Grèce : sommet d’urgence et bal des hypocrites <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Grèce : sommet d’urgence et bal des hypocrites
©Reuters

Danse avec les loups

Bruxelles accueille ce lundi 22 juin un sommet extraordinaire des chefs d'Etat européens pour tenter une dernière négociation avec le gouvernement d'Alexis Tsipras. Les possibles scénarios de sortie de crise font perdre leur sang-froid à un certain nombre d'analystes et de citoyens.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Un certain nombre de personnes sont en train de perdre leur sang-froid :

  • Les analystes, qui depuis des années nous affirment qu’une sortie de la Grèce est impensable, et que de toute manière ce dossier (ce n’est pas un pays, c’est un dossier) ne fait plus bouger les courbes des marchés. Mon œil : la BCE décide de balancer plus de 1000 milliards d’euros le 22 janvier 2015, alors même que la « reprise » est au coin de la rue en zone euro comme chacun sait, et 5 mois plus tard le CAC40 rode à… 4800 points. De plus ce « QE » était censé abaisser les spreads de taux des pays périphériques ; nada. La Grèce fait donc toujours contagion, parce qu’au fond les marchés voient bien que derrière se profile l’échec de l’euro : une sortie, c’est-à-dire une dévaluation, libérerait le potentiel de ce pays écrabouillé depuis 7 ans ; ce qui donnerait des idées à d’autres. Trouvez-moi dans l’histoire un seul cas où la sortie d’un régime de changes inadapté et une annulation concomitante d’un gros paquet de dettes après des années de déflation n’a pas débouché sur une vraie reprise économique.   
  • Les contribuables. Dieu merci ils ne savent pas toute la vérité. Comme on a refusé la monétisation de la dette de la Grèce, ou du moins sa compartimentalisation à la BCE (comme des dettes de Fannie Mae à la FED, ou des dettes deslandesbanken à la Bundesbank…), on l’a budgétarisée, c’est-à-dire qu’elle repose aujourd’hui concrètement sur vous et sur moi, contribuables. Les institutions privées ne détiennent pratiquement plus rien, tout a changé depuis 5 ans, le mécanisme européen dit de solidarité a pris le gros paquet pour lui. Donc : on pousse à bout des gens qui n’ont plus grand-chose à perdre, et qui peuvent nous planter de 70 milliards (pour la France seule…). Comme il sera difficile de gagner une présidentielle après une hausse de 2 points de TVA (à moins bien entendu de faire payer les entreprises, celles-là mêmes à qui on demande de croire à la « reprise » et au pacte de compétitivité, et d’investir dans cette belle zone euro de solidarité), l’Elysée et Bercy commencent à stresser. Et à préparer avec leurs agences de communication des arguments pour charger la Grèce, car il ne faudrait pas que le contribuable réalise que la spéculation sur les titres grecs aurait pu être tuée dans l’œuf en octobre 2009 si la BCE avait bougé le petit doigt, ou que le sujet aurait pu être neutralisé puis éteint dans un bilan de banque centrale ni vu ni connu (et qu’on ne me dise pas que ces 300 milliards monétisés sur 5 ou 10 ans auraient provoqué une déferlante d’inflation à l’échelle de la zone euro !).
  • Les économistes organiques, pseudo-structuralistes, toujours prompts à dénoncer les rigidités du haut de leurs chaires universitaires, toujours révoltés contre les rentes entre deux conseils d’administration consanguins. Ils passent leur temps à douter des efforts de la Grèce. Peut-être faudrait-il leur rappeler les chiffres. Evolution du solde budgétaire primaire, ajusté du cycle, en % du PIB, de 2009 à 2014 : la Grèce, à +18,6%, est championne du monde de l’austérité, devant l’Irlande (+10,2%), puis les Etats-Unis (+3,7%) et la zone euro (+3,4%). La France est à +2,6% (par des hausses d’impôt, pas par des baisses de dépenses…), l’Allemagne à +0,7%. Le Luxembourg, la Suisse et la Suède ont enregistré des déficits structurels en légère hausse sur la période (tout en bénéficiant comme l’Allemagne de conditions monétaires avantageuses). En clair : un pays coincé par un taux de changes ubuesque et des taux d’intérêt léonins a rééquilibré ses comptes budgétaires et externes avec une rapidité jamais vue depuis les années 1930, mais ce n’est pas assez, il faut rajouter 3 nouvelles années d’ajustements structurels (en fait, plutôt 30 ans au rythme où va la dynamique auto-entretenue de la dette, et compte tenu du fait que tous les efforts dits de « compétitivité » sont annihilés tous les 6 mois par une nouvelle chute de la Turkish Lira). Les popes, les possesseurs de piscines non-déclarées et les armateurs, voilà les ennemis !  
  • Les énarques socialistes reconvertis dans le business (la tribunede Gracques dans Les échos l’autre jour). C’est gonflé : les élites françaises ont lourdement insisté pour que la Grèce intègre l’euro (toujours cette myopie devant les méfaits d’un régime de changes fixes, passons), et ils ont laissé se faire l’odieux sommet de Deauville et l’échange « volontaire » qui a spolié les banques (toujours cette incapacité à peser face à l’Allemagne, passons). Ils ont mis Siriza au pouvoir, après avoir dégagé Papandréou et son referendum. Maintenant, ils viennent nous dire que tout ça ce n’est pas très gentil, que ça va réduire les chances de Hollande en 2017, donc réduire un peu leur perspectives sur Paris. C’est vrai, le monde est trop dur.  
  • Les fédéralistes, genre anciens de l’UDF, bien propres sur eux, la conscience tranquille. Derrière les discours fédéralistes obligatoires, on ne donne rien aux grecs, pas un euro, depuis 2009 ; on leur prête, et à des taux très supérieurs à leur PIB nominal en chute libre (prêter à 4,5% à un pays qui perd un quart de son activité en 5 ans, c’est ça le fédéralisme ?), on ne lâche rien, et on ne les inclut même pas dans le QE de la BCE. On les traite moins biens que des pays africains à qui on annule les dettes, ou que l’Islande qui a planté tout le monde. On a laissé le FMI intervenir, on a imposé une conditionnalité bête et méchante, digne du café du commerce ; la crédibilité des grands airs fédéralistes après tout cela est nulle. Les « Etats-Unis d’Europe » ?
  • Pour parler comme Rueff, on aura les conséquences ; en fait, on les a déjà. Soit les grecs nous envoient enfin bouler, et nous perdons nos derniers espoirs de reprise, surtout si la BCE reste sur ses positions. Soit nous capitulons, nous sauvons alors l’essentiel mais la Grèce reste la tête sous l’eau (elle ne s’en sortira jamais avec l’euro)… et Syriza s’installe pour un bon moment.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Les anciens pays du bloc soviétique sont-ils en train de devenir les meilleurs ennemis de la Grèce ?Grèce : François Hollande et Matteo Renzi ont une "position commune" et le président veut trouver un accord le plus vite possibleGrèce : le dernier sommet avant de (peut-être) plier boutique

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !