Les anciens pays du bloc soviétique sont-ils en train de devenir les meilleurs ennemis de la Grèce ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le gouvernement grec de Syriza se heurte à l'hostilité de l'Allemagne.
Le gouvernement grec de Syriza se heurte à l'hostilité de l'Allemagne.
©Reuters

Les Grecs sur le front de l'Est

Si le gouvernement grec de Syriza se heurte à l'hostilité de l'Allemagne, il ne devrait pas trop en attendre des pays d'Europe centrale et orientale. Au dernier sommet européen, à Riga en Lettonie, Yanis Varoufakis s'est confronté à certains de ses homologues de cette région de l'UE dans laquelle il n'existe qu'une seule recette anti-crise : la cure sévère d'austérité.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : A Riga le Ministre grec des finances, M. Varoufakis, a plaidé pour la restauration d'une pension de 13 mois en Grèce. Il s'est heurté à la franche hostilité de son homologue slovaque, Peter Kazimir, qui venait de refuser cette mesure à ses propres syndicats nationaux. Ce dernier a été notamment soutenu par son collègue slovène. Aujourd'hui qu'est-ce qui explique que les pays d'Europe centrale et orientale (membres de l'UE) s'opposent avec animosité à la Grèce ?

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, aucun n’est dirigé par des partis proches de Syriza. La gauche au sens ouest-européen du terme – ou "liberal" au sens nord-américain – y est quasiment inexistante. Et l’extrême gauche façon Syriza, avec son héritage compliqué de luttes contre la dictature des Colonels et son internationalisme, n’y existe pas du tout. Toutes les élites dirigeantes des grands partis de gouvernement ne connaissent qu’une seule vision de l’économie et de la société : ils sont à 100%, non seulement pour l’ "économie de marché", mais même pour la "société de marché". Paradoxalement, dans ces pays, ce sont uniquement  les partis les plus à droite, comme le Fidesz dans sa version actuelle "populiste" en Hongrie ou le PiS en Pologne qui osent encore s’inquiéter du sort des pauvres, des travailleurs, et plus généralement de tous ceux dont l’économie de marché n’a que faire –même si par ailleurs ils choisissent soigneusement leurs pauvres (si possible ne faisant pas partie d’une minorité comme les Roms).

Par ailleurs, dans tous ces pays, en 2008-09, c’est-à-dire avant même que l’on parle de "crise des dettes souveraines" à partir du cas grec, il y a eu des ajustements structurels encouragés par l’UE et souvent suivis par le FMI. Tous les gouvernants de ces pays ont fait comme si leur Etat dépensait trop, alors qu’il s’agissait le plus souvent d’une bulle de crédit privé provoqué par les banques des pays riches de l’Europe (Autriche, Suède, France, Allemagne en particulier). Ces gouvernements de l’est ont appliqué avec une absence presque totale de pitié pour le sort des populations les plus fragiles de leurs pays des recettes drastiques bien connues des pays africains ou sud-américains en pareils cas. Le cas le plus emblématique de cette situation est constitué par les pays baltes. Ils sont du coup devenus le modèle pour le FMI, comme l’a dit Madame Lagarde, parce qu’ils ont su couper  à toute vitesse dans les dépenses publiques sans aucune pitié. Il est vrai qu’il était facile de faire passer des mesures très antisociales dans ces pays, puisqu’elles frappaient en réalité prioritairement les populations russophones des dits pays, et qu’il existait une possibilité d’émigration facile pour les Baltes non-russophones (largement liée aux diasporas outre-Atlantique). Il est vrai aussi que ces Etats baltes ne dépensaient alors presque rien pour leur défense nationale. Ils comptaient sur les autres Européens et sur les Etats-Unis pour les protéger de la Fédération de Russie. Ils ont un peu changé d’avis depuis…

Par ailleurs, les réactions citoyennes aux coupes budgétaires ont été largement inexistantes dans ces pays, parce que les populations y sont habituées par des décennies de dictature communiste à accepter leur sort et ne peuvent pas s’appuyer sur une forte société civile. En plus, en pratique, le bas de la société ne va tout simplement pas voter, ce qui évidemment facilite des choix politiques qui permettent de supprimer toutes les dépenses en sa faveur. En outre, les syndicats sont tellement faibles dans ces pays, qu’il est très facile pour un gouvernement de diminuer les salaires des fonctionnaires de 25% sans qu’ils se plaignent  (comme ce fut le cas par exemple en Roumanie ou en Lettonie).  Bref, les dirigeants de ces pays ne comprennent tout bonnement pas ce qu’est une démocratie dans lequel les citoyens s’organisent pour revendiquer leurs droits sociaux. Le plus effrayant dans cette histoire est qu’il s’agit de l’inverse de la constatation de Keynes dans les années 1920 : l’économiste anglais avait constaté que la baisse drastique des salaires était impossible à cause du rôle des syndicats, il fallait donc inventer le keynésianisme ; aujourd’hui, on est revenu à l’est de l’Europe à la situation d’avant 1914 : s’il faut ajuster les salaires  pour regagner de la compétitivité en régime de change fixe (que ce soit l’Euro ou un peg avec l’Euro), c’est simple : il suffit de les baisser et les salariés acceptent faute de pouvoir protester. En Grèce, ce n’est pas la même chose : les gens protestent, se défendent, s’organisent. Il faut ajouter sans doute un dernier élément : en Grèce, les prix n’ont pas suivi assez la baisse des salaires. Dans certains de ces pays, il y a eu aussi un ajustement de ce côté-là, ce qui permet bien sûr aux gens de survivre. En Grèce, le poids du tourisme dans l’économie complique les choses.  

Les pays d'Europe centrale ont le souvenir d'un passé récent difficile, celui du communisme mais aussi des sévères mesures d'austérité consécutives à la crise de 2008. Y a-t-il une dimension idéologique dans leur affirmation que "s'ils ont payé, les Grecs doivent également payer" ?

Oui, bien sûr, tous les gouvernements, qu’ils soient de droite libérale ou de gauche socialiste modérée, sont totalement persuadés que "l’Etat est le problème et le marché la solution". Par ailleurs, ils semblent croire sincèrement à la thèse de l’austérité expansionniste : plus on économise sur le budget de l’Etat, plus à terme on encourage la croissance. A la fois à cause des années de communisme  où tout ce qui est étatique est vu comme dangereux et inefficace et à cause d’un formatage des élites politiques actuelles par des think tanks néo-libéraux, il n’y a aucune réflexion possible sur le rôle de l’Etat, sur sa responsabilité sociale face à ses citoyens. Il existe par ailleurs une immense dose de mauvaise foi : en effet, les dirigeants de ces pays tendent à souligner que leurs propres retraités sont plus "pauvres" que les retraités grecs. C’est sans doute vrai exprimé simplement en euros, mais cela revient à oublier complètement ce qu’on peut acheter réellement avec la même quantité nominale d’euros quand on vit à Athènes ou quand on vit dans une petite ville de l’est de la Slovaquie. Ils font semblant de ne pas voir la détresse sociale bien réelles des Grecs, il est vrai qu’il ne voit d’ailleurs guère plus celle de leurs propres concitoyens.

Des pays comme la Slovaquie, la Pologne ou la Tchéquie sont économiquement et politiquement très liés à l'Allemagne. Est-ce cette proximité qui les pousse à défendre la ligne dure de l'austérité défendue par Angela Merkel ?

De fait, la plupart des élites de ces pays ont adopté une ligne néo-libérale, et ont voulu copier en tous points la réussite allemande. En plus, leurs économies sont largement des succursales de l’industrie allemande à laquelle ils fournissent des pièces détachées. Ils ont du coup tout intérêt à soutenir la vision allemande de l’Eurozone : l’Allemagne continue à être une puissance exportatrice qui ne doit pas payer le coût de l’ "union de transferts", et surtout continue à importer depuis ses voisins au travail low cost ce dont elle a besoin pour rester compétitive. Il faut souligner enfin que tous ces pays sont particulièrement sensibles sur le point de la souveraineté nationale. Comme ils ont subi le joug soviétique, ils ne veulent pas en réalité d’une perspective fédérale pour l’Union européenne. Ils sont d’accord sur ce point avec la droite allemande : l’Union européenne et l’Euro, c’est très bien pourvu que les budgets nationaux restent strictement séparés. Ils sont donc comme l’Allemagne radicalement contre l’idée d’une "union de transferts", c’est-à-dire un Etat fédéral européen. Il est vrai qu’ils attendaient surtout après 2004 de toucher les "fonds européens" venus des caisses des pays riches de l’Ouest- et non pas d’avoir à abonder un pot commun pour sauver l’Euro pour ceux qui en sont membres. C’est aussi à cause de cet anti-fédéralisme, parfois à la limite de l’anti-européisme (comme en Hongrie), qu’ils ne veulent pas payer pour un autre Etat, la Grèce, un pays de carte postale donnant sur une mer chaude peuplé en plus de gauchistes protestataires et fainéants.

Peut-on aujourd'hui affirmer que ces pays, les Baltes et ceux du groupes de Višegrad (Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Pologne), émergent désormais comme une force diplomatique à part entière dans le règlement des différends européens ? De quelle façon pourraient-ils s'opposer aux puissances européennes "historiques" ?

Oui, ils font plus entendre leur voix. Les règles de vote du Traité de Lisbonne ne leur sont pas plus favorables que celle du Traité de Nice, mais  la situation diffère largement de celles des années 1990-2000, où ces pays étaient prêts à tout accepter ou presque pourvu qu’ils puissent entrer dans le club européen. Indéniablement, ils ont pris confiance, d’autant plus que certains sont sortis de la crise économique depuis quelques années.

En effet, cette nouvelle diplomatie plus active dans la défense de son point de vue géopolitique ou de ses intérêts vaut seulement pour les pays ayant à peu près stabilisé leur situation économique ou disposant d’un leadership fort. La Bulgarie, par exemple, est toujours aussi peu importante dans le jeu. Or il se trouve que les mieux en forme économiquement ou politiquement parmi ces pays (la Pologne et les pays baltes) sont très en pointe dans l’hostilité à la Fédération de Russie. Certains notent à ce propos qu’il existe une sorte d’esprit de revanche baltique contre les Russes, partagé par les Suédois, les Baltes, et les Polonais.

Par ailleurs, comme leurs gouvernements sont en général à droite, voire aux limites de l’extrême-droite (comme en Hongrie), ils donnent de la voix pour défendre une vision nationaliste, fermée, de l’Union européenne. C’est malheureusement assez logique : tous ces pays sont des victimes de l’histoire des Empires russe, ottoman et austro-hongrois dans cette région du monde, et ils n’ont réussi à avoir leur Etat-nation à eux que depuis un siècle au plus. Ce sont des "nations ethniques", qui ne sont pluriethniques en pratique que par la faute des détours de l’histoire (du genre la minorité hongroise en Slovaquie ou en Hongrie). Heureusement, pour l’instant, sur le dossier russe par exemple, les pays de l’Ouest européen arrivent à maintenir une ligne un peu moins va-t-en-guerre que celle voulue par le bloc baltique. Sur les autres dossiers, les puissances européennes "historiques" gardent aussi la main, parce qu’il faut rappeler qu’encore en 2015, ces pays restent des poids lourds démographiques et économiques par rapport aux petits pays de l’est, à l’exception de la Pologne et de la Roumanie. En tout cas, leur émergence dans le jeu européen l’a encore compliqué. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !