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Vice Versa, le film de Pixar, est sorti sur les écrans ce mercredi 24 juin 2015.
Vice Versa, le film de Pixar, est sorti sur les écrans ce mercredi 24 juin 2015.
©Pixar

Animation cérébrale

Le film "Vice Versa" décrit le parcours d'une petite fille et la manière dont ses émotions, qui sont représentées par de petits personnages, agissent sur son développement et ses souvenirs. Une représentation tout à fait proche de la réalité.

Hervé Platel

Hervé Platel

Hervé Platel est professeur de neuropsychologie à l’université de Caen. Il fait également partie d’une unité de recherche Inserm sur les effets de la musique sur notre cerveau.

Internationalement reconnu pour ses travaux sur la neuropsychologie de la perception musicale, il a montré les réseaux cérébraux impliqués dans la perception et la mémorisation de la musique. Ses travaux permettent également de développer des méthodes musico-thérapeutiques de prise en charge chez les patients déments Alzheimer.

Il a notamment co-écrit Le cerveau musicien (De Boeck Université, 2010).

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Atlantico : Le dessin animé "Vice et Versa" décrit ce qui se passe dans la tête d'une petite fille de onze ans à travers des personnages qui représentent ses émotions. En quoi ce film est-il parvenu à vulgariser le fonctionnement du cerveau ? 

Hervé Platel :  Vice Versa est certainement le premier long métrage de dessin animé neuropsychologique. Ce film est la reprise de quelque chose que tout le monde connaît, à savoir la série "Il était une fois la vie", un dessin animé qui voulait vulgariser le fonctionnement du corps humain dans son ensemble et pas seulement celui du cerveau. Dans ce dessin animé des années 1980, le petit homme barbu traditionnel représentait les fonctions de contrôle et de décision.  Mais dans "Il était une fois la vie", les émotions étaient plutôt là pour perturber ces fonctions de contrôle et de décision plutôt que pour fournir une aide à la prise de décisions. Or depuis les années 1990 et les travaux, aux Etats-Unis, notamment d'Antonio Damasio, un professeur de neurologie portugais qui travaille à l'Université de Californie, ont montré que les émotions sont essentielles à la prise de décision et à notre mémoire et qu'il n'y a pas à faire de distinction entre émotion et raison. Les deux fonctionnent ensemble. Vice Versa reprend donc cette idée car dans ce film, ce sont bien les émotions qui sont au cœur de notre développement, de notre prise de décision et aussi de nos souvenirs, c'est-à-dire que ce sont elles qui déterminent les souvenirs qui seront importants pour nous. On voit bien qu'il y a un renouveau dans les conceptions, en disant que les émotions sont les moteurs mêmes de nos prises de décision, de notre psychologie. On peut faire des liens avec les travaux des neurosciences et même des travaux, plus anciens, de la psychanalyse traditionnelle.

Le film met beaucoup l'accent sur la mémoire. L'un des personnages, appelé "Tristesse", peut rendre triste un souvenir simplement en le touchant. Les souvenirs, en particulier ceux des enfants, sont-ils à ce point malléables ?

Les souvenirs changent en fonction des émotions. Ce qu'évoque le film – le lien entre émotion et souvenirs – est tout à fait juste. Les émotions sont des marqueurs de nos souvenirs. Ce que nous vivons, nous allons le mémoriser en fonction de la nature des émotions que nous associons à ces souvenirs. Les souvenirs vont avoir une importance et être conservés en lien avec la résonnance émotionnelle que ce souvenir va avoir. Emotions et souvenirs fonctionnent donc bien ensemble, soit pour conserver un souvenir, soit au contraire pour le chasser de notre mémoire. Pour ce personnage appelé Tristesse, le film suggère quelque chose de très juste, à savoir l'aspect dynamique de la relation entre émotion et souvenir. Tristesse représente une évolution de Ryley, l'héroïne qui fonctionnait beaucoup sur le mode de la joie tant qu'elle était enfant et  qui, petit à petit, en grandissant et en atteignant l'adolescence, va prendre conscience d'un certain nombre de choses. Ses anciens souvenirs changent alors de nature. Tristesse les touche et ces souvenirs prennent une autre tonalité, deviennent "mélancoliques", joyeux et tristes à la fois, certains complètement tristes et d'autres un mélange des deux. La mélancolie est une émotion beaucoup plus complexe que les enfants commencent à ressentir et à échafauder avec le développement.

Le film montre aussi comment les souvenirs, représentés par des "boules" de couleur sont fondamentaux pour l'identité de Riley, l'héroïne de 11 ans. Quand ils disparaissent - aspirés dans un tuyau avant de tomber dans un ravin - sa personnalité se met à changer. Est-ce vrai ? Les souvenirs sont-ils à ce point déterminants dans le développement ?

Les souvenirs, on le sait désormais, forgent notre identité. Il y a un lien fort entre les deux. Il est rare qu'on perde son identité même si on perd sa mémoire. L'amnésie d'identité, les gens qui ne se souviennent même plus de qui ils sont, est extrêmement rare. On trouve plus souvent des pathologies de type Alzheimer, c'est-à-dire des gens qui se souviennent de leur passé mais n'arrivent plus à assimiler à long terme de nouveaux souvenirs. Pour ces patients, différentes études, que nous avons menées montrent qu'ils conservent leur identité. Il y a un noyau dur d'identité qui est conservé malgré la destruction de la mémoire. Autre exemple : il existe des cas cliniques d'enfants nés avec des malformations du cerveau, notamment au niveau des hippocampes, les circuits de la mémoire. Ces enfants vont développer le même type d'amnésie que pour les patients d'Alzheimer.  Ils n'arrivent plus à encoder les souvenirs mais vont mémoriser le monde autour d'eux. Ils ont une mémoire sémantique mais pas épisodique. Les" souvenirs épisodiques" sont le film d'une journée, les petites boules de cristal que l'on voit dans le film. Or, ces enfants avec des troubles de la mémoire épisodique ont beaucoup de mal à se projeter dans le futur. Car non seulement notre mémoire nous permet de savoir qui nous sommes mais aussi comment nous allons construire notre futur, ce que nous avons envie de faire pour notre avenir.

Cinq personnages se partagent l'esprit de Riley : Joie, Colère, Tristesse, Peur et Dégoût. "Joie" semble jouer un rôle prédominant. Est-ce une bonne façon de voir les choses ?

Ces cinq émotions – Joie, Tristesse, Colère, Peur et Dégoût – sont les émotions de base, les émotions universelles, que l'on retrouve dans toutes les cultures, même si elles s'expriment différemment parfois suivant les pays. Il y a une exagération dans le film avec la mise en avant de la joie, il s'agit plus d'un tempérament de développement de la petite fille. On s'aperçoit dans le film que chez les autres personnages, la distribution des rôles est différente pour montrer quelle émotion est prépondérante. Cela représente différents types de personnalités et de tempéraments développés dans l'enfance. C'est le côté un peu caricatural du film : montrer que tout, toute notre vie intellectuelle est liés à nos émotions. Il y  a des décisions que nous prenons en dehors d'affect ou de ressenti émotionnel. C'est aussi ce qui nous distingue de l'animal qui raisonne de façon instinctive et qui est soumis aux émotions immédiates qu'il ressent. Les humains ont la possibilité de prendre du recul par rapport à leurs émotions et de prendre des décisions. L'angle d'attaque du film est un peu excessif de ce point de vue-là : nous ne sommes pas guidés en permanence par nos émotions.  Nos émotions guident nos grandes  décisions en fonction de notre mémoire. Ce que nous avons aimé ou détesté dans notre passé va guider nos décisions dans le futur.  Les émotions teintées de l'expérience vécue guide notre comportement. Mais toute la pensée n'est pas émotionnelle.

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