Professeur handicapé frappé en pleine classe : quand les carences éducatives de l'enfance se transforment en faits divers tragiques à l'adolescence<!-- --> | Atlantico.fr
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Un professeur handicapé a été frappé et humilié par ses élèves.
Un professeur handicapé a été frappé et humilié par ses élèves.
©Reuters

Défaillance collective

Un professeur, souffrant d'un handicap, a été frappé et humilié par ses élèves dans un lycée professionnel de Bègles (Gironde). Ceux-ci ont ensuite fait circuler sur les réseaux sociaux une vidéo montrant ces actes. Un fait grave qui montre une carence remontant bien avant l'adolescence.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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On s'émeut aujourd'hui de ce jeune professeur stagiaire tabassé sans ménagement par une bande d'adolescents de ces lycées professionnels où l'on évacue pudiquement les cancres d'un système scolaire à bout de souffle. Et l'on fait mine de s'étonner que des presque mioches puissent jouir, téléphone portable en main, de leurs exactions groupales, les diffuser ensuite sur les réseaux sociaux sans souci de l'éventuelle sanction qu'en fait ils n'ont jamais vraiment rencontrée depuis qu'ils sont petits. Ni la sanction, ni d'ailleurs la considération des adultes, laquelle leur permet de se poser en personne ayant une forme d'autorité reconnue.

Et la crise d'adolescence aura encore bon dos, permettant de "comprendre" les errements fréquents, très fréquents, puisqu'une enquête parue l'été dernier démontrait qu'un responsable d'établissement sur deux s'était déjà fait agresser. L'affaire de Bègles est tout sauf une surprise et on aurait surtout bien tort de croire qu'il s'agit d'adolescents auteurs de l'un de ces fameux « pétages de plombs », lesquels ont aussi bon dos que les crises de nos jeunes à qui il ne faudrait surtout pas faire la moindre morale, au prétexte que cela serait affreusement réactionnaire.

Non, la cause de ce déferlement inopiné de violence, ne se situe pas seulement dans une adolescence malmenée ou méprisée dans ce que l'on a coutume d'appeler des classes poubelles et qui ne devraient justement pas en être.

Côté parents, on paye là ces habitudes modernes de se pâmer benoîtement devant les petites têtes blondes de nos garçons que l'on souhaite bagarreurs et virils, parce que c'est valorisant et puis c'est trop drôle, d'être le géniteur d'un vrai petit caïd. Et on a ri au début, devant des mains levées sur maman, non réprimées, des gros mots et des bêtises non sanctionnés, des comédies pendables devant lesquelles on a cédé parce que tout cela est possible tant que l'enfant est petit. Et puis l'enfant a grandi et les âneries sont devenues moins drôles, les accès de violence moins anodins. Alors on a commencé, croit-on, à éduquer, disons, à tenter de réparer les dégâts. Mais voilà, les plis pris avant six ans sont ceux qui restent. Ces habitudes permises à nos enfants petits, de tenir tête aux adultes, d'exprimer colères et pulsions, de traiter d'égal à égal avec des géniteurs, puis finalement de supérieur à inférieurs, puisque l'enfant est comblé, quasiment en toutes circonstances, par des parents à son service, deviennent des traits de comportement qui vont s'ancrer durablement dans le fonctionnement des enfants, puis des adolescents et enfin des jeunes gens. Ils seront parfois coupables de violences retrouvées à la une des journaux et qui se terminent en marches blanches avec la boule au ventre. Comment en est-on arrivé là ? L'éducation doit commencer très tôt, avant la marche et avant la parole, elle sécurise, fixe les cadres, permet à l'enfant d'évoluer en société et d'aller au devant de ses congénères en toute sécurité, car ils vont tous maîtriser des codes communication et de comportement communs. Faute de quoi, l'enfant devenu exaspérant, fait l'objet d'un rejet, par la parole, le mépris, les longues heures de garderie ou de cantine, l'abandon, jusqu'à point d'heure, au milieu des bâtiments ou des lotissements, faute de pouvoir fixer sereinement des heures de coucher.

Côté école, on paye la soumission à la filière générale, à cette école de l'abstraction qui sélectionne les esprits capables de conceptualisation et ne travaille que pour ceux-là. On paye le dogme des 80 % et plus de succès au bac, peu importe les compétences, l'orthographe et la maîtrise de ces codes de communication et comportement communs. Il faut absolument ce bac sanctionnant uniquement une aptitude à bien répéter le jour J, entre huit heures et midi un matin de juin. Pour les autres, c'est encore le rejet, dans ces établissements de seconde zone, mais il ne faut pas le dire, dans des filières manuelles et professionnelles, patiemment dévalorisées, aboutissant à des métiers mal perçus, comme s'il n'était pas valorisant d'être un bon serveur ou un bon chaudronnier. Filières dans lesquelles on retrouve nos cancres issus des écoles primaires et maternelles, cheminant cahin-caha, entre échecs scolaires et comportements inacceptables, et que pourtant on ne recadrera jamais suffisamment fermement, tant que cela est encore possible, par la discipline et le travail. Parce que l'école n'a plus ce pouvoir, parce que c'est réactionnaire et stigmatisant. Alors on prévient, une fois, deux fois, trois fois, dix fois, qu'une sanction va tomber et finalement, elle ne tombe jamais. Ou alors, trois jours d'exclusion dont on tire parfois, un comble, une certaine fierté. Comment dès lors, imaginer qu'elle puisse tomber ? Alors on peut toujours se défouler sur les réseaux sociaux et sortir, avec 130 000 copains, chaque année, du système sans le moindre diplôme... en grande majorité des garçons.

Et ces enfants, habitués à leur fonctionnement pulsionnel depuis les âges les plus tendres, se retrouvent là, rejetés une fois par des parents, parfois débordés à l'extrême et une seconde fois, par une école déboussolée, ne sachant pas vraiment gérer ceux qui ne relèvent pas de l'enseignement général abstrait. Ces mauvais plis de l'enfance interdisent toute forme d'autorité de la part d'adultes, laminent la barrière des générations et les possibilités d'actes éducatifs. On se retrouve avec des enfants parlant à des gens qui pourraient être leurs parents ou grands parents, comme à des copains, voire à des inférieurs. Comment dès lors s'étonner qu'ils passent à l'acte ?

Fort heureusement, le scénario noir de cet article est gradué. Passé les 20 % à 25 % d'enfants bénéficiant d'une éducation leur permettant d'instaurer des rapports sains avec les générations précédentes et les camarades de leur classe d'âge, on s'échelonne le long d'une ligne de pente vertigineuse. Peu de travail, des devoirs non faits, une fréquentation en pointillés, un soupir agacé quand le prof demande de se taire, une défiance ouverte face à la simple réprimande, les insultes en plein cours et en bout de ligne, le tabassage collectif d'un jeune prof stagiaire sans doute peu assuré, peu formé et en état de faiblesse parce qu'handicapé. Ne nous y trompons pas, ces actes, même les plus barbares, ne sont qu'aveux, de la part des intéressés, d'une incapacité à entrer en relation avec les codes communément admis en société, donc une marque de faiblesse éducative et psychique.

On parle sobrement de génération Y ou Z, ça ne fâche pas trop. Plus concrètement, on cherche des profs, on étouffe la plupart des affaires de ce type, on surnote toutes les copies pour limiter la perception des dégâts, ne pas fâcher les parents électeurs et on déverse dans une société collective de travail, de performance et de compétition, des jeunes gens peu préparés à ce qu'on leur propose et incapables, plus ou moins, de se prendre en charge. Au final, pour les jeunes incriminés, faute d'éducation, il ne restera que la répression : jusqu'à quand ?

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