Pourquoi l’industrie française ne risque pas d’être sauvée par la nouvelle obsession pour le Made in France <!-- --> | Atlantico.fr
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Arnaud Montebourg défend le Made in France.
Arnaud Montebourg défend le Made in France.
©Le Parisien

It’s the economy, stupid

Nouvelle tendance publicitaire, le "Made in France" s'impose dans le marketing. Et le meilleur ambassadeur est Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif qui en a fait son cheval de bataille.

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet est économiste.

Son dernier livre est Réindustrialisation j'écris ton nom, (Fondation Jean Jaurès, mars 2012).

Il est également l'auteur de Les Pratiques de l'Intelligence Economique : Dix cas d'entreprises paru chez Economica en 2008 et GDF-Suez, Arcelor, EADS, Pechiney... : Les dossiers noirs de la droite paru chez Jean-Claude Gawsewitch en 2007, et de Investir : une urgence absolue pour la France et l'Europe à télécharger chez la Fondation jean Jaurès (en libre téléchargement).

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Olivier Bouba-Olga

Olivier Bouba-Olga

Olivier Bouba-Olga est professeur des Universités en Aménagement de l'Espace et Urbanisme à la Faculté de Sciences économiques de Poitiers et chargé d'enseignement à Sciences-Po Paris (premier cycle ibéro-américain). 

Il a notamment développé la thématique du « Made in Monde » qu’il oppose régulièrement à celle du Made in France.  

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Atlantico : Ce jeudi, Arnaud Montebourg a déclaré, à l'occasion du lancement avec Yves Jégo de l'association "Vive la France", que le made in France était "une cause nationale". Un sujet qui vire quasiment à l'obsession pour l'ancien ministre au Redressement productif. Mais est-elle à la hauteur des défis auxquels l'industrie française doit faire face ?

Olivier Bouba-Ouga : Pas vraiment, non... D’ailleurs il ne s’agit pas seulement de Montebourg. Ce n’est pas par hasard s’il s’est associé à Yves Jégo, ancien ministre sous Sarkozy. Il avait les mêmes propos à l’époque même s’il était moins visible médiatiquement. Défendre cette idée-là est une chose assez traversable sur l’échiquier politique. On estime que le problème pour la France est que l’activité est victime de délocalisation et donc qu'il faut soutenir les relocalisations d’entreprises et le made in France.

Mais la plupart des économistes vous diront qu’on est à côté du problème. La fabrication de plus en plus de biens est éclatée dans le monde, c’est-à-dire que l’on assiste à une fragmentation des processus productifs. L’enjeu n’est pas de faire en sorte que des relocalisations massives aient lieu en France, mais plutôt que les entreprises françaises participent à ces processus de production fragmentés. Il devient très compliqué d’identifier la nationalité pour de plus en plus de produits. Les produits deviennent en grande partie du "made in monde", on fabrique tel composant à tel endroit, tel autre composant à un autre endroit, on assemble ailleurs... L’enjeu pour l’économie française est qu’on ait des entreprises fabriquant des composants, qu’elles soient sur certaines étapes du processus productif, et si possible des produits qui se vendent bien.

Comment faire en sorte que des entreprises françaises participent à ces produits made in monde. Cela pose la question de la spécialisation française et aussi de la qualité de la spécialisation. Les entreprises auront des avantages d’autant plus grands qu’elles sauront fabriquer des choses que peu d’autres savent faire.

Plein d’entreprises y parviennent en France, comme en Allemagne par exemple. L’Allemagne a réussi à mieux se positionner sur des segments et des produits plus innovants et hauts de gamme. Il est compliqué de poser un diagnostic pour l’ensemble du pays, des logiques sectorielles peuvent se révéler très fortes. Dans certains secteurs la France est bien positionné, dans d’autres il y a des problèmes. Mais il reste une problématique, celle de la montée en gamme en termes technologiques.

Jean-Louis Levet : Prenons un peu de hauteur par rapport à certains termes inutilement  excessifs utilisés dans votre question et regardons ce qui se passe dans le monde. Tous les pays, qu'il s'agisse  des pays industrialisés (Etats-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Japon, Corée, etc), des nouvelles puissances comme la Chine, le Brésil, ou encore de l'ensemble des pays émergents à forte croissance, sans oublier les pays d'Europe de l'Est,  conçoivent et mettent en œuvre des stratégies de développement fondées sur l'industrie au sens large, c'est-à-dire les activités qui  sont à la fois des lieux d'investissement, des lieux d'innovation et ont des modes de production standardisés. La plupart de ces pays convergent de plus en plus ( cf les travaux de l'OCDE par exemple) , chacun bien sûr avec sa culture, son histoire, sur la mise en place de politiques d'innovation et industrielles ayant pour objet la performance de leurs économies respectives, par le déplacement vers une nouvelle frontière technologique, en prenant en compte de plus en plus, de façon encore inégale,  un nouveau modèle économique de durabilité de la croissance et de préservation de l'environnement.

De fait « le made in », qu'il soit américain, chinois, japonais, allemand, etc est bien entendu une préoccupation forte des acteurs publics, combinant en général constitution d'une système national  d'innovation et attractivité des investissements étrangers. D'ailleurs, cette formule de « Made in.. »  a été réintroduite dans le débat politique dès le tout début des années 80, par le rapport Solow  (prix Nobel d'économie) et le MIT , intitulé « Made in America »,  aux Etats-Unis, précisément pour alerter les responsables politiques  de l'époque sur les dangers de la désindustrialisation de l'économie américaine ! Ont suivi tout de suite après le rapport  « Made in Japan » de M. Morita président de Sony, puis le « Made in Sweden », etc. Tous ces travaux mettaient en avant les nouvelles dimensions de la compétitivité, la montée en qualité des produits, la nécessité de mieux former les salariés, de revoir profondément les modes d'organisation des entreprises, etc. Un autre grand économiste américain, Paul Samuelson (MIT), dans les éditions successives  successives de son ouvrage de référence Economie ( co-écrit avec William Nordhaus (Université de Yale) rappelle l'importance du rôle économique de l'Etat dans le développement d'un pays et l'orientation de la spécialisation industrielle d'une nation.

A côté de quelles difficultés de l'industrie française une telle approche passe-t-elle ? Quels sont ses réels moteurs ?

Olivier Bouba-Ouga : Les deux enjeux essentiels pour l’économie française sont d’abord les capacités d’innovation des entreprises, que l’on a tendance à réduire à l’innovation technologique alors que l’innovation marketing et organisationnelle sont non négligeables. Pour rappel, il y a 3 grands types d’innovation : technologique (produit ou procédé), marketing et organisationnel, soit la capacité de mettre en œuvre des modes d’organisation permettant de gagner en productivité.

En France on se focalise sur le soutien à l’innovation technologique en oubliant trop le soutien à l’innovation en termes de marketing et organisationnel alors que les enjeux peuvent être très forts notamment pour les PME. Le deuxième enjeu de taille est l’enjeu concernant la formation des individus. Le problème économique de taille de la France est avant tout le chômage de masse des personnes non qualifiées ou très peu qualifiées. Parallèlement, pour être innovante, les entreprises ont besoin de personnes de plus en plus qualifiées. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas seulement d’ingénieur, autrement dit ce n’est pas forcément le niveau mais des compétences spécifiques. Sur certain territoires du pays, des entreprises peinent à trouver des employés niveau bac pro car les jeunes ne suivent pas de filière industrielle, etc. Dans certains coins et pour certains secteurs, il manque d’individus qualifiés. Cela s’explique aussi par le discours assez calamiteux sur l’industrie qui n’aurait plus d’avenir. Pourtant empiriquement c’est faux. Des secteurs ont décliné mais d’autres secteurs industriels fonctionnent bien et cherche de la main d’œuvre. Dans le nord des Deux-Sèvres en Poitou Charentes, soir un territoire très industriel, beaucoup de PME en charge de la sous-traitance ont pour projet de monter en compétence, et ont pourtant du mal à attirer des jeunes. Etant donné qu’il y a très peu de chômage, les jeunes n’ont pas toujours envie de pousser les études. Les soudeurs se font rares à Saint-Nazaire. Des besoins ne sont pas couverts en France car les gens ne sont pas là où on en aurait besoin, car les filières de formations ne sont pas attractives... Le problème économique de la France est celui de la formation et l’éducation.

Jean-Louis Levet : tout dépend comment est conçue l'approche du « Made in France ». Si c'est une approche purement défensive, protectionniste, elle ne peut que faire rentrer l'économie dans un processus de régression. Si l'approche est au contraire de valoriser les savoir et savoir faire français, de développer un écosystème innovant en multipliant les interfaces entre universités, laboratoires de recherche, start-ups, en favorisant l'entrepreneuriat sous toutes ses formes, en favorisant la croissance et l'investissement des entreprises, en particulier les PME et ETI afin qu'elles puissent s'internationaliser, cette approche ne peut que servir le développement de nos territoires et l'emploi. C'est ce que font par exemple nos voisins allemands : d'ailleurs, le « Made in Germany » est réputé dans le monde entier  et les Allemands ont sont très fiers! Et bientôt le « Made in China » va monter en qualité et vous verrez que dans moins d'une décennie, ce slogan ne sera plus synonyme de produit contrefait de piètre qualité.

Quel est le vrai potentiel du made in France dans l'économie française ? Si tous les Français se mettaient à consommer made in France, qu’est-ce que cela changerait pour l'industrie ?

Olivier Bouba-Ouga : Encore une fois, qu’est-ce que le made in France pour commencer ? Dans certains secteurs d’activité, on sait que des personnes avec un certain pouvoir d’achat sont sensibles par exemple à la production locale, aux circuits courts dans l’agro-alimentaire. Au niveau de l’agroalimentaire des pratiques se crées chez les consommateurs. Il y a peut-être des choses à investir de ce côté-là. Mais croire qu’on peut appliquer cela à tous les secteurs, non, ce n’est pas le cas. Il faut laisser les consommateurs libres de leurs décisions d'achats.

Jean-Louis Levet : la France, de la moitié des années 80 à la fin des années 2000 a fait le choix implicite d'une économie sans industrie, d'où le processus de désindustrialisation  qui a affaibli notre économie. Un peu de mémoire : nous avons eu droit dans les années 80 à « la société post-industrielle », dans les années 90 à « la nouvelle économie » et dans les années 2000 à « l'entreprise sans usines ». d'où nos faiblesses : un système productif encore trop verticalisé avec des relations très tendues entre grands donneurs d'ordre et sous-traitants (cf les rapports annuels de la Médiation des relations inter-entreprises), une spécialisation industrielle encore trop marquée par les « trente glorieuses », un déficit en veille et en intelligence économique, une élite trop monoculturelle et consanguine. Tout cela bien sûr commence à évoluer depuis une petite décennie, mais les plus grandes transformations sont encore à faire avec le numérique et la transition énergétique. Mettre en avant un « made in France » est un mode d'action permettant de mobiliser l'ensemble de nos concitoyens sur l'importance de maintenir, de développer, de diversifier le tissu d'entreprises dans les territoires.

Consommer français aujourd'hui, c'est consommer quelle gamme de produits concrètement ?

Olivier Bouba-Ouga : Cela ne peut pas s’appliquer à tous les secteurs ni tous les consommateurs car les budgets varient. Ensuite c’est le jeu de la concurrence entre les entreprises.

Yves Jégo a commencé cela sous Sarkozy il y a déjà quelques temps. L’objectif était de labelliser des produits "made in France". Mais cela n’a pas décollé, pas plus d’une vingtaine de produits ont été labellisés. De plus, les processus sont fragmentés. Et même si on fixe un seuil comme cela a été fait - 50% de la valeur ajoutée en France font du produit un "made in France" -  dans certains cas, allez reconstituer ceci, ça n’est pas simple et ça peut évoluer très vite. Ce que racontent Arnaud Montebourg et Yves Jégo relève du positionnement politique. Ils constatent que les Français ont peur de la mondialisation, le chômage est dû à la mondialisation et ils veulent dire " Vous avez raison et regardez, on se bagarre pour faire du Made in France". Montebourg a uniquement besoin de s’affirmer.

C’est un non-sens du point de vue économique d’après moi. Politiquement, peut-être que cela peut être payant. Ça ne va pas résoudre les problèmes de l’industrie française mais peut lui permettre de trouver une place intéressante sur l’échiquier politique.

Jean-Louis Levet : l'industrie implantée en France a perdu ces trente dernière années  des pans entiers dans les biens de consommation, dans les biens d'équipement, etc. Mais on voit depuis quelques années, des filières se renforcer dans l'aéronautique, revenir dans la concurrence mondiale avec l'industrie automobile, se transformer radicalement dans le textile et  l'habillement avec des produits très innovants utilisés dans de nombreuses activités (médecine, équipements sportifs, etc) ; dans le domaine du numérique, une nouvelle génération d'entrepreneurs émerge. Ce point est capital, car nous sommes passées à côté de la robotisation, il s'agit de ne pas louper larévolution de la digitalisation.

Si on suit la logique des adorateurs du Made in France jusqu'à l'extrême, en quoi se distingue-t-elle de celle qui prévalait en Union soviétique ?

Olivier Bouba-Ouga : Si l’on suivait jusqu’au bout la logique, technologiquement cela se révèlerait impossible car on n’a pas toutes les compétences en France. Beaucoup de produits ne marcheraient pas. Et ensuite, cela ferait monter les prix. Si les entreprises fragmentent les processus, c’est à la fois pour réduire les couts totaux de fabrication et car elles ont besoin de chercher des compétences qui ne sont pas en France. 

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