L’Otan réalise des exercices militaires massifs pour impressionner la Russie... mais ne parvient à la dissuader de rien<!-- --> | Atlantico.fr
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La mer baltique est stratégique
La mer baltique est stratégique
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gros bateaux

L'OTAN a récemment conduit une manœuvre d'ampleur en mer Baltique. Ces opérations militaires ne sont pas le fruit du hasard, tant le théâtre d'opération est un lieu stratégique et le timing choisi fait suite à de nouvelles provocations russes.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico. L'Otan a très récemment mené des manœuvres militaires dans la mer Baltique. Dans quel contexte s'inscrivaient ces exercices ? Quel était le but recherché ?

Cyrille Bret : Les exercices militaires conduits par l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN) dans l’espace baltique ont de quoi impressionner. Du 5 au 15 juin, l’organisation a réalisé un exercice aéronaval rassemblant plus de 5000 militaires et près de 50 navires issus des flottes de 17 Etats dont les plus grandes puissances navales du continent : la France et le Royaume-Uni. Commencées dans le port polonais de Gdynia, les manœuvres se sont achevées dans la ville portuaire stratégique allemande de Kiel. Elles se sont donc déroulées non loin de l’enclave russe de Kaliningrad, l’ancienne cité prussienne Königsberg (patrie de Kant), située à l’articulation de la Pologne, au sud, et des pays baltes, au nord, en plein espace post-soviétique. Il s’agit là de manœuvres militaires d’ampleur, conduites dans un espace stratégique immédiatement au contact de la Fédération de Russie, de son « étranger proche » et de sa sphère d’influence traditionnelle, depuis le 18ème siècle.

Le contexte de ces exercices est bien évidemment tendu. Certes, ces exercices nommés BALTOPS sont conduits régulièrement depuis 1971 par les Etats membres de l’Alliance atlantique. Ils sont annuellement destinés à contribuer au renforcement des capacités de défense anti-sous-marine, aérienne, et d'interception des navires suspects et de débarquement d’amphibies. Leur déroulement pourrait sembler obéir à une logique de récurrence ordinaire s’il ne s’inscrivait dans une montée régulière des tensions.

La semaine dernière, le président de la Fédération de Russie a annoncé la mise en place d’un programme de 40 missiles balistiques intercontinentaux capables d’échapper aux systèmes d’interception anti-missiles. De son côté, l’OTAN multiplie les signes de défiance ou d’hostilité, c’est selon : ainsi, le général Petr Pavel a-t-il déclaré, peu avant le début des opérations en baltique, le 28 mai 2015, que l’OTAN serait capable d’investir l’Ukraine et les Etats baltes en quelques jours, en cas d’agression russe.. De plus, les Etats-Unis ont évoqués l’idée d’installer des bases militaires dans les Etats baltes. Couplés à une prolongation des sanctions de la part de l’Union européenne décidée cette semaine et aux initiatives bilatérales du président russe en Italie, les signes de tension se sont multipliés durant les semaines écoulées, de part et d’autre. C’est rien moins que l’équilibre européen issu de la chute de l’URSS qui semble remis en question.

L’objectif de l’OTAN est bien évidemment de prolonger le rapport de force avec les forces armées russes. L’espace baltique ne constitue qu’une des cases d’un échiquier beaucoup plus large où d’autres espaces (Arctique, Mer Noire, Asie centrale) et d’autres formes de tension (politiques, économiques, culturelles) sont en jeu.

Comment la Russie a-t-elle réagi ? Quel type d'impact les démonstrations de force de l'Otan ont-elles sur Poutine ? Ont-elles vraiment un caractère dissuasif ?

La Fédération de Russie a réagi de façon traditionnelle, par la voie des canaux étatiques et par ceux de la presse : les déclarations officielles ont souligné le caractère massif et hostile de tels exercices, la presse russe a relevé que le tempo et l’ampleur choisis constituaient un message clair de la part de l’OTAN : elle est sur ses gardes ailleurs qu’en Ukraine. Le rapport de force est prolongée et s’inscrit dans une spirale d’escalade.

L’incident intervenu le 11 juin 2015 a cristallisé cette tendance : un chasseur russe a en effet survolé une partie de l’escadre OTANienne à basse altitude (500 pieds, 150 mètres environ). Largement couvert par la presse américaine, il apparaît comme le symbole d’une lutte d’influence dans l’espace baltique, dans l’est de l’Europe et, plus largement, sur les marges de l’espace russe, dans l’Arctique, en Mer Noire et bien évidemment en Ukraine. C’est pour cette raison que le site que je dirige, EurAsia Prospective consacre une série d’études à chaque de ces espaces.

Il convient toutefois de ne pas surestimer la portée de la rhétorique et des exercices de l’OTAN sur les autorités russes : celles-ci ripostent, de façon graduée et inventive, aux différentes initiatives prises par l’OTAN dans l’ancien espace soviétique. D’une certaine façon, les présidences Poutine ont eu pour fil rouge stratégique cette tension stratégique avec l’OTAN : les années 2000 ont été émaillées de tensions autour de l’installation par les Etats-Unis d’un bouclier anti-missile en Europe orientale (Pologne, Roumanie) contre les visées iraniennes mais également contre les forces russes. C’était rien moins que le dernier vestige de la puissance de l’URSS, la force de frappe nucléaire intercontinentale, qui était visée. De plus, les opérations aux marches sud de la Russie, en Afghanistan notamment, ainsi que l’élargissement de l’OTAN à des pays de l’espace soviétique et du Pacte de Varsovie ont conduit la Russie à se considérer comme trahie : la non extension de l’OTAN à l’est avait en effet fait l’objet d’un accord verbal entre les autorités russes et la président américaine de Bush père. Les manœuvres de l’OTAN ont un effet irritant plutôt que dissuasif sur les autorités russes.

Que sait-on des visées russes sur la Baltique ?

Les intérêts nationaux de la Russie dans l’espace baltique sont séculaires et bien identifiés : avec la Mer Noire, la Mer Baltique constitue l’objectif maritime essentiel de l’Etat russe depuis le 18ème siècle. La création ex nihilo de Saint-Pétersbourg en 1703 par le créateur de l’Etat russe moderne, Pierre 1er dit « Le Grand » sur les rives du Golfe de Finlande souligne la communauté de destin entre l’essor de l’Etat russe et la maîtrise de l’espace baltique, en mer et sur terre. La cité a en effet été créée non seulement pour doter la Russie d’une capitale moderne, maritime et européenne pour faire pièce à la capitale antique, continentale et asiatique qu’est Moscou ; mais elle aussi été conçue pour être un vecteur de puissance : la flotte russe est créée, comme la ville, à partir de rien et grâce aux compétences étrangères importées par Pierre 1er des Etats qu’il admirait : les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ; Saint-Pétersbourg, puis Pétersbourg puis Léningrad a aussi été la capitale de la révolution industrielle russe, la Mecque des capitalistes et de la bourgeoisie des règnes d’Alexandre II à Nicolas II ; elle a enfin été le lieu essentiel des révolutions russes, en 1905 et en 1917.

L’espace baltique est un enjeu de puissance pour la Russie car il constitue une route maritime par le nord pour sa flotte militaire et pour sa marine marchande. Mais l’espace baltique le met au contact de ses rivaux : au 18ème siècle, la Suède, au 19ème siècle l’Allemagne, au 20ème siècle l’OTAN.  Cet espace confiné, écologiquement fragile et économiquement déterminant est une ligne de vie pour la Russie.

Le parallèle avec l’espace de la Mer Noire est important : comme la Baltique, la Mer Noire est un vecteur essentiel de la puissance maritime russe. La lutte pour le contrôle des détroits turques et pour l’accès aux mers chaudes répond à la même logique : lutter contre l’enclavement et l’encerclement de la Russie. Ce facteur a joué sur l’annexion de la Crimée en mars 2014… Delà à prévoir une reconquête militaire territoriale d’espaces baltiques, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir : certes, les minorités russes sont importantes dans les Etats baltes, mais le rattachement à l’OTAN et à l’UE des Etats baltes les placent à l’abri des actions militaires ouvertes. En revanche, ces Etats sont sous le feu roulant de cyberattaques, notamment en 2009.

Les objectifs stratégiques russes en Baltiques sont de maintenir le rapport de force dans une situation qui lui est défavorable et où elle est marginalisée : les Etats baltes se sont arrachés à sa sphère d’influence en adhérant à l’Union européenne et à l’OTAN ; la Suède est sur le qui-vive depuis les incidents de décembre autour d’un sous-marin russe ayant pénétré dans ses eaux territoriales ; l’OTAN veille à maintenir la pression sur la Russie là et en Arctique.

Quelle serait la bonne méthode pour dissuader les intentions russes sans provoquer d'escalade ? L'Otan manque-elle de clairvoyance sur la question ?

A mon sens, l’OTAN manque de doigté dans ses rapports avec la Fédération de Russie. Certes, le maintien d’un rapport de force est essentiel : les Occidentaux ne sont pas audibles à Moscou quand ils sont iréniques. Mais les menaces répétées d’extension de l’OTAN à l’Ukraine, le choix d’une rhétorique dure par les secrétaires généraux successifs de l’organisation, Rasmussen puis Stoltenberg, ou encore le projet de bouclier anti-missiles sont des provocations inutiles pour la Russie. Des actions plus discrètes mais plus durables seraient plus efficaces.

La difficulté de l’OTAN est que, née de la Guerre Froide en 1949, elle a été confrontée, durant les années 1990 au vertige de la « perte de l’ennemi » comme l’a nommé alors Pascal Bruckner. Sans adversaire à sa mesure, sans objectifs stratégiques, sans vocation historique, l’OTAN s’est cherchée : en Afghanistan, bien loin de l’Atlantique nord, dans les Etats anciennement alliés au sein du pacte de Varsovie, etc. La reviviscence actuelle des tensions avec la Russie lui donne l’impression d’une cure de jouvence : si la Guerre Froide est de retour, l’OTAN retrouve sa vocation.

Mais tel n’est pas le cas : les différends avec la Russie ne sont pas du même ordre que ceux de la Guerre Froide : l’affrontement idéologique a disparu corps et biens, les luttes d’influence mondiales sont réduites aux lambeaux des marches de la Russie, les rivalités économiques ne sont plus d’actualité, les guerres by proxy ou par l’intermédiaires d’alliés n’ont plus lieu à l’échelle mondiale. L’OTAN devrait changer de logiciel : la rivalité avec la Russie n’est plus celle de la Guerre Froide.

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