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Les talibans continuent leur progression en Afghanistan.
Les talibans continuent leur progression en Afghanistan.
©REUTERS/Thaier Al-Sudani

Coucou, c'est encore nous

Depuis le début du printemps, les talibans ont lancé une vaste offensive dans le Nord de l'Afghanistan. Après s'être assuré le contrôle de ses bases historiques du Sud et de l'Est du pays depuis le retrait de l'Otan, ils tentent d'étendre leur zone d'influence. Objectif : arriver en position de force à de futures très probables négociations avec le gouvernement de Kaboul. Mais derrière cette offensive, l'extension récente de Daech fait craindre bien pire.

Karim  Pakzad

Karim Pakzad

Karim Pakzad est chercheur associé à l’Institut de recherches Internationales et Stratégiques (IRIS). Il a été professeur de sciences politiques à Kaboul.

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Atlantico : Où en est-on de l'offensive des talibans dans le Nord de l'Afghanistan? Ont-ils atteint leurs objectifs?

Karim Pakzad : Les talibans ont lancé ce qu'ils appellent "l'offensive du printemps" qui a débuté il y a deux mois après la fonte des neiges ; l'Afghanistan étant un pays montagneux. Cette offensive a créé une situation jusqu'alors inconnue en Afghanistan car l'attaque des talibans est massive dans deux directions. Tout d'abord en direction de la capitale, Kaboul, qui est censée être la ville la plus protégée du pays. Or on a assisté à de nombreux attentats dont le plus spectaculaire il y a quatre jours contre le Parlement afghan. C'est un lieu extrêmement protégé mais cela n'a pas empêché les talibans de commettre leur attentat. L'autre direction de cette offensive s'est faite dans des zones jusqu'à présent épargnées par les talibans comme actuellement le Nord du pays. Là-bas, plusieurs provinces dont deux très importantes sont menacées. Parfois même certains districts de ces deux provinces ont été occupés momentanément  voire durant plusieurs semaines par les talibans. Il s'agit de la province de Badakhchan qui se trouve à l'extrême nord-est de l'Afghanistan et qui possède des frontières communes aussi bien avec le Tadjikistan et le Pakistan que la Chine. Et justement la Chine est de plus en plus active dans cette zone régionale notamment en Afghanistan. La deuxième province du Nord où les talibans ont lancé leur offensive est elle aussi située à la frontière du Tadjikistan c'est-à-dire de l'Asie centrale et donc de la Russie. Il s'agit de la province de Kunduz. Ce sont dans ces deux zones très sensibles sur le plan de la géopolitique internationale que les talibans ont lancé leur offensive.

Le Sud et l'Est de l'Afghanistan sont les bases historiques des talibans. Pour quelles raisons ont-ils choisi d'attaquer au Nord ? Pourquoi choisir cette zone pour déployer une vaste offensive?

A l'origine, le mouvement taliban était et est toujours un mouvement ethnique, à savoir des Pachtounes. Et les bases de cette ethnie se trouvent à la frontière pakistanaise au Sud et à l'Est de l'Afghanistan.  Or depuis le retrait des troupes de l'Otan le 28 décembre dernier, ils sont assurés de l'occupation de leurs bases historiques du Sud et de l'Est. Maintenant, le plus important pour les talibans est d'étendre leur influence dans le reste du pays. C'est la raison pour laquelle en bénéficiant du retrait des forces de l'Otan dans le Nord, à savoir des soldats allemands, les talibans ont lancé leur offensive dans cette zone de l'Afghanistan. Les talibans ont dans le même temps profité de petites poches pachtounes dans le Nord du pays pour servir de point de départ à une extension de leur zone d'influence à partir de cette partie du pays.

Dans cette entreprise, les talibans ont été aidés par le mouvement islamique d'Ouzbékistan dans cette partie du monde qui comprend l'Afghanistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Pakistan. Depuis le début de la guerre en Afghanistan, Al-Qaïda avait un allié important qui était ce mouvement islamique d'Ouzbékistan or ce mouvement est assez actif au Nord du pays et il a été par le passé très actif dans les zones tribales avec Al Qaïda. Et ce mouvement, comme les talibans, veut étendre son influence dans le Nord de l'Afghanistan. Mais ce qui est aussi important c'est qu'on commence à observer l'implantation de Daech dans cette zone du qui est donc devenue potentiellement une vraie poudrière. Des analystes russes et chinois pensent que l'EI tente d'étendre son influence jusqu'en Asie centrale en recrutant parmi les talibans du Nord du pays. Preuve en est de l'inquiétude qui monte autour de cette région, la Russie a pris l'initiative avec ses alliées d'Asie centrale d'organiser une grande manœuvre militaire de l'autre côté de la frontière afghane au Tadjikistan. Cela montre l'inquiétude des Russes de voir Daech s'implanter dans cette région. Mais l'EI a déjà mis un pied en Asie centrale. En définitive, on a affaire à une situation extrêmement fragile dans cette partie du monde. Le souci c'est qu'au sujet de l'EI on se focalise sur la Syrie ou l'Irak alors qu'il a déjà étendu son influence jusqu'à l'Afghanistan et l'Asie centrale.

Avancée dans le Nord du pays, commando suicide contre le parlement de Kaboul lundi dernier... Pourquoi assiste-t-on a une poussée des talibans en ce moment précis? Que cherchent-ils?

On est en présence d'une situation très complexe en Afghanistan. Le retrait des troupes de l'Otan a coïncidé par pur hasard avec la montée de la menace de Daech au Pakistan mais aussi en Afghanistan. Certains chefs talibans pakistanais et afghans ont affiché leur ralliement à Abou Bakr al-Baghdadi. Au début on n'a pas pris cette menace au sérieux mais maintenant au Pakistan, ils parviennent à organiser des attentats suicides. En Afghanistan aussi il faut rester méfiant. C'est cette situation menaçante qui a poussé le gouvernement pakistanais à se rapprocher de son voisin afghan. Aujourd'hui il y a une vraie détente et même une coopération entre Islamabad et Kaboul, deux pays qui étaient pourtant jusqu'à présent en conflit. L'Afghanistan a toujours reproché en effet à son voisin d'appuyer les talibans, ce qui n'est pas faux. La menace de Daech a été prise au sérieux par les deux pays et c'est la raison pour laquelle ils se sont rapprochés. Des pourparlers ont débuté sur la question militaire ainsi que du renseignement. Et le Pakistan pour la première fois a dit aux talibans que s'ils ne négociaient pas avec le gouvernement de Kaboul alors il stoppera son soutien envers eux. Et le pouvoir du Pakistan sur les talibans est énorme car on sait que leurs chefs se trouvent sur le sol pakistanais. Pour les talibans, toutes les aides financières et en armements venant des pays du Golfe passent par le Pakistan. Donc si le gouvernement d'Islamabad décide effectivement de lâcher les talibans, ceux-ci perdront énormément de terrain.

Mais en même temps, il y a une ambigüité de la position du Pakistan car il se sert aussi des talibans comme d'une arme pour arriver en position de force lors des négociations avec Kaboul. Les talibans restent des moyens d'influence d'Islamabad en Afghanistan. L'objectif du Pakistan en vue de ces négociations est de lutter contre le terrorisme mais aussi de parvenir à étendre son influence sur son voisin afghan qui a été jusqu'à présent principalement sous la coupe de l'Inde.

Enfin, le mouvement des talibans, qui est extrémiste et rigoriste, est en même temps un mouvement nationaliste à la différence de Daech. Tout ce qu'ils veulent c'est reprendre le pouvoir à Kaboul. Ils ne s'occupent pas des pays étrangers. Et donc ils ont voulu rappeler à la population leur logique nationaliste et leur différence avec Daech. C'est la raison pour laquelle, ils ont essayé de marquer de points sur le terrain, en montrant leur capacité à occuper et à administrer certains districts pour qu'ils puissent être en position de force si demain des négociations s'engagent sérieusement avec Kaboul. Aujourd'hui ces négociations ne sont pas encore officielles mais des rencontres commencent à avoir lieu de manière informelle. Donc la perspective de ces négociations est aussi une des raisons de l'offensive des talibans dans le Nord du pays. Et puis les talibans ont été invités en Chine, à Oslo ou encore en Turquie. Aujourd'hui les talibans ont réussi à apparaître comme une force sans laquelle on ne pourrait pas négocier la paix. Ils ont tout fait pour être un acteur indispensable à inviter à la table des négociations. Quoiqu'il en soit, on est sûr que l'on est à un tournant. Ce que les Américains n'ont pas réussi à obtenir en plusieurs années de présence va peut-être se passer. Des négociations pour la paix vont bien avoir lieu même si une large partie de la population afghane reste réticente à un rapprochement avec son voisin pakistanais qui pourrait mettre en danger sa souveraineté nationale. De fait une grande partie des Afghans se sentent vulnérables et fragiles face au Pakistan.

A la suite du départ des Soviétiques d'Afghanistan, le pays s'était effondré. La guerre civile s'était installée entre les différents groupes armés moudjahidines et l'armée du gouvernement communiste… Quelle comparaison peut-on faire avec le départ dans 6 mois des derniers soldats américains? Va-t-on parvenir à la même situation de chaos?

Je ne pense pas que l'on puisse comparer les deux situations. Quand l'Armée rouge a décidé de quitter l'Afghanistan, elle a laissé derrière elle un gouvernement communiste qui comme aujourd'hui ne contrôlait qu'une partie du territoire et qui a fait face à la rébellion  moudjahidines. Ce gouvernement a résisté trois ans avant de s'effondrer car l'URSS avait laissé énormément d'armes, de chars, d'avions et de missiles à son armée. Mais en quittant l'Afghanistan, les Soviétiques savaient que le gouvernement mis en place n'allait pas durer longtemps. Le pouvoir communiste afghan a alors lancé une politique d'union nationale car il savait qu'il n'avait pas la force de se maintenir. C'est la raison pour laquelle des négociations ont vite débuté entre le gouvernent et une partie des moudjahidines. Le gouvernement communiste a donc à ce moment-là abandonner le pouvoir. Mais ce n'était pas une surprise car ils ne faisaient pas le poids face aux moudjahidines. La grande différence avec la situation actuelle c'est que les moudjahidines avaient le soutien des Américains, du Pakistan ou encore de l'Iran. Aujourd'hui, le seul pays qui aide dans une certaine mesure les talibans c'est le Pakistan. Mais les talibans ne sont aidés par aucune grande puissance étrangère. C'est la raison pour laquelle ce qui menace le pays ce n'est pas tant le retrait des troupes américaines ou les ambitions des talibans que le changement dans la région provoqué par la progression de l'EI jusqu'au Pakistan et petit à petit à l'Afghanistan. Le problème c'est qu'avec le retrait des troupes de l'Otan du territoire afghan, on ne parle plus du pays dans les médias occidentaux alors que là il y a un danger réel qui menace l'Afghanistan. 

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