Islam contre islam : un an après sa proclamation, le jusqu’au-boutisme du Califat l’a-t-il renforcé ou fragilisé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le symbole de Daesh.
Le symbole de Daesh.
©Reuters

Même contre Al-Qaïda

L'attentat perpétré vendredi après-midi 26 juin contre le complexe touristique de Sousse en Tunisie a été revendiqué par l'Etat islamique quelques heures plus tard. Un an après la constitution de Daesh, ses djihadistes semblent gagner du terrain.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Voici un an que les djihadistes de Daech ont fondé leur "Etat islamique". L'un des objectifs principaux de l'organisation était de fonder l'umma islamiyya, c'est-à-dire la nation islamique. Peut-on dire, un après, que cet objectif soit en bonne voie ?

Alain Rodier : L’ « Etat Islamique » a rencontré d’indéniables succès depuis la date de sa proclamation le 29 juin 2014. Tout d’abord, il est parvenu à se maintenir sur les territoires qu’il avait conquis de haute lutte depuis la fin 2013/début 2014 en Irak et en Syrie même s’il a connu depuis l’automne de l’année dernière des revers autant dus aux frappes de la coalition qu’à l’esprit de résistance des forces kurdes, du régime de Damas et des milices chiites. Force est de constater que Daech a toujours gardé l’initiative, se retirant sans pertes majeures de zones soumises à forte pression (Kobané et Tikrit) et reprenant l’offensive -même à Kobané- là où cela lui était possible comme à Ramadi et à Palmyre. C’est lui qui impose son rythme sachant que s’il passe à une phase défensive, c’est le début de sa fin car la lassitude gagnera alors rapidement ses militants. Cependant, il est vrai que ses troupes donnent l’impression de piétiner sur le front syro-irakien. Il a alors étendu ses opérations à l’étranger faisant appel à la « bonne volonté » d’activistes déjà en place depuis des années mais qui souhaitaient obtenir le « label » Etat Islamique rendu célèbre par sa série impressionnante de victoires et surtout, par l’établissement d’un « Etat » à qui ne manque que le Ministère des Affaires étrangères. Vivre sous la bannière de l’EI est devenu un objectif pour de nombreux islamistes radicaux en mal de reconnaissance.

Dans sa hiérarchie des ennemis, l'Etat islamique positionne les hérétiques musulmans en haut de sa liste. La stratégie visant à opprimer les chiites -De nombreux attentats ont d'ailleurs été perpétrés depuis le début du ramadan contre des mosquées chiites- attise les tensions communautaires. Cette oppression systématique peut-elle réalistement s'opérer alors que l'Etat islamique vise à administrer des territoires et donc des habitants ?

Il est totalement exact que les hérétiques musulmans, les « apostat » comme ils sont généralement désignés, sont les premiers ennemis désignés par la vindicte de Daech. Ce n’est pas une nouveauté : Moussab al Zarqaoui, le père fondateur d’Al-Qaida en Irak AQI) qui est devenu l’Etat Islamique d’Irak (EII) avant d’étendre son combat en Syrie en prenant l’appellation de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL), avait déjà fait la preuve de sa haine des chiites allant jusqu’à indisposer Al-Qaida central. La nébuleuse n’a jamais montré une telle vindicte à l’égard des chiites même si elle les combat également, particulièrement au Pakistan et aujourd’hui au Yémen. Pour l’instant, cela ne pose pas de problème à l’EI car les territoires contrôlés ne comportent pas de chiites. Cela ne l’empêche pas de les attaquer là où ils vivent en situation minoritaire, dernièrement au Koweït et en Arabie saoudite. Après les chiites viennent les dirigeants de tous les pays musulmans (et les musulmans dits « modérés ») considérés comme des vendus à l’Occident puis, enfin, les « mécréants » : les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, les agnostiques, etc.

Quelles sont les limites de ce jusqu'au-boutisme ?

Personne ne trouve grâce aux yeux des activistes de Daech en dehors des membres de leur secte. Même l’interprétation de la doctrine salafiste-djihadiste qui est voisine de celle pratiquée par Al-Qaida « canal historique » et du wahhabisme saoudien, lui est propre : un retour à l’islam guerrier des origines. Toute personne qui n’est pas soumise à cette version de l’islam est considérée comme ennemie.

Comment expliquer notamment qu'une organisation à priori aux mêmes objectifs comme Al-Nusra soit aujourd'hui un vigoureux adversaire de l'Etat islamique ? Quels alliés lui reste-t-il ?

L’opposition entre Daech et Al-Nosra est une affaire d’hommes (et d’ego). Abou Bakr al-Baghdadi voulait diriger Al-Nosra qu’il a contribué à former. Son émir, al-Julani est un des ses anciens lieutenants de l’EII. Julani a voulu s’émanciper de la tutelle encombrante de son ancien chef et en a appelé à l’arbitrage d’al-Zawahiri, le leader d’Al-Qaida « canal historique ». Ce dernier lui a donné raison en affirmant qu’al-Nosra était la représentation officielle d’Al-Qaida « canal historique » en Syrie et priant al-Baghdadi de retourner mener le djihad en Irak -et rien qu’en Irak-. Depuis ce temps, al-Baghdadi en veut à mort à al-Zawahiri qu’il accuse de n’avoir jamais rien réalisé de concret. Il lui a même demandé de lui faire allégeance. Inutile de dire que cela a été apprécié à son juste niveau par ce dernier qui est plus vieux d’une vingtaine d’années, ce qui devrait théoriquement inspirer le respect dans ce type d’organisation patriarcale. Mais peu importe à al-Baghdadi qui revendique son côté révolutionnaire.

En dehors du théâtre syro-irakien, des mouvements islamiques radicaux qui existaient déjà lui ont fait allégeance dont le plus connu est Boko Haram (Nigeria). Le plus récent est celui de l’Emirat du Caucase qui couvrirait la Tchétchénie, le Daghestan, l’Ingouchie et la Kabardino-Balkarie. Toutefois, en dehors de l’estampille « EI », ces formations chercheraient à recevoir une aide en personnels et financière d’al-Baghdadi. Il semble qu’en dehors de la branche implantée en Libye, ce ne soit actuellement pas le cas.

Cette stratégie déployant une terreur porte-t-elle toujours ses fruits, au regard des musulmans séduits par l'Etat islamique aujourd'hui ? 

Malheureusement, pour le moment les horreurs auxquelles se livre Daech ne semblent pas servir de repoussoir aux musulmans tentés par son idéologie. Il convient de nommer les choses telles qu’elles sont : Daech égorge, décapite au couteau, au sabre et au cordeau détonnant (câble explosif), brûle et noie des victimes enfermées dans des cages, crucifie, jette des homosexuels depuis le haut d’immeubles, lapide, fusille, estropie, fouette, etc. et tout cela en public et en médiatisant à dessein ses ignominies. Ses objectifs sont bien évidement de créer un sentiment de terreur chez ses ennemis mais aussi d’attirer à lui tous ceux qui sont fascinés par tant de morbidité. Indubitablement, cela ne fait pas appel à ce qu’il y a de meilleurs dans l’Homme.

En fait, le point fondamental réside dans le fait que Daech, ses affidés et ses recrues, sont animés par une haine incommensurable à l’égard des autres. A terme, cela a une limite. En effet, le nombre des adversaires de l’EI se multiplie puisqu’il a déclaré la guerre à l’humanité toute entière.

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