Derrière le débat sur la loi Evin, l’intérêt général une nouvelle fois écartelé entre obsédés de la morale et intérêts économiques <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le gouvernement assouplit les règles sur la publicité pour l'alcool.
Le gouvernement assouplit les règles sur la publicité pour l'alcool.
©Reuters

Et l’efficacité ?

L'amendement du gouvernement sur la loi Evin précise que les informations sur une région de production, le patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liées à une boisson ne relèvent pas de la propagande, assouplissant ainsi les règles sur la publicité pour l'alcool.

Dan Véléa

Dan Véléa

Le Docteur Dan Véléa est psychiatre addictologue à Paris.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les addictions, dont Toxicomanie et conduites addictives (Heures-de-France). Avec Michel Hautefeuille, il a co-écrit Les addictions à Internet (Payot) et Les drogues de synthèse (PUF, Que sais-je ?, Paris, 2002).

Voir la bio »

Atlantico : Comment avez-vous perçu les débats entourant la mesure d'assouplissement de la loi Evin sur la promotion de l'alcool ?

Dan Véléa : Il est tout à fait normal d’aborder des sujets aussi importants comme la prévention des substances psychoactives et les conséquences de ces comportements de consommation en terme de santé publique. Dans le cas de ce débat on a plus que l’impression que le volet sanitaire, santé publique ont étaient sciemment occulté, réduisant les discussions au simple volet promotion et résultats économiques. Encore une fois les acteurs du domaine de la santé se sentent incompris et mis de côté, car les arguments employés contre cette mesure strictement économique ne sont pas entendu.

Pour resituer le débat dans le champ médico-sanitaire, l’alcoolisme mais surtout les comportements de consommation excessifs et abusifs, les mélanges entre alcool et d’autres substances, ont des conséquences très sérieuses en terme de santé publique – autant psychiques avec le développement d’une addiction, que strictement somatiques.

Ainsi, l’addiction est définie comme une conduite caractérisée par la perte de contrôle, le besoin compulsif de recourir à l’objet - physique ou symbolique - de la dépendance. Ce besoin persiste malgré la notion de risque, l’abandon d’activités sociales et familiales. Elle s’exprime aussi par des signes physiques caractéristiques de la tolérance et du syndrome de sevrage. Pour certains auteurs, l’addiction apparaît comme un processus de régulation de l’équilibre psychique du sujet et comme un moyen d’échapper à un inconfort interne. Les anglo-saxons décrivent souvent l’addiction comme une excellente manière de coping (en traduction littérale « faire face ») devant des situations difficiles.

Dans le débat actuel sur les toxicomanies, la connaissance des facteurs imputables dans le déterminisme et l’entretien des conduites addictives occupe une place importante. Facteurs de risque

Les facteurs de risque d’une conduite addictive peuvent être différents comme des angoisses de séparation, l’intolérance à la frustration, l’incapacité d’auto-contrôle, la recherche de comportements nouveaux, un goût prononcé pour la transgression, complété par les facteurs de risque familiaux - ruptures, séparations, violences conjugales -, des comportements de consommation de substances psychoactives (médicaments psychotropes chez les mères et alcool chez les pères. Les facteurs de risques environnementaux  une détresse économique, les mauvaises fréquentations - entourage exposé, présence du trafic à côté de son habitation, et des modèles imitatifs – d’où l’importance de l’interdiction des modèles valorisants – publicité, films portant des messages ouverts ou subliminaux vantant la consommation d’alcool.

Il ne faut pas oublier les facteurs de vulnérabilité - génétiques, neurobiologiques et les facteurs de personnalité.

La législation actuelle présente des mesures censées réduire les risques liées aux consommations massives d’alcool.

La loi du 15 avril 1954 aborde l’aspect du dépistage et du traitement des alcooliques dangereux pour autrui. Dans les entreprises la législation anti-alcool est sévère. Des dispositions figurent dans le Code du Travail et dans le règlement de fonctionnement intérieur de chaque entreprise (ébriété sur les lieux de travail).

La protection des mineurs est réglementée par des directives DDASS et par différents articles du Code Civil et Pénal. L’entrée dans les débits de boissons alcoolisées est régie par la loi, de même l’emploie des mineurs dans ces endroits.

La publicité sur l’alcool est limitée par la loi du 30 juillet 1987. Les catégories de boissons figurant parmi les alcools du groupe 5 (whisky, pastis, vodka, gin), est interdite. Pour les autres catégories la publicité est limitée (interdite sur les stades, terrains de sport, dans des locaux destinés à la jeunesse).

L’alcool au volant est un fléau de la société moderne, responsable d’environ 30% des accidents. Les jeunes conducteurs sont les plus touchés.

Les lois successives ont baissé le taux légal de l’alcoolémie, la dernière en date, la loi du 12 juin 200, fixe le taux légal d’alcoolémie à 0,5 g d’alcool pur par litre de sang (0,25 mg/l. d’air expiré).

Comment expliquer que le champ de la théorie économique, en faveur de la déréglementation, ou que les plus radicaux en termes de prohibition aient réussis à kidnapper le débat ? 

“La proportion des buveurs excessifs paraît croître selon le carré de la consommation moyenne, par tête, de la population à laquelle ils appartiennent” a écrit Sully Ledermann Celui-ci, dans ses ouvrages de 1956 et 1964, a révélé  le lien entre la consommation moyenne d’une population et la proportion des buveurs excessifs en son sein. Pour citer notre collègue François Besançon, ce lien traduit la fréquence d’un comportement moutonnier influençable par la publicité. Il est indéniable d’affirmer que plus un comportement est répandu, plus les dangers liés à ce comportement vont accroitre. On imagine les effets de la publicité sur les jeunes, déjà exposé à des consommations excessives lors des soirées, avec des mélanges de plus en plus dangereux entre alcool et d’autres substances – cannabis, morphiniques, ecstasy … Il apparaît comme « indécent » de la part des politiques de vouloir abandonner le versant prévention de la loi Evin, avec la diminution de la vigilance vis-à-vis de la publicité. Il est d’autant plus intéressant que le vote à l’assemblée concerne des personnes qui ne tient pas beaucoup compte du versant santé publique, mais qui s’attèle le versant économique.

Il serait souhaitable qu’ils abordent aussi le sujet de la politique ultra répressive en matière des addictions, politique complètement dépassé. Il suffit de faire la comparaison entre le nombre des morts annuel suite aux consommations massive d’alcool et les autres mortalités (pourquoi ne pas comparer alcool vs. cannabis ?)

Malheureusement le débat a été faussé par les prises de position radicales et passionnelles entre pro et anti, sans aborder la situation réelle de ces consommations, des conduites à risques de plus en plus grandissantes des jeunes, des risques encourus par les jeunes, mais aussi par les autres catégories fragiles.

Ce débat les acteurs du secteur le demande depuis longtemps, eux qui sont confrontés à l’explosion des consommations, avec peu de moyens et maintient un sentiment d’incompréhension.

Une telle mesure peut-elle vraiment échapper aux connaissances empiriques ? En quoi le débat aurait-il pu être enrichi par les expériences similaires qui ont été menées en Hollande, ou tout simplement en évaluant l’impact de la loi Evin elle-même ?

Réduire le problème de la consommation d’alcool au simple versant économique est justement catastrophique comme message à passer. On le dit depuis longtemps, les politiques français peuvent s’inspirer des différents modèles intelligents. Premièrement et plus ancien, le modèle hollandais d’abord, dans la consommation du cannabis, modèle très encadré et qui présente peu de risques en terme de conduites de consommation massive voir même d’escalade vers d’autres produits considérés plus durs.

Plus récemment la légalisation du cannabis aux US, qui elle est justifiée directement par des critères économiques mais aussi en terme de réduction des trafics et réductions des risques liés aux mélanges avec d’autres produits.

Pour revenir à l’alcool, on a les modèles nordiques, avec une interdiction de la pub, mais aussi un taux d’alcool de 0% au volant et donc une mortalité routière de moitié comparée avec la France.

Existe-t-il des approches plus efficaces pour modifier les comportements, lesquelles ?

La meilleure « arme » reste la prévention. Prévention primaire et secondaire – éducation dès le plus jeune âge, prévention par la suite aux collèges et lycées. Mais surtout un climat apaisant sans monter les acteurs de la santé contre acteurs des filières alcool.

La notion de « bien boire » a choqué beaucoup de monde car derrière cette expression on voit une incitation et banalisation de la consommation d’alcool, mais il apparaît comme indispensable de pouvoir parler d’une consommation festive, avec une quête de plaisir, éduquer les consommateurs dans ce sens. Beaucoup de patients qui se présentent en soins pour des alcoolo dépendances, ne souhaitent qu’une chose, réussir à consommer avec modération et plaisir, lors des repas de famille, de manière conviviale. Diaboliser la consommation d’alcool peut induire des effets plus graves qu’une discussion apaisée.

Il est très important de rappeler que certains médicaments efficaces dans la prise en charge de l’alcool dépendance ont étaient très longtemps prescrit hors AMM (autorisation de mise sur le marché) par des professionnels de santé soucieux de la prise en charge de leurs patients.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !