"De Gaulle n’aurait pas souhaité la sortie de l’euro"<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy se rend ce mercredi à Colombey-les-deux-églises, le village de Charles de Gaulle.
Nicolas Sarkozy se rend ce mercredi à Colombey-les-deux-églises, le village de Charles de Gaulle.
©Reuters

Héritage

Nicolas Sarkozy se rend ce mercredi à Colombey-les-deux-églises, le village du Général de Gaulle. Mais où en est le gaullisme aujourd'hui ?

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Atlantico : Nicolas Sarkozy se rend ce mercredi à Colombey-les-deux-églises, le village de Charles de Gaulle. De son côté, François Hollande a récemment cité le Général pour répondre à la droite. L'invoquer aujourd’hui a-t-il encore du sens ?

Philippe Braud : Oui, bien sûr. Dans la mesure où le Général de Gaulle bénéficie d’une image positive auprès de la grande majorité des Français, même à gauche, je crois qu’il est toujours tactiquement utile de s’en réclamer. C’est bien pourquoi il y a quelques fois des revendications de filiations déconcertantes, même à l’extrême droite. C’est une bonne tactique, jusqu’à un certain point, même si, au fond, tout le monde ignore comment le général de Gaulle aurait agi. A mon avis, les interprétations qui vont dans le sens d’une adaptation aux réalités européennes d’aujourd’hui sont les plus proches de l’héritage gaulliste.

Dans le langage politique d'aujourd'hui se référer à de Gaulle ou se rendre à Colombey-les-deux-églises est un passage obligatoire, c’est relativement consensuel, et bien-sûr les opposants crieront à la récupération. Mais, à n’en pas douter, un Président socialiste ferait un jour aussi le pèlerinage. Se réclamer de de Gaulle transcende la bipolarisation droite-gauche, parce que la personnalité de de Gaulle est entrée dans le panthéon des grands hommes de l’histoire de la France.

De fait, personne ne peut se prévaloir du gaullisme, alors que tout le monde ou presque, y a intérêt. Le gaullisme n’est pas un trésor que l’on peut jalousement garder pour soi. François Hollande est autant attitré à citer de Gaulle, que Nicolas Dupont-Aignan. La probabilité que l’un ou l’autre soit dans la fidélité au Général est tout aussi discutable.

Par ailleurs si François Hollande cite de Gaulle, n’oublions pas non plus que Nicolas Sarkozy a cité Jaurès: chacun essayant d’élargir ses soutiens en tentant de capitaliser à son profit la notoriété de dirigeants qui recueillent le plus d'opinions favorables chez les Français. Les socialistes auront toujours une plus grande crédibilité à citer Jaurès, quand la droite a plus de crédibilité à citer de Gaulle, sauf peut-être la filiation giscardienne, libérale. Tout cela me semble donc de bonne guerre.

Dire que l’on doit avoir une vision pour la France, qu’il faut s’adapter aux circonstances, comme le prônait de Gaulle, sera toujours accueilli favorablement d'un point de vue politique. De Gaulle jusqu’en 1944, croit encore à la pérennité de l’empire français et la souhaite, mais en 1962 quand il concède l'indépendance à l'’Algérie, il a tiré les conséquences des nouvelles circonstances.

De la même façon, le Général de Gaulle était extrêmement méfiant à l’égard de la construction européenne, à cause des abandons de souveraineté qu'elle impliquait (il a ainsi pratiqué la fameuse politique de la chaise vide). Pourtant il en est venu à suggérer des réformes dans la gouvernance européenne qui sont mises en œuvre aujourd’hui : le rôle de la commission est par exemple moins important que prévu en 1957 par les fondateurs de l’Europe. Les grands Etats, comme la France jouent un rôle prééminent. L'héritage gaulliste dans la construction européenne est toujours présent.

A quoi correspond le gaullisme aujourd'hui ?

Le gaullisme aujourd’hui est une philosophie assez évanescente, le gaullisme sans Charles de Gaulle est un objet difficilement identifiable. De Gaulle était un pragmatique en politique, parallèlement à son talent de visionnaire pour la France. Or, le pragmatisme, par définition, transcende les oppositions idéologiques et les grilles de lecture partisanes.

Charles de Gaulle a été un maître du pragmatisme, dans la capacité à s'adapter aux situations réelles. Etre gaulliste correspond à coupler un solide pragmatisme et du bon sens basé sur une appréciation juste des contraintes et des rapports de force. D'autre part, pour s'affirmer gaulliste, il convient de suivre une vision qui permette aux gens de se projeter dans l'avenir de façon positive. 

Le pragmatisme et la vision sont ainsi les deux éléments essentiels de la politique du général de Gaulle. Il est possible d’instrumentaliser de Gaulle en fossilisant sa pensée et sa doctrine en mettant l’accent très pointu sur la souveraineté de la France. Néanmoins, rappelons que le général de Gaulle a réussi à imposer une vision de l’Europe qui serait un multiplicateur de puissance pour la France. Le général de Gaulle rêvait d'une Europe où l'influence de la France serait grande, ce qui est largement le cas aujourd'hui, compte tenu des atouts de la France, de ses ressources relativement limitées, des leviers économiques dont elle dispose.

La manière dont l’Union européenne fonctionne, avec le couple franco-allemand comme moteur, n’est pas si éloignée de ce qu'aurait voulu le Général de Gaulle. Ceux qui cherchent à instrumentaliser le gaullisme des années 1960, en se montrant anti européens et souverainistes, en préconisant le retrait de l’Euro et le retour au franc, font mauvaise route. Au contraire, de Gaulle se serait adapté aux nouvelles réalités de l'Europe, à l'heure de la mondialisation. Il n’aurait pas souhaité le retrait de l’euro.

En apparence, on pourrait croire que des personnalités politiques telles qu' Arnaud Montebourg, Nicolas Dupont-Aignan ou Jean-Pierre Chevènement se réclament d’une pratique gaulliste. Je suis convaincu que de Gaulle adopterait des positions très différentes. Je le vois au contraire, jouant la carte européenne, car l’influence de la France en Europe est très appréciable. On pourrait même dire qu’elle est sur-évaluée à certains égards.

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