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Le début du ramadan laisse craindre une reprise des attaques de l’Etat islamique
©Reuters

Abou Bakr al-Almanach

Moment hautement symbolique et spirituel pour tout musulman, le mois du ramadan l'est aussi pour les fanatiques, dont les djihadistes de l'Etat islamique. Mais pour eux, pas question de joindre la trêve au jeûne. Voulant marquer l'anniversaire de leur "califat", ils risquent de redoubler de violence, avec pour première cible les chiites.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le mois du ramadan est synonyme de repos et de spiritualité pour les musulmans. Pourtant, pour l'Etat islamique c'est un moment privilégié. Qu'est-ce qui fait du ramadan, un mois spécial pour les djihadistes ?

Alain Rodier : Depuis les "années noires" en Algérie au début des années 1990, le mois du ramadan (le neuvième mois du calendrier hégirien au cours duquel Mahomet eu la première révélation du Coran) a toujours été l'occasion, pour les activistes djihadistes d'intensifier leurs opérations terroristes.En effet, pour eux, cette période est "propice au djihad" car le monde musulman est alors mobilisé. D’ailleurs, rien dans l’islam n’interdit de se livrer à des actes de guerre durant cette période dans la mesure où le jeûne et les autres obligations religieuses sont respectées. Il ne faut pas confondre le ramadan avec les "mois sacrés" qui existaient auparavant dans l’Arabie préislamique polythéiste avec, effectivement, des périodes de trêve obligatoires.

Les années précédentes, les attentats planifiés par Daech ou d'autres organisations similaires se sont-ils faits plus nombreux et meurtriers durant cette période ?

Il faut se rappeler que Daech a pour ancêtre Al-Qaïda en Irak (AQI) né en 2003 après l’invasion américaine. Ce mouvement est devenu en 2006 l’"Etat islamique d’Irak" (EII) puis l’"Etat islamique en Irak et au Levant" (EIIL) quand il a débordé sur la Syrie après la révolte de 2011. Le 29 juin de l’année dernière, le "califat islamique" a été proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi. Il est à craindre qu’il ne tienne à "commémorer" ce sinistre anniversaire par quelques actions d’éclat. A savoir que la manie commémorative est une constante au sein des mouvements salafistes-djihadistes.

L’ennemi numéro un de Daech ayant toujours été les chiites, la période du ramadan est favorable car ces derniers fréquentent alors régulièrement les lieux saints et constituent ainsi des objectifs très vulnérables. Ce sont eux qui sont les premières victimes comme cela a commencé à Sanaa au Yémen les 17 (la veille du ramadan) et 20 juin, et à Bagdad le 17 juin. Bien sûr, il ne faut pas oublier les tueries qui se déroulent au Pakistan où les chiites sont régulièrement attaqués, au Nigeria et dans les pays limitrophes (au Tchad le 15 juin). En Afrique noire, Boko Haram vise tous ceux qui s’opposent à lui avec une prédilection pour les chrétiens car il n’y a pas de chiites dans la zone.

Historiquement parlant, ramadan et djihad sont fort liés. Déjà, pendant la vie du prophète la Bataille de Badr et la conquête de la Makkah, deux guerres saintes, avaient eu lieu pendant le mois du ramadan. Un rapport récent dressé par The Institute for the Study of War a déclaré que l'objectif de Daech, durant ce mois, pourrait être de prendre le contrôle d'une nouvelle ville historique ou d'un endroit hautement symbolique pour les chiites. Est-il donc stratégiquement important pour l'Etat islamique de frapper plus fort durant ce mois du ramadan ?

La prise d’un lieu symbolique chiite est effectivement un objectif tentant pour les activistes de Daech (moins pour Al-Qaïda "canal historique" représenté en Syrie par le Front Al-Nosra, qui considère les chiites comme des "traîtres à l’islam" -des apostats- mais qui n’entretient pas la même haine viscérale vis-à-vis de cette communauté).

Le problème tactique réside dans le fait que des lieux tels que Samarra, Kerbala, Nadjaf, etc. sont très protégés par les forces régulières et des milices chiites locales appuyées par d’importants renforts de pasdaran iraniens et de hezbollahi libanais. Il n’est pas certain que Daech puisse y remporter une victoire décisive, et si c’était le cas, ce serait au prix de lourdes pertes. Or, Daech a pour règle de préserver la vie de ses combattants car ses effectifs, quoique importants -les chiffres de 25.000 à 35.000 hommes sont avancés-, restent insuffisants pour contrôler les territoires déjà conquis. D’ailleurs, quand la situation ne lui est pas favorable, Daech préfère se replier en bon ordre en menant des combats retardateurs à l’aide de tireurs isolés et de pièges. Donc, je ne pense pas que l’on va assister à des conquêtes importantes de villes symboliques.

Il peut toutefois y avoir quelques exceptions :

  • La base aérienne de Deir Ez-Zor qui est un réduit des forces gouvernementales syriennes. Elles sont complètement encerclées en terres contrôlées par Daech. La garnison ne peut être ravitaillée que par les airs.
  • Les rares positions encore tenues par l’armée irakienne dans la province d’Al-Anbar, particulièrement Haditha (et son barrage sur l’Euphrate), Habaniya et la base aérienne Ayn al-Asad où des instructeurs américains sont présents.

Dans ces deux cas, il est possible que les forces loyalistes se replient avant d’être définitivement coincées. Ce seront des grandes "victoires" médiatisées mais presque sans combats. La grande crainte est la maîtrise totale de l’Euphrate par Daech qui pourrait utiliser l’eau comme une arme.

L’Armée syrienne risque aussi d’être soumise à une rude pression à Alep du fait de la difficulté à ravitailler ses forces. Mais là, c’est surtout l’Armée de la conquête (une coalition dont le noyau dur est le Front Al-Nosra) qui est à la manœuvre. Seule difficulté, cette coalition rebelle s’oppose à Daech dans la région ce qui hypothèque une partie de ses forces.

Par contre, les attentats à la voiture piégée et kamikazes devraient se multiplier dans les villes symboliques du chiisme mais aussi à Bagdad et à Damas. En effet, les volontaires au martyre sont nombreux et "consommables". Il s’agit majoritairement d’étrangers qui reçoivent une formation accélérée et qui sont envoyés comme chair à canon sans état d’âme, d’autant que la confiance qui leur est accordée par les cadres de Daech reste limitée.

On sait que l'Etat islamique fonde son action sur une mythologie d'origine islamique, qui fait écho pour une grande partie des musulmans sunnites. Comment des attentats commis pendant le ramadan pourraient-ils être perçus par la communauté musulmane du monde ?

La communauté musulmane du monde n’est pas monolithique. Une partie sera horrifiée par ce qui va se passer mais, malheureusement certains devraient, au contraire, être galvanisés par ces tueries. En dehors du phénomène psychologique attraction-répulsion que suscite ce genre d’abominations, cela sera considéré par les sympathisants à la cause salafiste-djihadiste, comme un défi lancé aux gouvernants impies et apostats.

Daech a un besoin existentiel de garder l’initiative. Il est donc condamné à aller de l’avant. La défensive n’est pas dans ses gênes et serait nuisible au moral des troupes. Il lui faut faire oublier la prise à la mi-juin du poste frontière de Tel Abyad par les kurdes du PYD (Parti de l’Union Démocratique). En effet, la route de ravitaillement la plus courte et la plus sûre depuis la Turquie de Raqqa, la "capitale" du califat, est aujourd’hui coupée. Daech va tenter de se venger et l’attentat suicide semble être le moyen le mieux adapté dans ce type de situation.

Si le groupe en lui-même prépare des attentats, ceci signifie-t-il également que des "électrons libres" s'identifiant à l'organisation terroriste pourraient également organiser des attentats pendant cette période ? Dès cet instant, peut-on penser que tout Etat pourrait en être la cible ?

Daech n’est heureusement pas encore présent partout. Mais, des appels au passage à l’action sont régulièrement lancés demandant aux "électrons libres", soit de rejoindre des terres de djihad (Syrie, Irak, Libye, Nigeria), soit, s’ils ne peuvent pas le faire, de lancer des opérations terroristes là où ils se trouvent. Il n’est aussi pas exclu que des djihadistes rentrés à domicile sur ordre ne passent aussi à l’action.

Bien qu’affaiblie, la nébuleuse Al-Qaïda "canal historique" (1) peut aussi tenter de se relancer à l’occasion d’opérations terroristes.

Pour conclure, si rien de très significatif ne semble se dessiner sur les terres de djihad traditionnelles, l’alerte terroriste est à un niveau très élevé pour les semaines à venir.

(1) Son émir, Ayman al-Zawahiri, a le plus grand mal à communiquer vers l’extérieur, ses forces sont engagées au nord-ouest et au sud-est de la Syrie, au Yémen, en Afghanistan, au Pakistan, en Libye, au Sahel, …. Les volontaires préfèrent rejoindre Daech  plus en "odeur de victoire". Seule certitude : Al-Qaïda "canal historique" veut frapper les Américains.

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