l'Italie, est toujours possible. C'est un choix politique mais dont la légitimité est contestable.

Pourquoi avoir choisi de favoriser l'Hexagone, déjà largement équipé en infrastructures de transport ?

Il y a plusieurs raisons. La première est que la politique française a longtemps été très largement orientée sur la construction de nouvelles infrastructures – ce qui est moins le cas en Allemagne par exemple. Dans le cas du Lyon-Turin, il faut donc comprendre que la France est un pays qui fait remonter beaucoup de projets, qui a énormément d'ambition dans ce domaine. Même si cela n'est pas forcément cohérent avec les orientations budgétaires actuelles ou la protection de l'environnement. On a pu voir des remises en cause successives au cours des dernières années de la politique du "Tout-TGV", via la commission Duron, du nom du député Philippe Duron sur les trains Intercités, ou le rapport Mobilité 21. Des initiatives qui ont voulu sabrer, ou en tout cas retoucher certains projets ferroviaires. Reste que la France demeure un pays avec une ambition dans sa politique d'infrastructure, ce qui crée un effet mécanique.

La construction de la ligne TGV Lyon-Turin ou du Canal Seine-Nord seront financées à hauteur de 40% par les fonds européens. Une dotation exceptionnelle car en général, l'aide de Bruxelles tourne plutôt autour de 20%. Pourquoi un tel investissement sur des projets par ailleurs très controversés et dont l'efficacité future est contestée ?

L'arbitrage entre les différents projets est difficile à établir, cela s'effectue en fonction du contexte. Ce qu'on peut retenir, c'est que certains choix ne font pas toujours l'unanimité. Il y a eu un choix français d'insister sur ces deux projets, et l'Union européenne a décidé de suivre, en fonction du principe de subsidiarité. C'est-à-dire quand un projet est porté par un Etat-membre, l'Europe peut le soutenir plus facilement. Même quand, comme dans le cas du canal Seine-Nord, il s'agit d'un projet franco-français, qui ne sert pas forcément à relier des frontières. A la différence du Lyon-Turin, où existe une vraie dimension européenne, ce qui explique pourquoi l'Europe va financer 40% du projet. Dans le cas du Canal Seine-Nord, il faut y voir le choix d'un compromis politique. Si l'Europe n'avait fourni que 20% de l'apport, la France ne l'aurait probablement pas financé. On connaît l'engagement ancien de l'Europe sur la création de traversées alpines. Voilà pourquoi l'Europe a pesé de tout son poids et a joué véritablement son rôle pour faire aboutir le projet Lyon-Turin. Dans le cas du canal Seine-Nord, l'Europe a clairement cédé à l'insistance de la France. Cela résulte peut-être d'une conjoncture particulière en ce moment à Bruxelles : pourquoi l'Europe voudrait-elle faire plaisir à la France en ce moment ? Il faut être connaisseur des coulisses de Bruxelles pour le savoir.

Comment comprendre la décision de la Commission européenne qui a choisi d'accorder son soutien aux régions maritimes - l'extension du Port de Calais ou la construction de Gironde XL destiné à accueillir des navires de grande taille à Bordeaux - ainsi qu'aux lignes LGV Montpellier-Perpignan ou Bordeaux-Dax mais a rejeté certains projets, comme le barreau Poitiers-Limoges ? En fonction de quels critères se sont fait les choix ?

Dans les cas que vous évoquez, il s'agit clairement de rapprocher la France de l'intérieur des frontières. Le projet de LGV Montpellier-Perpignan permet un accès plus facile à l'Espagne par exemple. Un argument plus difficile à mettre en avant pour la liaison Poitiers-Limoges. On peut cependant considérer qu'il y a des questions d'aménagement du territoire en jeu, que Limoges est au cœur d'un territoire déshérité. Mais le projet tue la liaison actuelle Paris-Limoges-Brives. Il produit donc des effets négatifs sur le territoire et pour cette raison, est controversé alors que personne ne peut dire que la ligne Lyon-Turin ne rapproche pas la France et l'Italie. Par ailleurs, l'Europe dépense des fonds dans des projets où elle a la certitude que l'argent sera effectivement dépensé sur la période budgétaire qui court jusqu'à 2020. Il s'agissait d'une condition majeure pour la LGV Lyon-Turin : que les controverses juridiques soient levées et que les Etats assument leurs responsabilités. Ce qui n'était pas garanti pour la liaison Poitiers-Limoges.

Quels montants d'investissements ces 30 projets représentent-ils pour les finances françaises ? Pour quelles retombées économiques potentielles ?

Il faut rappeler que le tronçon Lyon-Turin n'est pas une ligne de TGV, mais juste une liaison ferroviaire qui doit permettre le passage des LGV et des trains de marchandise. L'Union européenne ne finance que le tunnel de base, de 50 kilomètres de long, qui relie Val de Suse, côté italien, et Saint-Jean-Maurienne. Elle fournit dans un premier temps 800 millions d'euros. Sur 8 milliards que coûtera la réalisation de liaison ferroviaire, elle en paiera 3 milliards en tout. La France et l'Italie se répartiront les 5 milliards restants, 40% pour l'un, 6% pour l'autre. Au nom de quelle cohérence investit-on dans ces projets-là et pas dans d'autres ? Le bilan carbone de ces deux projets restera négatif à l'horizon 2050.  Entre logique budgétaire et logique environnementale, on peut se poser la question de leur légitimité. Pour les retombées économiques, la question n'est pas moins controversée. Dans le cas du Canal Seine-Nord, on promet un port tous les 20 kilomètres. Mais qui utilise les liaisons par canaux aujourd'hui ? On peut certes argumenter que ce projet relie Paris à la mer du Nord où la majorité des ports, à l'exception de Dunkerque, sont étrangers. Cela revient à ouvrir une voie royale pour le port de Rotterdam sur le marché français mais cela crée aussi une concurrence pour le Havre. Dans le cas du Lyon-Turin, la route propose déjà des tarifs extrêmement bas avec lesquels le train n'est peut-être pas en mesure de rivaliser. Le train est efficace pour le transport de marchandises lourdes. La liaison Lyon-Turin constituera donc un atout aussi bien pour l'exportation de San Pellegrino dans un sens que pour Evian dans un autre.  Mais pour le transport de matériels comme par exemple les puces électroniques en provenance de Grenoble, la route offre de meilleure performance. La liaison Lyon-Turin est efficace pour les transports de longue distance, entre Milan et Paris par exemple mais pas pour relier deux villes distantes d'à peine 300 kilomètres. Et il est toujours très difficile d'estimer les retombées économiques d'une infrastructure. L'installation des entreprises dépend de tellement d'autres facteurs, comme les charges salariales ou le l'environnement économique. 

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