Journée internationale du yoga : comment l’Inde tente d’en faire une arme diplomatique

Atlantico : En quoi cette journée internationale du yoga est-elle un acte diplomatique fort ? Quelle est l'intention de Narendra Modi, qui tient à faire accéder l'Inde au rang de grande puissance internationale, dans la mise en place d'une telle journée?

Isabelle Saint-Mezard :Narendra Modi a obtenu des Nations-Unies que le 21 juin soit célébré comme la journée mondiale du yoga. Cette initiative s’inscrit dans un projet diplomatique plus vaste, visant à promouvoir le rayonnement international de la culture indienne, et en l’occurrence surtout de sa composante hindoue. Dans la même perspective, Modi entend par exemple promouvoir l’ayurveda, la médecine traditionnelle indienne. Fin 2014, il a même créé un portefeuille ministériel spécial (dénommé "AAYUSH") pour la promotion des pratiques thérapeutiques indiennes traditionnelles (yoga, ayurveda, naturopathie, etc). Cette démarche n’est pas entièrement surprenante dans la mesure où Modi appartient à un courant idéologique qui survalorise – souvent en les réinventant – les traditions de l’Inde ancienne, cela en vue de rendre la majorité hindou fière de son patrimoine et de sa civilisation.

Quelle est la stratégie sur le long terme d'un point de vue international de cette politique? Accord économique, renforcement de la culture indienne, développement de l'hindouisme... ?

Dans une perspective de soft power, cela contribue à projeter l’image d’une Inde attrayante. Cela conforte aussi une certaine tendance dans le pays (bien au-delà des cercles nationalistes hindous) à considérer que la civilisation indienne a développé au cours des millénaires des savoirs et des techniques à vocation universelle.

Plus prosaïquement, cela peut contribuer à renforcer l’industrie touristique dans le pays, cette industrie ayant été identifiée par le gouvernement Modi comme un secteur clef à promouvoir pour créer des emplois et faire rentrer des devises.

Sur le plan national, en quoi renforcer un symbole de l'hindouisme traditionnel peut-il être une preuve d'autorité ?

Pour marquer ce premier jour du yoga, Modi a prévu un événement de masse, avec la tenue à Delhi d’une session de yoga rassemblant plusieurs milliers de personnes. Les fonctionnaires à Delhi ont été incités à participer à cette session, ce qui reflète la volonté affichée par le Premier ministre depuis le début de son mandat d’établir un étroit contrôle sur l’appareil bureaucratique.

Indirectement, cet événement contribue à ériger Modi en modèle de "l’honnête homme hindou". Modi a fait largement savoir qu’il était un adepte du yoga, et il s’est plus généralement flatté de son mode de vie (présenté comme plutôt ascétique) en recommandant à tous de suivre son exemple. De ce point de vue, cette initiative fleure bon le paternalisme, si ce n’est le culte de la personnalité en Inde même.

Enfin, certains mots ont été échangés entre leaders musulmans et maîtres yogis au sujet de l'importance et de la nécessité des rites du yoga, qui sont rejetés par la population musulmane: quel est le message envoyé aux musulmans d'Inde par la mise en place de cette journée ?

D’une certaine façon, on peut considérer que cette initiative de promotion du yoga – c’est-à-dire d’une pratique très liée aux système de croyance hindou – s’inscrit dans le projet plus général des nationalistes hindous, lequel consiste à faire accroire que l’Inde se définit essentiellement dans et par l’hindouisme. Cela signifie en creux que l’Islam et le christianisme ne peuvent pas prétendre être aussi "indiens" que l’hindouisme, car pour les idéologues "durs" de l’hindutva ("hindouité" dans son acception idéologique), ces confessions sont apparentées à des systèmes de croyances venus de l’étranger. Autrement dit, si l’on veut voir cette initiative de journée mondiale du yoga avec un certain esprit critique, on peut considérer qu’elle participe d’un projet idéologique plus vaste, consistant à redéfinir l’identité de l’Inde essentiellement à partir de sa composante hindoue.